Augmentée d’un prologue et d’un épilogue, la pièce de Marivaux, que Jacques Vincey a confiée à cinq jeunes comédiens de l’Ensemble artistique du Théâtre Olympia, s’entrechoque avec notre monde.
Qu’a encore à nous dire L’Ile des esclaves ? Que peut encore signifier ce texte écrit il y a près de 300 ans par Marivaux ? Jacques Vincey s’est intensément posé la question, cette fois peut-être encore davantage que d’autres. Entouré par cinq jeunes comédiens de l’Ensemble artistique du Théâtre Olympia qu’il dirige, le metteur en scène a également cherché à faire dialoguer sa génération, quasi sexagénaire, avec la leur, presque trentenaire. A l’écoute du prologue très personnel prononcé par sa voix off, on comprend qu’il ne la cerne pas tout à fait, et surtout qu’il souhaite lui donner la parole. Son Île des esclaves est nourrie par ces questionnements temporels et sociétaux, sous-tendus par eux.
Dans cette « version de plateau », prolongement d’une « version foraine » plus légère, la scène est entièrement maculée de blanc. D’entrée de jeu, de la fausse mousse envahit la boîte noire. Écume produite par la mer qui entoure l’île sur laquelle le quatuor athénien tout de blanc vêtu vient de faire naufrage, elle symbolise aussi l’écume sociale que les personnages n’auront de cesse d’effeuiller, couche après couche, jusqu’à se retrouver mis à nu. Car, sur l’île des esclaves, les conventions ont volé en éclats. Sur ordre du magistrat Trivelin, les esclaves sont devenus les maîtres, et les maîtres les valets. Une inversion des rôles qui provoque, dans un premier temps, une réaction vengeresse. Aux coups qu’ils ont reçus pendant des années, les affranchis répondent par des mots, qui ridiculisent leurs anciens maîtres et mettent en lumière leurs errements passés.
Cette cruauté du langage, enfin libéré des faux-semblants, Jacques Vincey l’aiguise avec une direction d’acteurs tout en précision. Pour les cinq jeunes comédiens, L’Île des esclaves avait la saveur risquée des premières fois. Un défi qu’ils relèvent avec brio, notamment Charlotte Ngandeu et Thomas Christin. Quand la première révèle la face autoritaire et manipulatrice de Trivelin, le second parvient à donner du relief au personnage d’Arlequin, à faire passer pour naturel son retournement final, qui a souvent le goût frelaté des trucs et astuces dramaturgiques. A l’unisson, tous empoignent avec envie le texte pour l’amener jusqu’à nous. Dans l’élégante scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy, sous les belles lumières de Marie-Christine Soma, ils font de ce songe une réalité, permettent de s’interroger sur l’identité des maîtres et esclaves modernes, et posent la question d’une possibilité de mansuétude et de grandeur d’âme dans nos sociétés, devenues arides.
Dommage que cette belle proposition s’effiloche en un épilogue maladroit et superfétatoire. Avec une démarche mal assurée, les cinq comédiens y ôtent leurs costumes pour parler en leur nom et dire ce que la pièce a provoqué en eux. Pour Jacques Vincey, cette tentative d’écriture au plateau avait tout du pari. Elle se révèle malheureusement trop faible pour convaincre. Sa fine lecture de la pièce de Marivaux se suffisait à elle-même. Nul besoin de mettre en avant ses enjeux qui, aussi frontalement posés, paraissent s’affaiblir.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
L’Île des esclaves
de Marivaux
Mise en scène Jacques Vincey
Avec les comédiens de l’ensemble artistique du T° : Blanche Adilon, Thomas Christin, Mikaël Grédé, Charlotte Ngandeu et Diane Pasquet
Prologue et épilogue Camille Dagen et Jacques Vincey, en collaboration avec les interprètes
Collaboration artistique Camille Dagen
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Lumières Marie-Christine Soma
Costumes Céline Perrigon
Maquillage et perruques Cécile Kretschmar
Son Alexandre MeyerProduction Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia
Avec le soutien du dispositif Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire et la participation artistique du Jeune Théâtre National.Durée : 1h35
Théâtre Olympia, Centre dramatique national de Tours
du 25 septembre au 5 octobre 2019, puis du 23 au 31 janvier 2020 (version plateau)Amboise
les 17 et 18 octobre (version foraine)Le Préau, Centre dramatique national de Normandie-Vire
du 5 au 9 novembre (version foraine)L’Avant-Seine, Théâtre de Colombes
les 13 et 14 novembre (version plateau)MA scène nationale – Pays de Montbéliard
le 19 novembre (version plateau)L’Entracte, Scène conventionnée de Sablé
le 22 novembre (version foraine)Théâtre de Chartres
le 26 novembre (version plateau)L’Échalier à Saint-Agil
le 29 novembre (version foraine)Théâtre de Thouars
du 3 au 5 décembre (version foraine)Théâtre – Sénart, Scène nationale
du 17 au 20 décembre (version foraine)3T – Scène conventionnée de Châtellerault
le 12 mars (version plateau)Théâtre du Cloître, Scène conventionnée de Bellac
le 19 mars (version plateau)Théâtre – Sénart, Scène nationale
du 1er au 3 avril (version plateau)Théâtre d’Orléans (programmation ATAO)
le 8 avril (version plateau)Scène nationale d’Aubusson
les 4 et 5 mai (version plateau)
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