Au TnS, Caroline Guiela Nguyen sonne le rassemblement

Capture d’écran / DR

Sous-tendue par la question « Quand serons-nous enfin réunis ? », et par une volonté de renouvellement, la toute première saison imaginée par la directrice du Théâtre national de Strasbourg comptera 19 spectacles, dont 60% seront portés par des femmes et 80% par des artistes programmés pour la première fois.

Caroline Guiela Nguyen imprime sa marque. Héritière d’une saison 2023-2024 en partie programmée par son prédécesseur, Stanislas Nordey, la directrice du Théâtre national de Strasbourg (TnS) n’avait pas pu totalement faire entendre sa différence depuis sa prise de fonction le 1er septembre dernier. C’est désormais chose faite avec l’annonce de la saison 2024-2025, révélée ce lundi 3 juin lors d’une conférence de presse. Nouveau logo, nouvelle charte graphique, nouveaux rendez-vous… Avec cette « saison signature », la metteuse en scène entend bien écrire une nouvelle page de l’histoire de l’établissement strasbourgeois à compter de la rentrée prochaine, malgré un contexte financier difficile. Si, contrairement à d’autres théâtres nationaux, comme Chaillot, La Colline ou la Comédie-Française, le TnS a échappé, en 2024, aux coupes budgétaires et a pu conserver intacte sa dotation de 10,44 millions d’euros – complétée par une subvention exceptionnelle de 220 000 euros –, la nouvelle patronne a exprimé son « inquiétude » par rapport au budget 2025, encore « incertain ». Surtout, a-t-elle rappelé, « le TnS n’est pas une île et risque d’être impacté par les difficultés rencontrées par l’écosystème, par les lieux comme par les compagnies, en matière de diffusion, de production et de co-production, ce qui nous rend soucieux pour la suite ».

Malgré tout, Caroline Guiela Nguyen n’a pas voulu réduire la voilure. Comme lors de la saison qui vient de s’achever, pas moins de 19 spectacles seront présentés entre septembre 2024 et juin 2025. Parmi eux, six seront créés au TnS, 60% seront portés par des femmes et 80% par des artistes programmés pour la première fois entre les murs du théâtre strasbourgeois. « L’ensemble de notre projet est sous-tendu par cette question qui nous brûle : ‘Quand serons-nous enfin réunis ?’, souligne la metteuse en scène. À celle-ci, se combine la question viscérale de l’élargissement du public. Elle peut paraître vieille comme le monde, mais elle est chevillée au corps de l’ensemble des artistes invités et est intrinsèquement liée à leur geste artistique. » Convaincue que « le théâtre doit être partagé au maximum », Caroline Guiela Nguyen ouvrira le bal avec LACRIMA (du 24 septembre au 3 octobre), déjà présenté au TnS en mai dernier et à l’affiche du 78e Festival d’Avignon. Suivront les créations du Collectif FASP (Beretta 68, du 8 au 18 octobre), de Dorothée Munyaneza d’après un texte de Kae Tempest (Inconditionnelles, du 5 au 15 novembre) et d’Éric Feldman (On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie, du 12 au 22 novembre). Au rang des « grandes formes », figureront la nouvelle pièce d’Alice Laloy, Le Ring de Katharsy (du 20 au 29 novembre), le spectacle de Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Ève Risser, La Symphonie tombée du ciel (du 13 au 20 décembre) et la reprise du Dom Juan de David Bobée (du 8 au 16 janvier 2025).

Rejetant les « thèmes », qu’elle trouve « assez dangereux à cause des limites qu’ils posent dans la perspective de l’humain », Caroline Guiela Nguyen leur préfère, conformément à la logique qui irrigue ses propres pièces, « les récits et les histoires qui permettent des rencontres à 360° ». Dans cette veine, s’inscriront Cécile de Marion Duval (du 22 janvier au 1er février 2025), Los días afuera de Lola Arias (du 3 au 7 février 2025), Le Rendez-vous de Katharina Volckmer, Jonathan Capdevielle et Camille Cottin (du 11 au 22 mars 2025), mais aussi des spectacles avec une dimension plus politique comme And Here I am de l’artiste palestinien Ahmed Tobasi (du 25 février au 7 mars 2025), Pour un temps sois peu (du 26 au 30 novembre) et Je vis dans une maison qui n’existe pas (du 3 au 7 décembre) de Laurène Marx, ou encore Rectum Crocodile de Marvin M’toumo (du 1er au 4 avril 2025), un metteur en scène touche-à-tout qui dirigera aussi le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 48 de l’École du TnS, provisoirement intitulé Les Indésirables (du 4 au 11 juin 2025). « Tous ces artistes portent des sujets engagés, mais veulent créer du commun plutôt que de la division, assure Caroline Guiela Nguyen. Ils font exister des peines et des réalités au plateau et cherchent simplement au sein du public des personnes pour les entendre. »

