Génération sceneweb (24/30). À partir de 2066 de Julien Gosselin en 2016, le parcours déjà bien riche du comédien Adama Diop fait un bond. Il s’accélère encore deux ans après avec un rôle tout autre : celui de Macbeth, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig. Porté vers le classique autant que vers le contemporain, l’artiste va là où l’Autre l’appelle.
Lorsqu’il quitte le Sénégal à la fin des années 90, Adama Diop est loin de rêver de théâtre. Dans son pays natal, faire de cet art son métier n’est alors tout simplement pas imaginable. Non que ce ne soit possible, comme va bientôt le montrer Adama Diop, mais en l’absence de lieux, d’écoles et même de festivals consacrés au théâtre, celui-ci n’occupe guère de place dans les rêves d’avenir. C’est au Sénégal, au lycée, qu’il fait sa première expérience de la scène, lorsque l’attachée culturelle de son établissement lui propose de participer à un festival de théâtre. Un premier pas qui en entraîne un second, puis un autre : en un rien de temps, Adama Diop appartient déjà tout entier au théâtre. Après le Conservatoire de Montpellier puis celui de Paris, il entame en 2008 un parcours professionnel qui lui fera servir des esthétiques et des écritures très diverses. Cela tombe bien : au plateau, Adama Diop aime à être sans cesse surpris, bousculé.
Le goût de l’écart
Dès ses débuts, le comédien se voit confier des rôles très divers, dans des pièces contemporaines aussi bien que classiques. Il joue dans le Sainte-Jeanne des Abattoirs de Bernard Sobel, dans le Lorenzaccio d’Yves Beaunesne, dans Le Malade imaginaire d’Alain Gautre. Sous la direction de Jean Boillot, il sert l’écriture de Jean-Marie Piemme. Il travaille aussi dès 2008 avec le duo Marion Guererro/Marion Aubert, qu’il retrouvera plus tard, sur deux autres créations. « En travaillant avec elles, j’ai eu la grande chance d’avoir accès de très près à la pensée de femmes artistes, à leur réflexion sur ce qu’est être une femme aujourd’hui dans le milieu théâtral. Dans Les aventures de Nathalie Nicole Nicole, la première de leurs pièces où je joue, je suis le seul homme ! Je suis très fier qu’elles m’aient fait confiance. J’ai appris beaucoup de cette expérience auprès des deux Marion, qui sont devenues des amies. Faire du théâtre avec des amis est pour moi un idéal. Je l’ai notamment atteint avec elles ».
À la sortie de l’école, Adama Diop se laisse ainsi « porter, assez naïvement, par les rencontres ». De ces débuts, estime-t-il, il a toujours « gardé la sensation que notre métier est fait d’une multiplicité de choses qu’on ne maîtrise pas tout à fait ». Bien qu’il accueille avec bonheur tous les rôles qu’on lui offre – « j’ai beaucoup de chance au théâtre, on m’a toujours proposé de très beaux rôles », dit-il », ceux qui le poussent très loin de lui-même et de ses habitudes de jeu l’intéressent particulièrement. Macbeth, dont il joue en 2018 le personnage éponyme sous la direction de Stéphane Braunschweig, est en cela un bonheur absolu. Au point que pour Adama Diop, « il y a un avant et un après Macbeth. Déjà pour ce que m’a appris le rôle, d’une immense complexité : rares sont les pièces qui, à chaque représentation, gardent quelque chose d’irrésolu. Et bien sûr, tenir un rôle-titre au Théâtre de l’Odéon change le regard de la profession, cela te donne une légitimité ».
L’excellence pour culture
Pour la première fois, la couverture médiatique de Macbeth met aussi Adama Diop face à un un sujet qu’il sait sensible, mais dont il n’avait pas jusque-là pas eu beaucoup à se préoccuper. Pourquoi Stéphane Braunschweig a-t-il choisi un comédien noir pour interpréter le personnage de Macbeth, se demande-t-on ? Faut-il y voir l’indice d’une lecture particulière de la pièce de Shakespeare ? La question de la légitimité d’un acteur noir à jouer des protagonistes blancs n’est jamais loin. « Ce serait être naïf que de ne pas avoir conscience que jouer Macbeth, pour un acteur noir, n’est toujours pas une chose anodine aujourd’hui en France. Mais je considère que je n’ai pas à m’occuper de ce problème : je préfère me consacrer pleinement à mon travail d’interprète. Ce qui m’importe, c’est d’être toujours au plus près de ce que je suis capable de faire au sein d’une création », explique l’artiste.
Auprès de Cyril Test dans Sun (2011), de Julien Gosselin dans 2666 (2016) et Les Joueurs (2018), de Frank Castorf dans Bajazet (2019) ou encore d’Arthur Nauzyciel dans Mes frères (2020), les origines d’Adama Diop, sa couleur, ne sont ni un problème ni un sujet. Ce qui n’est pas le cas dans l’adaptation de Woyzeck (2013) par Jean-Pierre Baro, dont le personnage central est un tirailleur sénégalais. « Pour la première fois, je me suis retrouvé à devoir jouer un personnage assez proche de moi, qui faisait écho à ma culture d’origine. Cela n’a pas été évident : il m’a fallu prendre du recul, transcender Adama pour que Woyzeck puisse exister ». Comme le marathon de 2066 et Macbeth, Adama Diop considère cette pièce comme une étape importante de sa trajectoire.
Car s’il refuse qu’elle le définisse en tant qu’interprète, sa double culture le structure en tant qu’individu. Inspiré par Léopold Sédar Senghor, et plus encore par les contemporains Achille Mbembe et Felwine Sarr, il voit dans l’acteur comme dans l’intellectuel « un veilleur, un témoin de son époque ». Afin d’être pleinement l’un de ces témoins, Adama Diop souhaite s’engager dans deux voies : la mise en scène, entre autres de ses propres textes, et la transmission du théâtre au Sénégal. Le théâtre, Adama Diop souhaite continuer d’en explorer tous les possibles, et permettre à d’autres d’avoir aussi cette chance.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Un très beau parcours, une démarche éclairée, un hommage tout particulier à ce grand ami et poète disparu Alain Gautré. Bonne route Adama Diop! Isabelle