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« Le Canard » boîteux de Thomas Ostermeier

Décevant, Festival d'Avignon, Les critiques, Théâtre
Thomas Ostermeier monte Le Canard Sauvage d'Ibsen au Festival d'Avignon 2025
Thomas Ostermeier monte Le Canard Sauvage d'Ibsen au Festival d'Avignon 2025

Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Reposé sur ses acquis artistiques, le metteur en scène allemand et patron de la Schaubühne ne parvient pas, au long de l’adaptation contemporaine qu’il en livre au Festival d’Avignon, à donner une quelconque intensité à la pièce d’Ibsen.

Aux yeux des spectatrices et spectateurs fidèles du travail de Thomas Ostermeier, Le Canard sauvage apparaîtra comme le spectacle de toutes les réminiscences. Réminiscence liée à un lieu, l’Opéra Grand Avignon, où le metteur en scène est venu livrer plusieurs spectacles, dont un Richard III d’anthologie il y a tout juste dix ans ; réminiscence liée à un acteur, Thomas Bading, qui, en 2012, incarnait le docteur Stockmann dans la version endiablée d’Un ennemi du peuple que le patron de la Schaubühne avait présentée au Festival d’Avignon, et que l’on retrouve ici sous les traits de Hjalmar Ekdal. Réminiscence liée à un auteur, Ibsen, que, au-delà d’Un ennemi du peuple, l’artiste a bien souvent su sublimer, d’Une maison de poupée à Hedda Gabler, en passant par John Gabriel Borkman et, dans une moindre mesure, Les Revenants ; réminiscence liée à un subterfuge scénographique, la tournette, dont Thomas Ostermeier a beaucoup usé (et abusé) et qu’il ressuscite à l’occasion de cette nouvelle création, pour passer en un tour de main du cabinet de travail de Werle à l’appartement-atelier de la famille Ekdal. Alléché par ces multiples ramifications en forme de savoureuses madeleines de Proust, le public était alors en droit d’espérer que le géant allemand renoue avec ses grandes heures, qu’il tourne la page de plusieurs années de déceptions, causées, pêle-mêle, par ses adaptations du Bella Figura de Yasmina Reza, de La Mouette de Tchekhov, de Retour à Reims de Didier Eribon, du Vernon Subutex de Virginie Despentes ou encore du Roi Lear de Shakespeare. Las, il est peu de dire que le metteur en scène n’a pas honoré ses retrouvailles avec les spectatrices et les spectateurs avignonnais, tant sa version du Canard sauvage se révèle terne, morne et apathique, incapable de fournir une quelconque intensité à la pièce d’Henrik Ibsen.

Au substrat d’origine, Thomas Ostermeier a pourtant fait subir un traitement de choc afin, dit-il, « de (le) dépoussiérer quelque peu et d’en moderniser la langue ». Avec sa complice Maja Zade, il s’est livré à une adaptation en règle – jusqu’à changer plus des trois-quarts du texte, a-t-il confié à nos confrères de Libération – qui fait disparaître moult figures secondaires (tels l’ancien étudiant en théologie Molvik et les domestiques), resserre l’intrigue et entend, surtout, la propulser dans notre époque. Au coeur d’un intérieur étonnamment dépareillé, où les meubles et le lambris dignes des années 1970-1980 côtoient un ordinateur permettant de faire des retouches sur Photoshop, où le grenier a été transformé en débarras qui accueille toujours le vieil Ekdal – réduit au rang de vieux poivrot légèrement cintré –, ses poules, ses pigeons, ses lapins et son fameux canard sauvage, les personnages d’Ibsen n’apparaissent pas tout à fait tels qu’en eux-mêmes. Si Gregers Werle a toujours la rectitude d’un missionnaire de la vérité, obnubilé par l’idée de faire exploser le carcan mensonger dans lequel vivent les Ekdal, afin de racheter, pense-t-il, la faute de son patriarche qui a précipité leur chute, Hjalmar passe davantage pour un pauvre nécessiteux, un peu feignant sur les bords, que comme un déclassé social qui entend faire bella figura pour conserver l’illusion de son ancien rang et susciter l’admiration de sa famille, qui croit, tout aussi mordicus que lui, à ce grand projet – dont il ne livre jamais les détails – capable, prétend-il, de les sortir de la misère et de racheter l’honneur perdu de son père. À ses côtés, son épouse, Gina, ancienne domestique du père Werle et tenancière de l’entreprise de photo de son mari, s’avère presque aussi émancipée que sa fille, Hedvig, qu’Ostermeier a cru bon de faire vieillir de quelques années afin de la métamorphoser en aspirante journaliste, déçue par l’enseignement scolaire auquel elle préfère un travail de recherche sur la précarité et le féminisme.

