Comédienne, metteuse en scène et autrice, Astrid Bayiha porte sur le monde un regard d’une grande sensibilité, avec toujours comme horizon de ne jamais rompre le pont qui relie le théâtre à son public.
On pourrait penser qu’elle sait où elle va, la démarche assurée, solaire, le long des quais de la Villette, à Paris, proche desquels elle habite. C’est pourtant une parole qui sinue et qui se dévoile par touche lorsque nous l’interrogeons sur sa vision du théâtre : Astrid Bayiha à des certitudes, mais aussi beaucoup de pudeur, et un questionnement constant chevillé au corps.
En tant que comédienne, elle a joué pour Stéphane Braunscheweig, Arnaud Churin, Bob Wilson, Irène Bonnaud, ou encore Eva Doumbia. Cette saison, elle est Angela Davis sous la direction de Paul Desveaux, elle a incarné madame Turner dans Welfare de Julie Deliquet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes et a présenté sa réinterprétation du mythe de Médée au théâtre de la Tempête. Trois figures féminines aussi fortes que multiples qui, bien que différentes, tutore l’artiste. “Ce sont des femmes puissantes qui, d’une manière ou d’une autre et à des degrés différents, transgressent ce qui leur est imposé” sourit-elle.
La magie, avec Médée
Avec M comme Médée, présenté en novembre au théâtre de la Tempête, la metteuse en scène explore à travers un camaïeu de textes et de langues différentes le mythe de la mère infanticide et exilée, pris en charge par un choeur de femmes. “Il y a eu un avant et un après M. comme Médée, confit-elle. C’est assez magique ce qu’il s’est passé à la Tempête, l’accueil du public s’est montré au-delà de ce que j’imaginais.”
Médée, cette magicienne trahie et chassée est une figure qui la hante depuis ses cours au Conservatoire national d’art dramatique où elle fait la rencontre marquante de Sandy Ouvrier qui lui propose d’interpréter le texte de Sénèque. Déjà dans Mamiwata, sa première mise en scène crée en 2015, Médée était présente, jumelée à un autre mythe issu des sociétés afro-descendantes : la mamiwata, la sirène, la fille des eaux.
Travailler la figure de l’étrangère, pour Astrid Bayiha, ce n’est pas anodin. “J’en suis une. Même si je suis née en France, on me voit de par mon identité comme une étrangère.” Dans chacune de ses créations la multiplicité des langues intervient dans l’espoir de “créer des ponts entre les cultures, entre les mondes”.
Le courage, avec Welfare
Jouer dans la Cour d’honneur du Palais des papes, ça représentait “un rêve” admet-elle. Elle nous a ému dans Welfare, l’adaptation du documentaire de Frederick Wisemanp, sous la direction de Julie Deliquet. “J’ai touché du doigt la sensation de rencontrer un vrai collectif, une vraie troupe. C’est quelque chose qui me manquait depuis de nombreuses années”. Elle y incarne Madame Turner, maman célibataire, qui lutte face à une administration implacable. Mère courage, livrée à elle-même, c’est une réalité qu’elle connaît. “Moi aussi je suis une mère célibataire et ma mère m’a élevée seule à partir de mes 9 ans. Même si je ne connais pas la même précarité que mon personnage, je sais ce que ça veut dire parfois de devoir prendre des décisions seule.”
Fille d’enseignants en comptabilité gestion et en physique-chimie, elle se souvient d’un grand-père écrivain qui l’a emmené sur le chemin de la littérature. Chez elle, on écoutait de la musique camerounaise, d’où sa mère est originaire, mais aussi de la variété française ou encore Michael Jackson. “Encore aujourd’hui ma mère est mon plus grand soutien” souffle-t-elle.
La lutte, avec Angela Davis
Pour Paul Desveaux, avec qui elle avait déjà travaillé dans Pearls en 2013, qui retraçait le parcours de Janis Joplin, elle prend cette fois les traits d’Angela Davis. Si l’incarnation d’une figure emblématique encore active dans l’histoire contemporaine relève du défi, le pont pour la rapprocher d’elle n’a pas été difficile à bâtir. “Je partage beaucoup de ses pensées notamment celles qui parlent de convergence des luttes et d’intersectionnalité. Ça a été passionnant de découvrir le chemin qui l’a mené jusqu’au bout de sa réflexion”.
Pour l’artiste, aucun projet n’est choisi au hasard. Dans J’accuse, de Sébastien Bournac, elle incarne une femme noire qui ne se sent pas intégrée dans son pays natal. “Je n’ai pas les mêmes frustrations que mon personnage, mais le racisme systémique existe, il est là, on ne peut pas faire comme s’il n’existait pas”.
Alors, quand on lui demande si la colère intervient parfois, Astrid Bayiha préfère sourire. “On réfléchi forcément à la violence lorsqu’on incarne Angela Davis par exemple. Et je peux entendre, que part moment il y ait besoin de se défendre, avec les moyens nécessaires. Tout simplement par souci de survie.” Cet été, la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, tué le 27 juin lors d’un contrôle de police, la heurte profondément, d’autant qu’elle intervient lors des premières représentation de Welfare. “On se demande à cet instant précis si le théâtre à encore son importance quand le monde continue de tourner aussi mal.”
Mais plutôt que la colère, elle préfère parler d’engagement et s’investit, à travers une poésie toujours intelligemment menée et l’amour des belles rencontres, dans un théâtre qui “plutôt que tracer des frontières, créé des ponts entre les gens”.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
Le Palmarès 2023 de Fanny Imbert
Un spectacle pour se faire chahuter : Carte noire nommée désir, Rébecca Chaillon
Un spectacle pour un nouveau lever du jour : Que ma joie demeure, Clara Hédouin
Un spectacle pour crier d’une même voix : Antigone in the Amazon, Milo Rau
Parce que le cirque peut beaucoup : Foutoir Céleste, compagnie du Cirque Exalté
De jeunes têtes à suivre : Hélène Bertrand, Margaux Desailly et Blanche Ripoche avec Sirènes, la compagnie Immersion avec Platonov, d’après Anton Tchekhov, la compagnie Brûler Détruire, avec Yvonne, d’après Witold Gombrowicz.
De beaux gestes : Cécile, Marion Duval et Chris Cadillac, Ma forêt fantôme Denis Lachaud et Vincent Dussart, Ex Machina Carole Thibault, M comme Médée Astrid Bayiha, Les 4 femmes de Dieu Marie Le Corre, Tarzana Foures, Séverine Bellini et Thaïlai Knight.
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