Avec son générique en or, Tango y tango annonçait un spectacle flamboyant qui ne tient qu’à moitié ses promesses. Si la musique et la danse y ont la part belle, si les images créées sont superbes, le récit qui s’y tisse est trop maigre pour véritablement nous transporter.
Impossible de passer à côté de Rebecca Marder ces dernières années, pour qui est un temps soit peu cinéphile du moins. L’ex-pensionnaire de la Comédie-Française a commencé très jeune, elle a déjà de nombreux films français à son actif et pas des moindres et peut se targuer d’être encore récemment à l’affiche de trois films dans des rôles de premier plan : le drolatique Mon Crime de François Ozon, De Grandes Espérances de Sylvain Desclous et le délicieux La Grande Magie de Noémie Lvovsky. Un palmarès en soi. Cinégénique au possible, minois charmant, corps mince et délié, la demoiselle est une fleur des prés, elle sent bon la jeunesse, le talent et le succès. En un mot, elle fait rêver. La revoilà sur les planches qu’elle avait quelque peu délaissées (et on comprend pourquoi, le cinéma l’avait happée) dans un projet musical porté par un beau trio de personnalités : Santiago Amigorena à l’écriture, Marcial di Fonzo Bo à la mise en scène et à la musique, Philippe Cohen Solal, musicien touche-à-tout, co-fondateur du célèbre Gotan Project qui a eu ses heures de gloire en célébrant avec virtuosité les noces de la musique électro et du tango.
Tout ce beau monde réuni laissait espérer un résultat flamboyant, l’association de trois fortes personnalités artistiques regroupées autour de leur amour du tango mais malheureusement les promesses ne sont pas entièrement tenues. Certes le spectacle est sublime esthétiquement, il se déploie dans une scénographie de toute beauté signée Alban Ho Van, le décor d’une Milonga défraîchie qui a traversé les époques et les remous de l’Histoire au rythme des couples qui se font et se défont sur la piste de danse. A jardin, quelques tables de bistrot, à cour, un bar, au balcon, les musiciens surplombent la scène discrètement et l’habillent majestueusement de la partition ample et déliée conçue pour l’occasion par Philippe Cohen Solal. Au centre, l’espace circulaire de la piste est surmonté d’une structure métallique arrondie qui permet des jeux de rideaux magnétiques, ouverts ou fermés à l’envie, au rythme des images projetées (superbe réalisation de Nicolas Mesdom) tantôt dessus en avant scène, tantôt sur l’alcôve du fond en une alternance remarquable de fluidité. Techniquement, on frise la perfection et les superpositions entre film et scènes en transparence créent les plus belles images du spectacle en une profondeur de champ qui fonctionne dans tous les sens possibles, géographique et historique.
Tango y tango joue sur les temporalités, les générations, les époques et les océans traversés. Cette Milonga est un puits de mémoire qui a gardé entre ses murs les traces du passé. Une jeune femme, Jeanne, française d’origine argentine, entre dans le bar, elle semble un peu perdue, décalée, elle semble chercher quelque chose ou quelqu’un sans savoir quoi. Elle y rencontre Juan, un homme plus âgé, mélancolique et désabusé, énigmatique et fantomatique qui, petit à petit, revient sur sa vie, son lien au tango, la peine de cœur qu’il traîne comme un boulet au pied, à tel point qu’il ne danse plus. Jeanne, qui cherche en réalité à comprendre ses origines, c’est Rebecca Marder. Juan, Julio Zurita. Ils dialoguent entre eux à cheval entre deux langues, le français et l’espagnol et cela aurait pu être mélodieux et signifiant mais ça ne l’est pas. Rebecca Marder est aussi peu à l’aise en espagnol que Julio Zurita l’est en français et si l’homme est divin quand il danse, on peine, non seulement à le comprendre mais également à croire au personnage. Leur rencontre sonne faux, artificielle, de même que les échanges qu’ils poursuivent. Le théâtre et sa fiction semblent un prétexte, une excuse pour permettre le reste, à savoir le déploiement de la musique et de la danse, clou du spectacle.
La chorégraphie de Matias Tripodi, maître du genre, orchestre duos, solos, ensembles avec grâce et virtuosité. Les danseuses sont sublimes et époustouflantes, entre aplomb et légèreté, elles tournoient, se cabrent, s’envolent littéralement dans les airs avec une souplesse et une précision confondantes. Tout en jeux de jambes et torsions de bassin, le tango est le véritable enjeu du spectacle, il éblouit dans l’émotion qu’il suscite et le mariage réussi avec des incursions de danse contemporaine irradie de liberté et de la joie pure de danser. Au chant, Cristina Vilallonga est déchirante et impose une présence puissante et ancrée, chargée de vécu et d’expériences. Rebecca Marder, que l’on attendait au tournant, peine à donner une réelle étoffe à son personnage. A la fois délicate et sobre, toute en retenue, comme si elle n’osait pas user de son statut et tirer la couverture à elle, elle distille une humilité qui est toute à son honneur mais trahit aussi un manque de matière à jouer.
Car c’est là que le bas blesse. Si le livret de Santiago Amigorena comporte de jolies répliques et des envolées poétiques, l’histoire reste très esquissée, en surface, et ne tient pas la comparaison avec l’intensité véhiculée par le tango. Et la douloureuse Histoire de l’Argentine, évoquée en sous-texte et par les images d’archive. L’extrait télévisé de ses mères éplorées mais dignes réclamant leurs enfants, morts ou vivants, est tellement poignant qu’à côté la fiction déroulée apparaît bien légère. Dommage. Il y a mille et une façons de savourer ce spectacle musical et dansé, mais les perspectives que son décor ouvre en fond de scène derrière ces portes battantes qui sont à la fois écran et lieu de passage ne sont pas suivies dramaturgiquement. Trop propre et lisse, le spectacle peine à densifier son sujet, à lui donner souffle et profondeur.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Tango y tango
Livret : Santiago Amigorena
Musique : Philippe Cohen Solal
Mise en scène : Marcial Di Fonzo Bo
Chorégraphie : Matias Tripodi
Avec : Rebecca Marder, Cristina Vilallonga, Rodolfo de Souza, Julio Zurita, Mauro Caiazza
Danse : Maria-Sara Richter, Sabrina Amuchástegui, Fernando Andrés Rodríguez, Estefanía Belén Gómez, Eber Burger, Sabrina Nogueira
Musique : Aurélie Gallois (au violon), Victor Villena (au bandonéon)
Scénographie : Alban Ho Van
Images : Nicolas Mesdom
Création lumière : Dominique Bruguière
Assistanat lumière : Anne Roudiy
Costumes : Pierre Canitrot
Perruques et maquillage : Cécile Kretschmar
Assistanat à la mise en scène : Paloma Donnini
Régie générale : David Marain
Régie plateau : Thomas Nicolle
Régie vidéo et son : Camille Gateau
Perruques et maquillage : Kim Ducreux
Direction de production / Taita Productions : Francine Smadja
Production exécutive / EPOC Productions : Lison Bellanger, Charlotte Pesle Beal
Assistanat images (film) : Titouan Liccia (Paris), Franco Amorosino (Buenos Aires)
Opérateur son (film) : Virgile Van Ginneken
Comédiens à Paris (film) : Laura Rincon Escobar, Sarah Mendoza, Harrison Arevalo
Comédiens à Buenos Aires (film) : Alejandro Tantanian, Carlos Defeo, Fran Granado, Lula RosenthalDurée : 1h20
Du 10 au 27 mai 2023
Au Théâtre du Rond-Point
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