Loin d’être problématiques en elles-mêmes, ces retouches dramaturgiques s’avèrent malheureusement plus faibles et moins subtiles que la pièce d’origine, et tendent à distendre les liens qui, en dépit du déclassement qu’ils subissent, unissent fortement les Ekdal, et expliquent la préciosité du mirage dans lequel ils vivent, en dépit de son caractère partiellement mensonger. Dès lors, les ténèbres où ils sont propulsés par les révélations de Gregers – qui entend pourtant, avec des accents quasi mystiques, pour ne pas dire religieux, propager la lumière de la vérité – apparaissent beaucoup moins cruelles que dans le texte ibsénien et leur lente descente vers l’abîme peine à gagner en intensité. Alors que la plume d’Ibsen s’échine, par touches subreptices, à tisser patiemment la toile dans laquelle l’ensemble des personnages se retrouve bientôt prisonniers, Thomas Ostermeier frôle parfois la caricature de l’habitus prolétaire, et tout semble couru d’avance, voire cousu de fil blanc. À l’avenant, le metteur en scène malmène les parallèles métaphoriques de la pièce. Au-delà de l’absence de la forêt vengeresse – réduite à une collection de sapins morts dans le débarras –, il en va ainsi de la figure du canard sauvage, dont on peine ici à comprendre, à cause d’une curieuse entreprise de simplification, à quel point elle peut constituer un double animalier particulièrement fin des Ekdal père et fils – abattue par Werle, la bête est finalement sauvée de la noyade par son chien de chasse qui, tout en le remontant à la surface, le blesse à la patte. Privée de cette dimension symbolique, le spectacle échoue alors à gagner en mystère et en profondeur, et à se sortir du pur réalisme dans lequel il semble rapidement s’enferrer.

D’autant que, en matière de mise en scène, et contrairement à ce qu’il avait su faire dans un lointain passé, Thomas Ostermeier ne fait preuve d’aucune audace formelle en mesure de réveiller le plateau. Réfugié dans ses gimmicks scéniques, qui apparaissent aujourd’hui un peu éculés, de l’utilisation de la tournette à chaque fin d’acte au recours à la musique à intervalles un peu trop attendus, l’artiste allemand paraît se reposer sur ses acquis et avoir développé une aversion à toute prise de risque. Malgré la qualité de jeu des comédiennes et comédiens de la troupe de la Schaubühne, toutes et tous apparaissent sous-exploités par une direction d’acteurs trop sage et les moments qui, de manière largement téléphonée, entendent briser le ronronnement et l’homogénéité d’ensemble tombent passablement et tristement à plat. De la confession à l’avant-scène sur une tentative de suicide au court morceau interprété par Hjalmar à la guitare électrique – qui a remplacé la flûte du XIXe siècle –, en passant par l’adresse public façon stand-up de Gregers qui, si elle n’est pas sans rappeler la harangue du docteur Stockmann dans Un ennemi du peuple, est ici beaucoup plus artificielle, Thomas Ostermeier prouve, à son corps défendant, qu’il n’est plus tout à fait capable d’affoler une scène de théâtre, d’aller au-delà d’un art qui, sous son vernis soi-disant politique, se complait dans une sagesse petite bourgeoise, inapte à produire la moindre vague. Ainsi déçus, nous voilà donc contraints de nous réfugier dans nos souvenirs, ceux d’un temps où le tandem Ibsen-Ostermeier produisait de furieuses et brillantes étincelles, où l’artiste allemand avait la stature, pas uniquement physique, d’un géant.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Le Canard sauvage
Texte Henrik Ibsen
Adaptation Maja Zade, Thomas Ostermeier
Basé sur la traduction allemande Hinrich Schmidt-Henkel
Mise en scène Thomas Ostermeier
Avec Thomas Bading, Marie Burchard, Stephanie Eidt, Marcel Kohler, Magdalena Lermer, Falk Rockstroh, David Ruland, Stefan Stern
Scénographie Magda Willi
Costumes Vanessa Sampaio Borgmann
Musique Sylvain Jacques
Dramaturgie Maja Zade
Lumière Erich Schneider

Production Schaubühne Berlin
Coproduction Festival d’Avignon, Teatro di Roma – Teatro Nazionale

Durée : 3h (entracte compris)

Festival d’Avignon, Opéra Grand Avignon
du 5 au 16 juillet 2025, à 17h

Schaubühne, Berlin (Allemagne)
du 12 au 21 septembre

Teatro Argentina, Rome (Italie)
les 23 et 24 janvier 2026

6 juillet 2025/par Vincent Bouquet
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