Jusqu’au 29 juin, le musée parisien organise une rétrospective qui, à travers un parcours d’exposition et à la reprise de plusieurs de ses spectacles, met en relief la trajectoire et le geste artistique singulier du metteur en scène.
Qu’elle est incongrue cette image, celle d’une Renault 12 vert bouteille garée là, à quelques pas des Champs-Élysées, juste devant l’entrée de la Nef du Grand Palais. Cette vision ne date pas des années 1970, où la voiture de la marque au losange faisait fureur, mais bien du 13 juin 2025, jour du lancement de la rétrospective que l’institution muséale, à l’occasion de sa réouverture totale après quatre ans d’importants travaux de rénovation, consacre, jusqu’au 29 juin, à Mohamed El Khatib. Reflet de l’humour et de la malice du metteur en scène, ce pied de nez s’avère plus symbolique que gratuit – d’autant que l’on apprendra plus tard que la voiture en question constitue, en réalité, un lot à gagner –, et reflète l’irruption des milieux populaires dans l’un des temples de la culture dite « légitime », conformément au mouvement auquel l’artiste aux multiples casquettes participe grâce à ses spectacles, films et installations depuis une quinzaine d’années. Avec le concours du Centre Pompidou qui, dans un ironique mouvement de balancier, fermera à son tour ses portes en septembre prochain pour cinq ans afin de se refaire une beauté, c’est à lui que le Président du GrandPalaisRmn, longtemps à la tête de maisons de théâtre, Didier Fusillier, a décidé de confier les clefs de son joyau de verre et de métal. Pour honorer cette invitation, le metteur en scène a conçu, avec l’aide de Chloé Siganos et Nathalie Vimeux, une double programmation, bâtie autour d’un parcours d’exposition en journée et d’une série de ses spectacles parmi les plus fameux en soirée : Finir en beauté, Stadium, Boule à neige, La vie secrète des vieux et Les Soirées 504, qui, après sa création en 2023 au Mucem, débarque pour la première fois à Paris.
Baptisée Le grand palais de ma mère, en hommage à cette femme à qui il avait consacré l’un de ses premiers spectacles, Finir en beauté, cette copieuse rétrospective s’ouvre non pas par une, mais par un assemblage d’expositions, dont Notre musée constitue le premier volet, et la pierre angulaire. Imaginée avec la Collection Lambert et la Fondation pour le logement des défavorisés, elle débute par une reconstitution du salon d’Yvette Dupuis, que cette fan du RC Lens et figure-phare de Stadium, décédée en début d’année dernière, avait transformé en un véritable musée sang et or hétéroclite, où des dizaines de peluches de Winnie côtoyaient des banderoles, des crucifix et des photos des membres de sa famille, mais aussi par ces mots : « Nous ne sommes pas des visiteurs de musées. Nous ne fréquentons pas les musées. Nous n’avons naturellement rien contre les musées […] Mais nous ne sommes pas concernés. Les musées ne sont pas au centre de notre vie. Ils ne constituent pas, pour nous, un rite obligé. […] Les musées ne nous manquent pas. Seuls nous manquent profondément les gens que nous avons aimés et que nous avons perdus. Notre musée à nous a des allures de cimetière vivant. On y a déposé ce qu’on a de plus précieux. » De quoi poser avec force le cadre sensible et politique des salles qui vont suivre et qui, combinées, forment un mausolée hybride, habité par des oeuvres consacrées et des objets profanes.
Aux côtés de photos de Nan Goldin, de tableaux d’Anselm Kiefer ou d’un fragment de la Réserve des Suisses morts de Christian Boltanski, tous, ou presque, prêtés par la Collection Lambert, sont exposés la croix de Carmargue de Stéphane I., le boubou à rituels de Marie-Laure G., la statuette de la Vierge Marie de Laure D., la corne de chasse de Philippe M. ou encore l’assemblage de calaveras sous forme de bagues de Fabrice C., que les commissaires du musée avignonnais ont récupérés auprès de personnes épaulées par la Fondation pour le logement des défavorisés. Ainsi placés côte-à-côté, ces objets et ces oeuvres entretiennent naturellement un dialogue, y compris de grande proximité, à l’image des galoches de Bernie M. mises en regard de la paire de sabots de Jean-Michel Basquiat ou de ses verres à gnôle qui côtoient les six flûtes à champagne gravées « Mining » de Louise Lawler. S’opère alors un double mouvement qui, grâce au traitement strictement égalitaire du commissariat d’exposition, tend à désacraliser les oeuvres consacrées en même temps qu’il valorise les objets profanes. Surtout, ces derniers jouissent d’un supplément d’âme lorsque leur « valeur sentimentale » est explicitée dans leur cartel, lorsqu’une vulgaire pierre du Rif se transforme en confidente pour éviter de sombrer dans la folie ou lorsqu’un ouvre-boîte pour gaucher devient l’un des derniers souvenirs d’un fils tué dans un accident de voiture.
