
© Jean-Louis Fernandez
La metteuse en scène, artiste associée au Théâtre national de Strasbourg, adapte Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye, mais surinterprète le texte de l’autrice, multipliant les scènes extravagantes.
Le couvercle du piano s’ouvre au ralenti. A l’intérieur, où se trouvent d’ordinaire la table d’harmonie avec cordes et marteaux, un corps s’échappe délicatement et rejoint la scène en dansant. On distingue la silhouette d’une femme. Elle lance des petits cris, rapidement couverts par un bruit assourdissant. En fond de scène, une paire d’yeux gigantesques apparaît soudainement. Près des gradins, une seconde femme observe, assise devant le clavier du piano. Quelques instants plus tard, elle débute son récit et se glisse dans les entrailles de l’instrument, tapissé par des pages de texte. Peut-être celles de son futur roman.
Peut-on représenter quelqu’un qui ne nous ressemble pas ? En l’occurrence, une femme blanche et privilégiée peut-elle écrire sur une jeune femme noire, victime de racisme ? C’est la question soulevée par Marie NDiaye, autrice d’Un pas de chat sauvage écrit en 2019 dans le cadre de l’exposition « Le modèle noir » au musée d’Orsay (Paris 7e). Le récit est adapté sur les planches par Blandine Savetier, associée au TNS depuis 2014, et Waddah Saab, avec une liberté surinterprétative.
La pièce met en scène une professeure d’université (Natalie Dessay), dont on ne connaît l’identité, narrant les prémices de son projet de roman débuté il y a plusieurs années et consacré à Maria Martinez. Cette chanteuse cubaine du XIXe siècle, originaire de La Havane et surnommée la « Malibran noire », connut un bref succès en France malgré le racisme dont elle faisait l’objet. Ne quittant le public des yeux qu’à de rares moments, la narratrice commence son exposé par le jour où elle reçoit un mail de la part de Marie Sachs (Nancy Nkusi) – un pseudonyme que lui a attribué l’universitaire – l’invitant à la rencontrer pour évoquer l’avancement de son roman. Les deux femmes ne se connaissaient pourtant pas. « Qui est pour moi Marie Sachs ? », se remémore la professeure.
La pièce s’ouvre par ce premier mystère, reflet d’une seconde inconnue : qui est Maria Martinez ? Seules quelques photographies et critiques parues dans les journaux de l’époque évoquent la chanteuse, constituant les rares sources à partir desquelles la narratrice peut travailler. Dès lors, son projet semble vain. L’universitaire se résigne ainsi à rencontrer Marie Sachs, chanteuse noire comme Maria Martinez. Les deux femmes se verront à trois reprises, dans des lieux différents, toujours lors d’une performance de Marie Sachs. La chanteuse semble vouloir confondre son existence avec celle de Maria Martinez, allant jusqu’à interpréter des paroles écrites par Théophile Gauthier pour l’artiste cubaine. Cette ressemblance troublante formera le carburant de la narratrice pour enclencher l’écriture de son roman. Mais également la source d’une envie tenace : « Marie Sachs était la seule femme noire, la seule femme jeune de l’assemblée. Je l’ai remarqué avec une tristesse jalouse. J’aspire […] à devenir moi aussi une jeune femme noire », avouera-t-elle.
A mesure du récit déroulé par l’universitaire, nous plongeons dans l’univers mental de cette dernière, sclérosé par les fantasmes. Le piano disposé à cheval entre la scène et les gradins ainsi que deux toiles mêlées sur lesquelles est imprimée la photographie d’une salle de théâtre – celle de l’Odéon (Paris 6e) – forment les principaux décors de la pièce. Ces deux panneaux s’affaissent au fil de l’intrigue, jusqu’à disparaître. Devant eux, les scènes de chant fantaisistes, interprétées par Nancy Nkusi (brillante), s’enchaînent de mal en pis. A ses côtés se tient Greg Duret, le compositeur de la musique, qui surenchérit le ton burlesque. Leurs costumes extravagants évoquent l’érotisation des corps noirs avant de dévier, à la fin, vers l’univers circassien. Ce parti pris sursignifiant s’éloigne du texte de Marie NDiaye et ne convainc pas. A trop vouloir caricaturer la bêtise du passé, Blandine Savetier verse dans le trop plein d’effets, oubliant la subtilité du récit originel…
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Un pas de chat sauvage
texte Marie NDiaye*
Mise en scène Blandine Savetier*
Adaptation Waddah Saab, Blandine Savetier*Avec
Natalie Dessay,
Nancy NkusiMusique live Greg Duret
Dramaturgie et collaboration artistique Waddah Saab
Scénographie Simon Restino
Musique Greg Duret
Lumière Louisa MercierRégie générale Zelie Champeau, Quentin Maudet
Régie son Vincent Dupuy
Régie lumière Louisa Mercier
Production Marie CassalLe texte est publié en coédition Flammarion / Musées d’Orsay et de l’Orangerie, 2019.
* Marie NDiaye et Blandine Savetier sont artistes associées au TNS.
Production Compagnie Longtemps je me suis couché de bonne heure
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, La Maison de la Culture de Bourges Scène nationaleLa Cie Longtemps je me suis couché de bonne heure est conventionnée par le ministère de la Culture Direction régionale des affaires culturelles Grand Est et bénéficie du soutien de la Région Grand Est et de la Ville de Strasbourg.
Durée 1h25
Théâtre National de Strasbourg
du 2 au 10 mars 2023
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