A la lueur d’une lune ardente et glacée, Elsa Dreisig dévoile au festival d’Aix-en-Provence sa première Salomé pleine de grâce enfantine et féline dans une mise en scène onirique et dépouillée, tout en clair-obscur.
Inspirée par l’univers romantique et la nature aussi vertigineuse que tourmentée de Caspar David Friedrich, la Salomé de Richard Strauss donnée au Grand Théâtre de Provence dans une mise en scène d’Andrea Breth se laisse découvrir derrière un rideau de tulle où se meut un monde crépusculaire, d’un noir presque morbide, insaisissable comme le sont les rêves et les désirs enfouis. En constante métamorphose, le plateau est recouvert d’ardoises qui se disloquent et se craquellent à l’envi. La lune, rond astre tutélaire, surplombe et éclaire la nuit.
C’est une lecture poétique, débarrassée d’orientalisme et surtout des clichés qui collent à la peau du personnage central que propose Andrea Breth considérant à raison son héroïne comme trop souvent assimilée à « une vamp ou une sorte de Lolita », une séductrice parfaitement consciente de l’effet qu’elle produit et qui peut par conséquent tout se permettre. Si la metteuse en scène tient à mettre en valeur l’extrême juvénilité de Salomé, c’est surtout pour traduire son innocence absolue. Ainsi la princesse se présente sous les traits ingénus de la soprano Elsa Dreisig qui fait sa prise de rôle et reçoit un triomphe. Délaissant les figures mozartiennes, elle parvient à incarner une intense et gracieuse Salomé.
Cheveux blonds, bras et jambes découverts, pieds nus, le corps pâle et frêle de porcelaine, la voix cristalline aux aigus à la fois lumineux et perçants, la chanteuse se fait à la fois fille gentille et chatte farouche, un brin somnambule et volontiers sauvageonne, se tenant à l’écart du jeune Narraboth transi d’amour, excellent Joel Prieto au timbre clair et puissant, comme de ses parents, le couple Herodes / Herodias solidement campé par John Daszak et Angela Denoke qui rivalisent de vaines tyrannie et frivolité. Elsa Dreisig est une Salomé insaisissable ou plus justement saisissante d’ambivalence telle que l’a exactement voulue Andrea Breth : une très jeune personne confrontée à la découverte d’une sexualité naissante et dévastatrice dont elle ne paraîtra jamais délivrée. Au dernier tableau, elle est à dessein montrée physiquement et mentalement prisonnière d’une sordide boîte exsangue salement carrelée.
Épatante de bout en bout, Elsa Dreisig prend place au cœur d’un travail inspiré et très soigné, indéniablement beau, presque un peu trop beau même, moins décapant qu’on ne pouvait l’envisager de la part d’Andrea Breth. La metteuse en scène dont on connait les approches plutôt analytiques aime d’habitude faire montre d’une acuité et une cruauté acérées pour fouiller au corps la psychologie des personnages. Elle livre ici un geste d’une étonnante tendresse qui empêche de pleinement pénétrer dans ce que l’œuvre contient de vraiment scandaleux et destructeur.
Le corps-à-corps attendu avec Jochanaan, l’élu bourru dont elle est éprise mais qui reste totalement rétif à sa tentation, n’a pas vraiment lieu. Gábor Bretz fait un prophète vocalement imposant mais scéniquement très contraint. Le corps est immobilisé dans une enclave souterraine puis la tête vissée sur un plateau d’argent comme dans les célèbres représentations picturales. Dans l’ensemble, l’expressivité charnelle semble trop contenue et l’érotisme latent tient davantage du fantasme exacerbé dans une danse des sept voiles qui n’existe que dans la psyché de Salomé. Couchée sur la table du banquet, celle-ci se rêve démultipliée et propulsée dans un songe impalpable asservie aux hommes qu’elle désire.
D’une manière plus débridée mais sans excès, Ingo Metzmacher plonge quant à lui dans le maelström sonore straussien. A la tête d’un Orchestre de Paris rutilant, il restitue à merveille l’âcre parfum et le soufre capiteux de cette partition luxurieuse et virulente tout en assurant la fluidité d’une musicalité lumineuse et raffinée. Les couleurs, les beautés enivrantes et les audacieuses aspérités de l’œuvre s’exaltent richement comme si la lune avait aussi eu son ascendant sur la fosse où la musique irradie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Salomé de Richard Strauss
DRAME EN UN ACTE, OP. 54
LIVRET DE RICHARD STRAUSS D’APRÈS SALOME D’OSCAR WILDE
CRÉÉ LE 9 DÉCEMBRE 1905 À L’OPÉRA ROYAL DE DRESDE
Direction musicale
Ingo Metzmacher
Mise en scène
Andrea Breth
Décors
Raimund Orfeo Voigt
Costumes
Alexandra Charles
Lumière
Alexander Koppelmann
Dramaturgie
Klaus Bertisch*
Chorégraphie
Beate Vollack
Assistant à la direction musicale
Michael Zlabinger
Chefs de chant
Frédéric Calendreau, Rupert Dussmann
Assistants à la mise en scène
Marcin Lakomicki, Robin Ormond
Assistante aux décors
Leonie Wolf
Assistante aux costumes
Brigitte Massey-Sersour
Salome
Elsa Dreisig*
Jochanaan
Gábor Bretz
Herodes
John Daszak
Herodias
Angela Denoke
Narraboth
Joel Prieto
Ein Page der Herodias
Carolyn Sproule
Erster Jude
Léo Vermot-Desroches
Zweiter Jude
Kristofer Lundin
Dritter Jude
Rodolphe Briand
Vierter Jude
Grégoire Mour
Fünfter Jude / Zweiter Soldat
Sulkhan Jaiani
Erster Nazarener / Ein Kappadozier
Kristján Jóhannesson
Zweiter Nazarener
Philippe-Nicolas Martin
Erster Soldat
Allen Boxer*
Eine Sklavin
Katharina Bierweiler
Danseuses et danseurs
Jacqueline Lopez, Martina Consoli, Beatriz De Oliveira Scabora, Alessia Rizzi
Orchestre
Orchestre de Paris
*Ancienne et ancien artiste de l’Académie
NOUVELLE PRODUCTION DU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCEDurée : 1h40 sans entracte
Festival d’Art Lyrique
GRAND THÉÂTRE DE PROVENCE
5 9 12 16 19 JUILLET
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