Complété par l’installation Renault 12, que Mohamed El Khatib dédie à son père, et par une déambulation libre autour du décor de Stadium, durant laquelle il est possible de se replonger, grâce à des vidéos de témoignages, dans La Dispute, Gardien Party ou Moi, Corinne Dadat, mais aussi d’observer de plus près les boules à neige qui subliment le décor du spectacle du même nom ou d’admirer La Joconde de Charles Second, l’un des résidents de l’Ehpad Les Blés d’Or de Chambéry, devenu grâce au metteur en scène et à sa complice Valérie Mréjen un centre d’art permanent, le parcours s’achevait, au soir de la première, par l’une des Soirées 504. Orchestrée au milieu d’une belle collection de Renault 12 et de Peugeot 504 plus ou moins rutilantes, et re-créée avec des témoins originaires de Bobigny, d’Évry ou de Marseille – parmi lesquels figure le comédien Aymen Bouchou, avec qui Mohamed El Khatib avait collaboré dans Mes parents –, cette performance met en lumière ces transhumances estivales qui voyaient des familles maghrébines de la diaspora entreprendre un long voyage pour passer quelques semaines de vacances au bled. À bord de bolides chargés à bloc, y compris jusqu’au toit, garnis de cadeaux, de valises, et même parfois d’appareils électroménagers, les passagers devaient surmonter une série d’épreuves – de la lutte pour le contrôle du radiocassette à la corruption des douaniers, en passant par la promiscuité de l’habitacle et le racisme subi sur les aires de repos – que Mohamed El Khatib, grâce à ses témoins de chair et d’os, mais aussi invités en vidéo, réactive avec humour et mélancolie. Si l’on peut regretter que la diffusion de son documentaire 504 ne soit pas davantage imbriquée avec les témoignages qui la précèdent au plateau, cette Soirée permet au metteur en scène de souligner que la Méditerranée a, longtemps, été une interface avant de devenir un cimetière, et de rappeler, en apportant sa pierre personnelle à l’édifice, qu’il est lui-même l’un des symboles de l’irruption des milieux populaires dans les temples de la culture dite « légitime ».
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le grand palais de ma mère / Mohamed El Khatib, rétrospective
Commissariat Chloé Siganos, Nathalie VimeuxParcours d’exposition : Notre musée ; Renault 12
Spectacles : Finir en beauté (2014) ; STADIUM (2017) ; Boule à neige (2020) ; La vie secrète des vieux (2024) ; Les Soirées 504Programmation coproduite par le Centre Pompidou et le GrandPalaisRmn
En partenariat avec la Collection Lambert, le Mucem, la Fondation pour le logement des défavorisés, le festival C’est pas du luxe, le Centre d’art Les Blés d’Or, la Scène nationale de l’Essonne / Théâtre de l’Agora à Evry, la MC93 de Bobigny, la SACDZirlib est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication – Drac Centre-Val de Loire, par la Région Centre-Val de Loire et soutenue par la Ville d’Orléans. Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville à Paris, au Théâtre National de Bretagne, au Théâtre National Wallonie-Bruxelles, au Tnba à Bordeaux.
Nef du Grand Palais, Paris
du 13 au 29 juin 2025
Il est dommage que vous n’ayez pas mentionné les autres images incongrues dans le grand palais… Comme un immense bar, et une terrasse pour nous accueillir, une échelle géante de toutes les couleurs posée sur la façade, à quelques mètres de la Renault …Un fun Park dont l’objet est soi-disant de questionner le vivre ensemble et le bonheur commun… Le tout ressemble à une grande fête foraine ou le parc de Walt Disney. La pollution sonore est-elle que l’on peut pas profiter de cette très belle et touchante exposition de Mohamed El Khathib … C’est vraiment très frustrant … et un signe de la « Halle de la Villettefication » du Grand Palais …