Dans cette même volonté d’unité, la directrice du TnS a imaginé deux nouveaux temps forts : le TnS Comedy Club qui, du 12 au 17 mai 2025, permettra à des stand-uppeuses et des stand-uppeurs de se produire, avec la complicité du Madame Sarfati de l’humoriste Fary, sur les plateaux du théâtre strasbourgeois ; et les Galas du TNS qui feront la part belle aux non-professionnels. À l’image du Marius que Joël Pommerat avait tricoté avec des détenus de la Maison Centrale d’Arles, et qui sera présenté du 23 avril au 3 mai 2025, La Vérité de Caroline Guiela Nguyen (du 23 au 30 avril 2025) et Je suis venu te chercher de Claire Lasne Darcueil (du 24 au 30 avril 2025) seront créés à partir de récits collectés auprès de Strasbourgeoises et de Strasbourgeois. « Ces gestes artistiques s’accompagnent de la mise sur pied d’un ‘Centre des récits’ qui permettra aux artistes qui le souhaitent de se saisir de récits collectés et archivés dans une logique de création d’une dramaturgie des vivants, mais aussi d’une refonte de l’organisation du service des relations avec les publics qui, plutôt que d’être cloisonné en fonction de l’âge ou de la catégorie sociale, sera tout entier dédié à la rencontre des personnes sur un territoire », précise Caroline Guiela Nguyen.

Si elle échappe à toute réforme de cette ampleur, l’École du TNS, désormais pilotée par Marie Schaaff, verra ses différents sections (Jeu, Mise en scène, Dramaturgie, Scénographie-Costumes, Régie-Lumière) se rapprocher pour « encourager la transversalité » et permettra aux élèves de partir à la rencontre de différentes formes de création, du cinéma à la danse en passant par la mode. Alors qu’une campagne de mécénat individuel, baptisée Coeurs Makers, sera bientôt lancée pour alimenter les bourses des étudiants et les aider à lutter contre la précarité, et que le recrutement du Groupe 50 sera placé sous le signe de « la diversité sous toutes ses formes et dans toutes les sections », les élèves de l’École continueront à être les ambassadeurs de « l’hospitalité de la pensée », que Caroline Guiela Nguyen appelle de ses voeux, à travers un nouveau rendez-vous intitulé Envisager la nuit. Après un premier « chapitre » dédié au sujet des accents sur les plateaux, ces rencontres nocturnes qui ambitionnent de « s’intéresser aux questions dont nous n’arrivons pas à débattre le jour » , selon les mots de la directrice du TnS, tourneront autour de la cancel culture. « Pour moi, c’est une façon de signaler que, si le théâtre et l’école ne doivent pas être un lieu de pensée unique, ils doivent malgré tout incarner un espace où la pensée est possible », conclut-elle.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Caroline Guiela Nguyen
LACRIMA
Salle Koltès
du 24 septembre au 3 octobre 2024

Collectif FASP
Beretta 68
Salle Gignoux
du 8 au 18 octobre / Création au TnS

Kae Tempest / Dorothée Munyaneza
Inconditionnelles
Salle Koltès
du 5 au 15 novembre / Création au TnS

Éric Feldman / Olivier Veillon
On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie
Espace Grüber – Studio Jean-Pierre Vincent
du 12 au 22 novembre / Création au TnS

Alice Laloy
Le Ring de Katharsy
Salle Koltès
du 20 au 29 novembre

Laurène Marx
Pour un temps sois peu
Salle Gignoux
du 26 au 30 novembre

Je vis dans une maison qui n’existe pas
Salle Gignoux
du 3 au 7 décembre

Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Ève Risser
La Symphonie tombée du ciel
Salle Koltès
du 13 au 20 décembre

Molière / David Bobée
Dom Juan
Salle Koltès
du 8 au 16 janvier 2025

Marion Duval
Cécile
Salle Gignoux
du 22 janvier au 1er février

Lola Arias
Los días afuera
Salle Koltès
du 3 au 7 février

Hassan Abdulrazzak / Zoé Lafferty / Ahmed Tobasi
And Here I am
du 25 février au 7 mars

Katharina Volckmer / Jonathan Capdevielle
Le Rendez-vous
Salle Koltès
du 11 au 22 mars

Marvin M’toumo
Rectum Crocodile
Espace Grüber – Hall
du 1er au 4 avril

Caroline Guiela Nguyen
La Vérité
Salle Gignoux
du 23 au 30 avril / Création au TnS

Joël Pommerat
Marius
Espace Grüber – Hall
du 23 avril au 3 mai

Claire Lasne Darcueil
Je suis venu te chercher
Salle Koltès
du 24 au 30 avril / Création au TnS

TnS Comedy Club
Salle Koltès et Gignoux
du 12 au 17 mai

Marvin M’toumo / Groupe 48 de l’École du TNS
Les Indésirables (titre provisoire)
Espace Grüber – Hall
du 4 au 11 juin / Création au TnS