François Hien n’en finit plus de nous épater. La Crèche : mécanique d’un conflit revient sur l’affaire de la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes qui a enflammé l’actualité il y a quinze ans. Un spectacle passionnant qui se permet, rien que ça, de prendre à bras le corps la toujours brûlante question du voile et des conflits autour de la laïcité.
Faudra-t-il se faire une religion d’aller voir chaque spectacle de François Hien ? Après l’urbanisme meurtrier, la zone grise du consentement ou encore l’euthanasie, l’auteur lyonnais s’attaque à la thématique de la laïcité. Comme souvent, il part pour cela d’un événement ayant défrayé la chronique, sur lequel il se documente minutieusement avant de le passer au tamis de la fiction. C’est cette fois la fameuse affaire de la crèche de Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes qui alimente l’histoire. Rappel des faits : en 2008, une employée y est licenciée parce qu’elle porte le foulard islamique malgré un règlement intérieur qui impose de demeurer dans une neutralité politique et confessionnelle. La crèche a pour spécificité d’être ouverte 24h/24, 7 jour sur 7. Créée au cœur d’un quartier à forte population musulmane, elle voulait permettre aux femmes seules ou travaillant en horaires décalés de pouvoir faire garder leurs enfants. Poursuivant l’ambition d’autonomiser ces femmes, elle privilégiait également un recrutement local et travaillait à favoriser la qualification et la progression professionnelle via une politique volontariste d’accès à la formation. Sa marraine, Élisabeth Badinter, ne sera pas pour rien dans la médiatisation du conflit. L’affaire locale de droit du travail deviendra vite un enjeu national du combat pour la laïcité. Les positions se raidissent alors, les propos s’extrémisent. Le conflit s’envenime et s’enlise, prend une dimension politique et judiciaire. Et la crèche déménage en 2013 dans la ville voisine de Conflans-Sainte Honorine.
C’est toute cette histoire, vue de l’intérieur et dans une recomposition fictionnelle, que retraverse La Crèche, mécanique d’un conflit. François Hien en avait écrit une première version en 2016 – c’était d’ailleurs sa première pièce. Il l’a retravaillée au plateau ou plutôt, comme on dit, à la table, avec la formidable troupe qu’il a recrutée pour l’occasion. Avec sa compagnie L’Harmonie communale, François Hien revendique d’avoir toujours procédé à de véritables mises en scène collective ( quand certaines n’en ont souvent que le nom). Vu la spécificité du projet, il s’est momentanément séparé de ses comédien.ne.s habituel.le.s et s’est entouré de neuf comédiennes, jeunes, issues de milieux différents, qui ont apporté leur précieuse contribution à cette nouvelle version, tant du point de vue du texte que de la mise en scène. Comme le dit François Hien, on ne regarde plus aujourd’hui la question du voile comme on pouvait le faire il y a quelques années. La pièce s’est donc enrichie de nouvelles sensibilités. On vous laissera découvrir lesquelles.
Car oui, il faut se faire une religion d’aller voir ce spectacle. Tout simplement parce qu’il déploie toute la complexité d’un conflit de personnes qui devient une polémique nationale. Parce qu’il poursuit l’utopie d’un monde qui saurait encore et toujours se parler et s’expliquer quand les divergences d’opinion paraissent de plus en plus fracturer le pays. Parce qu’il déploie une théâtralité simple et efficace, basée sur une parole qui ne cherche pas le réalisme mais la clarification des pensées et des ressentis. Parce qu’il recherche l’impossible objectivité sans jamais verser dans une neutralité gnangnan. Parce qu’il cherche à réconcilier les êtres sans occulter les luttes nécessaires et les phénomènes d’oppression à l’œuvre dans la société. Parce que ses neuf comédiennes font troupe et amènent au plateau des personnages que l’on n’y a jamais vus, des auxiliaires puéricultrices et des mères de famille voilées. Parce que les trois heures de dépliage d’une affaire nationale montrent à quel point les oppositions de principe et autres principes irréductibles construisent le malheur de la société civile. Parce que l’esprit du spectateur y est toujours en tension et en mouvement, toujours porté à se questionner. Parce qu’il montre à quel point les laïcards tendance Printemps Républicain font du mal. Parce qu’il n’occulte pas la justesse des combats féministes mais questionne les formes qu’ils doivent prendre aujourd’hui. Parce qu’il s’inscrit dans une thématique qui reste d’une redoutable actualité. Parce qu’il nous donne l’espoir et des moyens de s’entendre. Et esquisse pour cela le rôle qu’un artiste, un joueur de flûte, peut jouer. C’est impressionnant, sans jamais intimider, c’est incontournable. Si vous avez des enfants, il faudra les faire garder.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
mise en scène François Hien, Maudie Cosset-Chéneau, Clémentine Desgranges, Sigolène Pétey
dramaturgie conçue avec les interprètes du spectacle Clémentine Beth, Kadiatou Camara, Estelle Clément-Bealem, Imane Djellalil, Saffiya Laabab, Katayoon Latif, Flora Souchier, Emilie Waïche et Amélie Zekri. regard extérieur Arthur Fourcade création lumière et régie générale Benoit Brégeault costumes et scénographie Sigolène Pétey avec le soutien de l’atelier costumes du TNP stagiaires costumes Alice Chanrion, François Rey musique Kadiatou Camara et toute la distribution du spectacle direction musicale Martin Sève production et diffusion Pauline Favaloro et Nicolas Ligeon stagiaire production Antoine Delocheproduction Ballet Cosmique
aide à la production DRAC – Auvergne Rhône Alpes, région Auvergne Rhône Alpes coproduction Le Théâtre National Populaire – Villeurbanne, L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry, Pôle National Cirque en Ile-de-France en partenariat avec le GEIQ Théâtre/Compagnonnage avec le soutien de l’école de la Comédie de Saint-Étienne / DIESE# Auvergne-Rhône-AlpesDurée 3h avec entracte
TNP Villeurbanne
du vendredi 17 février au mercredi 1er mars 2023
Petit théâtre • salle Jean-BouiseTGP Saint-Denis
du 31 mars au 6 avril 2023
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