La metteuse en scène et l’auteur Kevin Keiss plongent avec sensibilité dans l’histoire méconnue des « Mercury 13 », ces femmes américaines qui, à l’égal des hommes, voulaient conquérir l’espace.
Tout se passe comme si Maëlle Poésy avait voulu reprendre là où elle s’était arrêtée. Ou presque. Dans ANIMA, créé lors de la 76e édition du Festival d’Avignon, la metteuse en scène s’était alliée à la photographe Noémie Goudal qui, depuis nombre d’années, s’intéresse aux travaux des paléoclimatologues, ces scientifiques qui fouillent dans le passé climatique pour tenter d’anticiper les mutations à venir. Façon, pour elle, d’explorer les temps anciens pour esquisser les contours d’un futur potentiel, et montrer la valeur d’un présent à sauvegarder. À cette performance immersive, située à la frontière du spectacle vivant et des arts plastiques, succède Cosmos, un nouveau-né de facture théâtrale apparemment beaucoup plus classique, mais à la logique souterraine puissamment connexe. Co-construit avec l’auteur et dramaturge Kevin Keiss, qui avait déjà participé aux créations de Candide, si c’est ça le meilleur des mondes, Ceux qui errent ne se trompent pas ou encore Sous d’autres cieux, ce projet fait, à nouveau, l’expérience de la distorsion du temps et se place, à nouveau, à l’écoute de l’environnement. Au-delà du medium scénique, seul change l’angle de vue : au lieu de tourner son regard vers la terre, Maëlle Poésy l’oriente vers le ciel pour inspecter, tout à la fois, les étoiles et le passé.
Pour cela, la metteuse en scène a décidé d’exhumer une histoire méconnue, celle des « Mercury 13 », ce groupe d’Américaines, toutes pilotes de ligne aguerries, qui, au début des années 1960, rêvaient de devenir l’égal des hommes et de pouvoir, elles aussi, aller dans l’espace. Problème : malgré leur multiples heures de vol au compteur, et leur envie furieuse chevillée au corps, elles ne remplissaient pas toutes les conditions requises, à commencer par la nécessité d’être pilote de chasse. À l’époque, la loi étatsunienne interdit aux femmes de piloter des avions à réaction et, par la même, d’embrasser une carrière dans l’armée de l’air, et donc de devenir astronaute. Alors que la guerre des étoiles fait rage entre les États-Unis et l’URSS, que les Soviétiques viennent de remporter les deux premières manches en envoyant Spoutnik, puis Youri Gagarine, en orbite, et que John Fitzgerald Kennedy fixe la conquête de la lune comme prochain objectif, le docteur Randy Lovelace, responsable pour la Nasa des tests médicaux des membres du groupe « Mercury Seven », qui vise à alimenter les équipages du programme spatial du même nom, décide de constituer, en parallèle, une cohorte de femmes, qu’il soumet aux mêmes exercices que leurs alter egos masculins. Au cours des deux premières phases, treize aspirantes passent les épreuves physiques et psychologiques avec brio, et surpassent même, parfois, les résultats des hommes. Las, lorsque s’annonce la troisième étape, tout s’arrête subitement, et sans aucune explication viable.
Cette aventure, Maëlle Poésy a choisi de l’incarner au travers des parcours de trois femmes, Jane, Jerrie et Wally, qui, toutes, ont participé à cette expérience déçue. Pour elle, comme pour Kevin Keiss, l’occasion est trop belle d’enchevêtrer les petites et la grande Histoire, de faire dialoguer les espoirs individuels et les contraintes politiques, mais aussi de combiner la conquête de l’espace et la bataille des minorités pour l’égalité réelle. Car, rapidement, le combat de ces femmes dépasse la simple addition de quêtes personnelles et toutes s’imposent comme les têtes de pont d’un mouvement d’émancipation féministe et proche de celui des droits civiques – « Si on ouvre un programme spatial aux minorités, après les femmes qui seront les prochains ? Les portoricains ? Les noirs ? », dit d’ailleurs Jane en rapportant les mots de Lyndon Johnson. À ces paroles qui, assemblées, forment un récit fictionné et dramaturgiquement tenu, l’auteur et la metteuse en scène ont cru bon d’ajouter des voix fictives. Celles d’une astrophysicienne, Domi, et d’une astrobiologiste, Elphège, nourries par les mots de vraies astrophysiciennes, telles François Combes, Fabienne Casoli, Nabila Aghanim, Miho Janvier, et de la spationaute française Claudie Haigneré. Mus par la volonté de dézoomer de la narration initiale pour lui apporter un cadre plus large, et plus cosmologique, ces ajouts s’arrêtent toutefois au milieu du gué et peinent à jouer leur rôle d’adjuvant poétique. En restant trop à la surface des rapports entre les humains et l’univers, ils contribuent même à diluer la portée politique du propos initial, et tendent à aplanir un relief dramatique qui n’en demandait pas tant.
