L’incroyable performeuse helvétique Cécile Laporte, quasiment seule en scène, raconte pendant 3 heures sa vie et pulvérise les codes de la représentation.
En guise d’introduction prometteuse, Marion Duval, metteuse en scène et amie proche de Cécile Laporte, s’adresse au public et s’interroge rhétoriquement : « Pourquoi j’ai choisi de vous faire endurer ce moment ? Beaucoup de gens s’épanouissent au contact de Cécile alors je vous l’offre en cadeau ». Sur un tabouret, l’actrice s’assoit et commence à parler, à se raconter. Tout semble presque improvisé. Elle revisite des morceaux non pas de sa vie, mais de ses vies au pluriel, tant elles paraissent nombreuses et aventureuses. À sa parole surabondante se joignent d’authentiques témoignages photos et vidéos. Mais la théâtralisation des évènements narrés ne peut que brouiller les pistes quant à leur véracité. Peu importe. Cela participe au vertige d’une proposition faussement foutraque, pleine de virages et de rebonds. Cécile aime divaguer, digresser, mais aussi échanger. Alors, elle se montre très attentive aux réactions de la salle, qui reste presque toujours allumée. Avec elle, la comédienne entretient un rapport particulier qui tient à une profonde familiarité. Si, au démarrage, émerge du côté du public, quelque peu déstabilisé, une sorte de méfiance dubitative, voire un peu irritée, ces réticences sont vite levées à la rencontre d’une interprète fonceuse et archi-douée.
À quoi avons-nous assisté ? L’expérience est assez inénarrable tant elle est inattendue. Au fil de récits autobiographiques souvent très drôles, tellement profus et spontanés, d’un parfait mauvais goût, assez trashs, mais tendres aussi, à l’instar d’un périlleux numéro de clown ou d’une orgie géante, plastiquement belle à succomber, la performeuse reparcourt son passé de conductrice de bus, d’animatrice azimutée dans un centre aéré pour personnes en situation de handicap, d’artiste clown en milieu hospitalier, d’activiste zadiste à Notre-Dame-des-Landes, d’actrice occasionnelle sur la plateforme de vidéos pornos-écolos Fuck for Forest, ou encore de prophétesse spirituelle au Mexique et en Mongolie. Certes délurée, Cécile est aussi une militante engagée contre toute forme de répression qu’elle soit politique ou intime.
Entre franche dérision et absolue nécessité, se dévoile une sacrée nature de femme et d’interprète, dont les ressources théâtrales et humaines sont vivifiantes. Si elle donne l’impression d’être en roue libre totale, elle maîtrise pourtant pleinement la situation et sait bien où elle veut nous embarquer. C’est la raison pour laquelle elle parvient à génialement décaler, et même transcender, la forme a priori invariante et étriquée du one woman show pour la faire évoluer du côté d’un objet bien moins consensuel, une performance assez démente, voire un ovni théâtral. En dépassant l’anecdote d’abord supposée, sans céder au volontarisme et se soumettre à la simple recherche d’efficacité, en assumant au contraire la provocation et la transgression, mais aussi une latence, une fragilité, un vertige qui cueillent, captivent et étreignent, elle fait se déployer une sorte de kaléidoscope émotionnel avec une liberté folle qui lui fait tout oser.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Cécile
Conception Marion Duval, Luca Depietri (KKuK)
Performance Cécile Laporte
Mise en scène Marion Duval
Dramaturgie Adina Secretan
Collaboration artistique et chant Louis Bonard
Costumes et marionnettes Severine Besson
Création son et composition Olivier Gabus
Lumières Florian Leduc
Scénographie et construction Florian Leduc, Djonam Saltani, Iommy Sanchez
Images et régie générale Diane Blondeau
Animations 3D Iommy Sanchez, Lauren Calero
Consultation philosophique Giorgio Palma (KKuK)
Collaboration images Felix BouttierDurée : 3 h (entracte compris)
du 9 au 19 octobre 2024
Théâtre de la Bastille
dans le cadre du festival d’Automne
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