Génération sceneweb (10/30). A la tête du Théâtre des Clochards Célestes depuis trois ans, la metteuse en scène le quittera à la fin de l’année. Histoire de se donner le temps de peaufiner un langage théâtral qui a déjà offert, du TNP à la Comédie-Française, en passant, vendredi 11 décembre, par l’Opéra de Rennes, quelques joutes prometteuses.
Du statut de scrutateur à celui de créateur, il n’y a parfois qu’un pas, que Louise Vignaud a osé franchir. Diplômée de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, la désormais trentenaire avait toutes les cartes en main pour persévérer dans son être universitaire, mais elle a plutôt choisi de les rebattre et de devenir metteuse en scène. « La position d’observateur ne me suffisait plus, raconte-t-elle aujourd’hui. Je voulais entamer une recherche avec les corps et les images, et avais soif de passer les textes au plateau car j’étais convaincue qu’il allait m’apporter quelque chose. » Son amour du théâtre, « cette passion presque vitale », chevillé au corps, la jeune artiste s’inscrit alors à l’Ensatt. Elle devient l’assistante de nombre de ses futurs pairs – Richard Brunel, Michel Raskine, Christian Schiaretti, Claudia Stavisky – dont elle acquiert, à force de travail, la confiance. « C’est aussi au hasard de ces rencontres, pas toutes prévues, que mon parcours s’est peu à peu construit. Ces dernières années m’ont appris qu’à chaque fois que l’on fait des plans, c’est souvent l’inverse qui se produit, qu’ils sont toujours déjoués et donc, toujours, à repenser. »
Après s’être emparée, à la sortie de l’école, du Calderón de Pier Paolo Pasolini – pour lequel elle recevra les félicitations d’un certain Jean-Pierre Vincent –, Louise Vignaud fait ses premières armes dans le monde théâtral professionnel en s’attaquant à deux de ses Commandeurs, Molière et Sénèque, et à leurs oeuvres parmi les plus fameuses, Le Misanthrope et Phèdre, dont elle livre, à chaque fois, au TNP et à la Comédie-Française, des versions radicalement charnelles. « Quand on commence la peinture, on copie d’abord les tableaux du Caravage, avant d’acquérir sa propre patte. Au théâtre, comme dans bien dans d’autres arts, c’est la même logique et on ne s’approprie un langage esthétique qu’au fur et à mesure de l’apprentissage au plateau. En montant Le Misanthrope et Phèdre, j’ai beaucoup appris, car chaque texte appelle un nouveau langage », explique-t-elle.
Se recentrer sur son art
A ces textes anciens, elle reconnait un autre mérite, celui de poser des questions pour élever un débat de plus en plus tendu. « Dans un monde où on nous demande de prendre position sans toujours avoir le recul nécessaire, je crois que le théâtre doit nous permettre, au contraire, de prendre une certaine distance, assure-t-elle. Quand j’ai raconté l’histoire d’Agatha de Marguerite Duras au TNP, je me suis rendu compte, qu’à la sortie, les spectateurs parlaient plus d’eux-mêmes que de la pièce. Notre mission, si nous en avons une, est bien celle-là : parler aux gens, tout simplement. » Un objectif qui ne l’empêche pas d’être, par la bande, aux prises avec le réel. Son prochain projet, elle le consacrera au massacre du 17 octobre 1961, façon d’aborder « à bonne distance, pour le comprendre » le sujet brûlant des violences policières.
Car Louise Vignaud est bien décidée, ces prochains mois et ces prochaines années, à se recentrer sur son art. A la tête du Théâtre des Clochards Célestes depuis trois ans, elle le quittera à la fin de l’année pour avoir le temps de travailler au plateau. « Je viens de passer des années d’émergence avec des sessions de répétitions souvent très courtes qui ont créé, chez moi, ce besoin pressant, remarque-t-elle. A mes yeux, je commence tout juste à être metteuse en scène et il faut que je fasse encore mes armes pour recueillir davantage l’assentiment de mes pairs. Je dois aussi développer mon réseau grâce des rencontres avec d’autres directeurs de lieux avant d’envisager, par exemple, de présenter ma candidature à la tête d’un CDN. » Gageons qu’avec une prochaine création à l’opéra – La Dame Blanche, diffusé en ligne, vendredi 11 décembre, depuis l’Opéra de Rennes – et une autre à la Comédie-Française, elle emprunte le bon chemin.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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