ExhumĂ© par lâOpĂ©ra-Comique, cet opĂ©ra mĂ©connu profite de la belle performance du tĂ©nor Michael Spyres et de la direction Ă©tincelante de Laurence Equilbey.
Depuis quâil a pris la tĂȘte de lâOpĂ©ra-Comique, Olivier Mantei sâest fait une spĂ©cialitĂ© de ressusciter des Ćuvres enterrĂ©s sous le poids des annĂ©es. AprĂšs « Le Timbre dâargent » ou « MĂąrouf, savetier du Caire », il a profitĂ© du bicentenaire de la naissance de Charles Gounod pour confier Ă Laurence Equilbey et David BobĂ©e lâune de ses partitions oubliĂ©es, La Nonne sanglante. Surtout connu pour son Faust et son RomĂ©o et Juliette, le romantique français sâĂ©tait emparĂ© du livret dâEugĂšne Scribe â Ă la suite de Berlioz qui lâavait finalement dĂ©laissĂ© â pour composer ce « grand opĂ©ra », restĂ© presque mort-nĂ©. AprĂšs onze reprĂ©sentations, malgrĂ© un succĂšs public et un accueil critique plutĂŽt favorable, le spectacle fut dĂ©programmĂ© par le nouveau directeur de lâOpĂ©ra de lâĂ©poque, François-Louis Crosnier, arguant quâil ne laisserait pas jouer plus longtemps « pareille ordure ». Depuis, lâĆuvre nâĂ©tait plus rĂ©apparue, sauf lors dâune discrĂšte production du ThĂ©Ăątre dâOsnabrĂŒck en 2008.
La faute Ă un livret vilipendĂ© par beaucoup, y compris par Gounod lui-mĂȘme. Dramaturgiquement hasardeux, riche en rimes pauvres, il se plait Ă distribuer les rĂŽles de façon trĂšs inĂ©gale : Ă Rodolphe les airs les plus fameux, aux autres les miettes, mĂȘme pour deux des personnages principaux, AgnĂšs et la Nonne sanglante, qui doivent se contenter des duos et des ensembles. Adaptation Ă la sauce romantique â et religieuse â du roman de Matthew Gregory Lewis The Monk, Ă partir dâune traduction de LĂ©on de Wailly, le librettiste de Benvenuto Cellini, La Nonne sanglante prend appui sur la lĂ©gende mĂ©diĂ©vale de la Nonne de Thuringe pour construire un RomĂ©o et Juliette Ă lâenvers. La clef de la concorde ne sera pas la mort des jeunes amants, mais le sacrifice des vieux dĂ©faillants.
Comme les Montaigu et les Capulet en leur temps, deux familles sâaffrontent. Pour rĂ©gler ce conflit et lier leur destin, Pierre lâErmite propose la classique solution du mariage entre AgnĂšs, la fille du baron de Moldaw, et ThĂ©obald, le fils aĂźnĂ© du comte de Luddorf. Unanimement saluĂ©, ce projet dâunion fait une victime collatĂ©rale, Rodolphe, le frĂšre de ThĂ©obald, qui nâa dâyeux que pour AgnĂšs. Les deux amants projettent de sâenfuir Ă la faveur de lâapparition rituelle dâun spectre, celui de la Nonne sanglante. Alors que Rodolphe croit distinguer sa belle, il tombe sur le vrai fantĂŽme, prĂ©nommĂ© aussi AgnĂšs, Ă qui, sans le savoir, il jure une fidĂ©litĂ© Ă©ternelle. Pieds et poings liĂ©s par ce serment, le jeune homme est hantĂ© chaque nuit par cette nonne qui exige dĂ©sormais de se marier avec lui.
De cette histoire aux relents gothiques et aux ressorts fantastiques, David BobĂ©e nâa retenu que la face la plus tĂ©nĂ©breuse. Empruntant au registre de lâheroic fantasy, il vitrifie lâintrigue dans une scĂ©nographie toute en carrelage noir. Aussi Ă©lĂ©gante soit-elle en dĂ©pit dâune crĂ©ation vidĂ©o peu inspirĂ©e, sa mise en scĂšne est trop systĂ©matique pour ĂȘtre totalement renversante et ne produit ses quelques Ă©tincelles qu’Ă l’occasion des moments de troupe â scĂšne dâouverture remaniĂ©e, banquet des aĂŻeux, fĂȘte nuptiale. Comme un contrepoint savamment orchestrĂ©, Laurence Equilbey se dĂ©mĂšne dans la fosse pour faire rĂ©sonner la partition de Gounod de la plus tonique des maniĂšres. Aux commandes de son Insula Orchestra, elle va jusquâĂ sublimer les instants musicaux les plus lĂ©gers et offre, par exemple, un Ă©crin musical de haute volĂ©e aux airs purement dĂ©coratifs du page Arthur.
LâintrĂ©pide Jodie Devos sây illustre par son jeu malicieux et sa belle tessiture soprano soutient sans problĂšme la comparaison avec Michael Spyres qui sâimpose comme la clef de voĂ»te de cette production. DĂ©jĂ remarquĂ© lâan passĂ©Â lors de la reprise de « La ClĂ©mence de Titus » Ă lâOpĂ©ra de Paris, le tĂ©nor amĂ©ricain, particuliĂšrement Ă lâaise dans lâopĂ©ra français, porte sur ses Ă©paules une large partie du plateau musical. GĂątĂ© par Gounod, il offre une profondeur dramatique au personnage de Rodolphe et brille par sa prĂ©sence Ă©tonnante de simplicitĂ©. Le soir de la premiĂšre, le public de lâOpĂ©ra-Comique ne sây est dâailleurs pas trompĂ© en lui offrant des applaudissements rĂ©guliers et un salut final en forme de triomphe.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
La Nonne sanglante
Opéra en cinq actes de Charles Gounod
Livret dâEugĂšne Scribe et Germain Delavigne
CrĂ©Ă© Ă lâOpĂ©ra le 18 octobre 1854
Direction musicale, Laurence Equilbey
Mise en scÚne, David Bobée
Dramaturgie, David Bobée et Laurence Equilbey
Collaboration artistique, Corinne Meyniel
Décors, David Bobée et Aurélie Lemaignen
Costumes, Alain Blanchot
LumiÚres, Stéphane Babi Aubert
Vidéo, José Gherrak
Recherches dramaturgiques, Anaëlle Leibovits Quenehen et Catherine Dewitt
Assistant musical et chef de chĆur, Christophe Grapperon
Assistante costumes, Camille Lamy
Chef de chant, NikolaĂŻ MaslenkoRodolphe, Michael Spyres
AgnĂšs, Vannina Santoni
La Nonne, Marion LebĂšgue
Le comte de Luddorf, André Heyboer
Arthur, Jodie Devos
Pierre lâErmite, Jean Teitgen
Le baron de Moldaw, Luc Bertin-Hugault
Fritz / Le Veilleur de nuit, Enguerrand de Hys
Anna, Olivia Doray
Arnold, Pierre-Antoine Chaumien
Norberg, Julien Neyer
Théobald, Vincent EvenoDanseurs, Stanislas Briche, Arnaud Chéron, Simon Frenay, Florent Mahoukou, Papythio Matoudidi, Marius Moguiba
Choeur, accentus
Orchestre, Insula OrchestraNouvelle production, Opéra Comique
Coproduction, Insula Orchestra, Bru ZaneDurée : 3 heures, entracte compris
Opéra Comique, Paris
Salle Favart
du 2 au 14 juin 2018
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