Dans La Dispute, créé dans le cadre du Festival d’Automne, Mohamed El Khatib poursuit son travail avec des non-professionnels. Des enfants cette fois, qui donnent leur point de vue sur la question de la séparation amoureuse d’une manière réjouissante, souvent inattendue.
Non, Mohamed El Khatib ne s’est pas mis à monter des classiques. Ni à se pencher sur les émissions théâtrales de France Culture. Le titre de sa dernière création, La Dispute, ne porte d’ailleurs pas longtemps à confusion. Sur un écran installé au fond d’un plateau tapissé de légos géants, une petite fille filmée en gros plan vaque à ses occupations. Elle coiffe ses longs cheveux avec un peigne fluo, sort sa flûte à bec… Une fois tout le monde installé, elle finit de chasser toute ambiguïté. Si elle n’est pas présente sur scène ce soir c’est, explique-t-elle, que ses parents n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Elle ne sera là qu’une semaine sur deux, la semaine qu’elle passe chez sa mère. Elle craint que le spectacle soit moins bien sans elle, mais elle nous souhaite tout de même une bonne soirée. Et nous fait des bisous. Le ton est donné en même temps que le sujet : dans La Dispute, les larmes causées chez les enfants par les séparations amoureuses appartiennent au passé. Place à la pensée, à la parole. Et à une joie qui surprend et réjouit.
« Avez-vous déjà promis à leurs enfants que vous feriez tout pour eux ? », « que vous ne vous sépareriez jamais ? ». « Leur avez-vous déjà dit qu’ils étaient ce qu’ils ont de plus précieux ? »… À peine entrés en scène, après avoir écorché à la flûte le célèbre air de trompette du Festival d’Avignon – petit clin d’œil de Mohamed El Khatib à l’institution théâtrale dont il critique volontiers l’élitisme, le manque de contacts avec la société telle qu’elle est –, les six enfants de la pièce bombardent le public, adulte, de questions. Pas de langue de bois, aucune censure dans La Dispute, mais des récits, des anecdotes qui abordent la rupture amoureuse sans détours. Avec toujours une malice, une impertinence qui ne semble feinte à aucun moment. Et qui brouillent les limites entre le témoignage et la fiction. S’il joue comme à son habitude avec les tentations voyeuristes du spectateur, Mohamed El Khatib évite ainsi l’écueil de l’instrumentalisation des jeunes interprètes, dont la conscience de la parole qu’ils portent est visible à tout moment.
Sélectionnés parmi la centaine d’enfants d’école primaire rencontrés par le metteur en scène pendant deux ans, les six comédiens de La Dispute – pas toujours les mêmes, du fait de leur jeune âge et de situations parentales parfois compliquées – suivent avec aisance le canevas que celui-ci leur a construit. Une structure précise, où chacun sait à quel moment développer les différents morceaux de son histoire familiale sans avoir appris de textes précis. Car il s’agit de ne pas figer le travail, qui doit tourner jusqu’à l’entrée des enfants au collège, jusqu’en mai 2020. De garder tout au long de cette période la fragilité, la spontanéité des premières dates à l’Espace Cardin. Dans leur décor où ils invitent deux playmobils géants – en faisant remarquer, au passage, tous les clichés que véhiculent ces jouets (les femmes à la maison, les bonhommes au chantier) – qui font office de parents, les bambins déploient une riche partition chorale qui donne à entendre l’amour et le divorce d’une façon singulière et complexe.
Sans qu’elle ne soit jamais formulée, la grande diversité des enfants présents sur scène et de ceux qui apparaissent en vidéo fait beaucoup à la force de l’ensemble. Issus de milieux sociaux et géographiques différents, ils font paradoxalement de La Dispute un lieu de rassemblement. Un moment de dialogue, de partage, où la différence des expressions est sans doute l’une des plus grandes sources de l’évidente joie des jeunes à être ensemble, sur ce plateau. Pour faire preuve d’une maturité trop souvent insoupçonnée, d’une capacité d’analyse et d’adaptation au changement dont font peu état les discours dominants sur la séparation des couples. Avec cette nouvelle pièce, Mohamed El Khatib atteint le but qu’il se fixe en mettent en scène des non-professionnels, que ce soient une femme de ménage (Moi, Corinne Dada), des supporters de foot (Stadium) ou encore des parents d’enfants décédés (C’est la vie) : renouveler les regards sur les sujets de son choix, en offrant la parole à ceux que l’on n’entend pas.
Anaïs Heluin – www.sceenweb.fr
La Dispute
Conception & réalisation : Mohamed El Khatib
Cheffe de projet : Marie Desgranges
Image, Montage : Emmanuel Manzano
Assistanat de projet : Vassia Chavaroche
Scénographie & Collaboration artistique : Fred Hocké
Environnement sonore : Arnaud Léger
Photographie : Yohanne Lamoulere
Pratique musicale : Mathieu Picard
Direction de production : Martine Bellanza
Avec 6 Enfants
Production : Collectif Zirlib
Coproduction : Tandem scène nationale (Arras-Douai) ; Théâtre National de Bretagne (Rennes) ; Malraux scène nationale Chambéry Savoie ; Théâtre Garonne – scène européenne (Toulouse) ; Bois de l’Aune (Aix-en-Provence) ; La Coursive – Scène nationale de la Rochelle ; Théâtre de Choisy-le-Roi ; Théâtre du Beauvaisis – Scène Nationale (Beauvais) ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris
Coréalisation : Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris pour les représentations au Théâtre de la Ville-Paris
Avec le soutien du Liberté, scène nationale de Toulon et de la Scène Nationale d’Aubusson
Spectacle créé le 8 novembre 2019 au Théâtre de la Ville-Paris avec le Festival d’Automne à ParisZirlib est conventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication – Drac Centre-Val de Loire, portée par la Région Centre-Val de Loire et soutenu par la Ville d’Orléans.
Mohamed El Khatib est artiste associé au Théâtre de la Ville à Paris et au Théâtre national de Bretagne
Durée : 1hTournée 2021
9 > 10 et 16 > 17 janvier – Théâtre des Quartiers d’Ivry22 > 23 janvier – Scène Nationale d’Annecy
29 > 31 janvier – Les Célestins – Lyon
13 février – Le Safran – Amiens
27 > 28 février – Kaitheatre – Bruxelles
4 > 6 mars – Les Colonnes – Blanquefort
12 mars – Scène Nationale de Foix
13 mars – Scène Nationale de Narbonne
19 mars – Théâtre de Chelles
20 > 21 mars – Firmin Gémier/La Piscine – Châtenay-Malabry
9 avril – Le Figuier – Argenteuil
16 avril – Espace Malraux – Joué-lès-Tours
17 avril – Théâtre Mac-Nab – Vierzon
7 mai – Théâtre Jean Arp – Clamart
20 > 21 mai – Scène Nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines
Juin – Napoli Teatro Festival – Naples
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