La réelle dimension poétique vient alors du travail de mise en scène de Maëlle Poésy. Comme dans ANIMA, la directrice du Théâtre Dijon Bourgogne associent le jeu théâtral et les arts du cirque. Malgré un manque d’audace dans les aspects chorégraphiques et circassiens, qui restent souvent trop sages, cette façon d’entremêler les disciplines confère à l’ensemble une jolie sensibilité, à laquelle se mêle une appréhension très précise de l’espace scénique. Au-delà de la direction d’actrices qui permet à Caroline Arrouas, Jimy Lapert, Dominique Joannon, Elphège Kongombé Yamalé et Juliette Savary de donner une individualité à chacune des figures qu’elles incarnent, le travail vidéo de Quentin Vigier, tout comme la scénographie murale d’Hélène Jourdan qui, peu à peu, est transpercée par les coups de boutoir de ces femmes en quête d’un nouvel horizon, apportent une force scénique au texte de Kevin Keiss. À défaut de lui offrir l’occasion de toucher les étoiles ou de décrocher la lune, ils lui donnent les moyens de décoller de ce récit par-trop terrien, auquel son manque de lyrisme l’avait arrimé.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Cosmos
Conception, mise en scène Maëlle Poésy
Texte Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy
Avec Caroline Arrouas, Jimy Lapert, Dominique Joannon, Elphège Kongombé Yamalé, Juliette Savary (jusqu’au 19 décembre 2023) en alternance avec Mathilde-Edith Mennetrier et la participation de Kourou et de Kevin Keiss
Dramaturgie Kevin Keiss
Chorégraphie Leïla Ka
Scénographie Hélène Jourdan
Lumières Mathilde Chamoux
Vidéo Quentin Vigier
Son Samuel Favart-Mikcha
Costumes Camille Vallat
Assistanat à la mise en scène Joséphine Supe
Conception costumes d’astronautes Amélie Loisy, Julia Morlot avec l’aide de Florence Jeunet, Zazie Passajou, Laurence Rossignol, Annabelle Santos
Stagiaire costumes Mélody GerbetProduction Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national
Coproduction Compagnie Crossroad ; L’Azimut – Antony Châtenay-Malabry, Pôle National Cirque en Ile-de-France ; ThéâtredelaCité, Centre dramatique national de Toulouse ; Le théâtre de Saint-Nazaire, Scène nationale
Avec le soutien du Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national, du Théâtre de la Tempête du Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national et du FONPEPS.Le texte est publié aux éditions L’Œil du Prince – Librairie théâtrale.
Durée : 1h45
Théâtre Dijon Bourgogne, Centre dramatique national
du 19 octobre au 21 octobre, puis du 6 au 9 novembre 2023Le Quai, Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
du 28 au 30 novembreLe Lieu Unique, Scène nationale, Nantes
les 12 et 13 décembreLe Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire
le 19 décembreThéâtre Gérard-Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis
du 10 au 21 janvier 2024L’Azimut, Pôle national cirque en Île-de-France, Antony – Châtenay-Malabry
les 24 et 25 janvierThéâtredelaCité, Centre dramatique national, Toulouse
du 30 janvier au 3 févrierLa Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national
du 13 au 16 févrierCentre d’art et de culture, Meudon
le 27 marsThéâtre national de Strasbourg
du 3 au 7 avrilFestival SPRING – Festival international des nouvelles formes de cirque en Normandie, Vire
le 16 avril
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