Un Roi Lear au ras de la lande
À la Comédie-Française, le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier ne parvient à donner ni souffle, ni intensité, ni orientation claire au chef-d’oeuvre crépusculaire de Shakespeare.
William Shakespeare réussit, en théorie, fort bien à Thomas Ostermeier. Et inversement. Avec Lars Norén et Henrik Ibsen, le dramaturge anglais fait partie des auteurs fétiches du metteur en scène allemand, de ceux à qui il ne cesse de revenir à intervalles plus ou moins réguliers. Du Songe d’une nuit d’été à Othello, de Mesure pour mesure à Richard III, en passant par Hamlet, le directeur de la Schaubühne a su, au cours des quinze dernières années, faire vibrer ces classiques, les radicaliser et les parer de noir pour en extraire la dimension la plus chaotique, tant humaine que politique. C’est du reste avec une autre pièce de Shakespeare, La Nuit des rois, que le géant berlinois avait fait ses premiers pas en 2018 salle Richelieu dans une ambiance autrement plus électrique et délurée, pour ne pas dire potache. Avec cette production antérieure, Le Roi Lear, qu’il fait entrer en ce début de saison au répertoire de la Comédie-Française, entretient d’ailleurs un lien de parenté évident : même traducteur – Olivier Cadiot –, même excroissance scénographique – une passerelle qui scinde le parterre en deux – et distribution cousine avec le retour de Denis Podalydès, Stéphane Varupenne, Christophe Montenez ou encore Julien Frison – en alternance avec Gaël Kamilindi. Las, avec les mêmes ingrédients de base, la magie peine cette fois à opérer et tout se passe comme si Thomas Ostermeier avait buté sur le chef-d’œuvre shakespearien, en ne sachant pas franchement quel cap lui donner.
Concoctée avec Elisa Leroy, son adaptation fait en premier lieu le pari réussi de la limpidité pour permettre à tout un chacun de ne pas se perdre dans la lande. Aux destins de Goneril, Regan et Cordelia, ses trois filles à qui Lear veut céder son royaume pour, dit-il, « se traîner sans encombre vers la mort », le metteur en scène offre un déroulé on-ne-peut-plus clair et posé, capable d’absorber sans coup férir l’intrigue parallèle de Gloucester et de ses deux fils, Edgar et Edmund, qui vient percuter la première et se voit accorder une place de choix et une importance particulière. À ceci près que, au long des événements et des complots de palais qui rapprochent les personnages du précipice, l’ensemble se révèle dramaturgiquement saccadé et conçu comme un enchaînement de saynètes qui permettrait à chaque comédienne et comédien de faire son petit numéro. Pourtant épique en diable, la pièce de Shakespeare peine alors à renouer avec le souffle et l’intensité qu’on lui connait. Elle semble même parfois s’embourber, handicapée par ce faux rythme, sans cadence, ni vision globale, dans lequel Thomas Ostermeier l’a enfermée.
Car, c’est bien d’une lecture et d’une orientation claire que manque, avant tout, ce Roi Lear. Exceptées quelques scories qui ont, tout au plus, l’allure de coquetteries – la féminisation énigmatique du personnage de Kent, un épilogue remanié qui supprime l’un des passages les plus magnifiques de la pièce d’origine… –, l’absence de vision du metteur en scène allemand s’avère criante, et accouche d’un spectacle trop lisse, sage, fade et terne qui passe à côté de l’immense majorité des enjeux shakespeariens – la fin d’un monde, l’avènement « de plus jeunes forces » aux aspirations dévorantes et aux méthodes cruelles… – et tente de leur substituer, sans y parvenir, un vague questionnement sur la vieillesse et le pouvoir au féminin. À l’avenant, la traduction toute en prose d’Olivier Cadiot tire, elle aussi à hue et à dia. Écartelée entre le trivial et le poétique, elle paraît sacrifier le lyrisme sur l’autel de l’accessibilité. Elle fait perdre au texte une large partie de sa substance, de sa beauté et de sa dynamique naturelle.
Vaguement soutenus par une mise en scène qui, au-delà de l’utilisation d’un mur de LED et de néons, apparaît assez pauvre en idées, insuffisamment dirigés – comme si Thomas Ostermeier, par excès de confiance, les avait laissés seuls à la barre –, les comédiens-français, et c’est assez rare pour être souligné, sont à la peine. Exceptions faites de Christophe Montenez, Noam Morgensztern et Stéphane Varupenne, tous convaincants dans leurs rôles respectifs d’Edmund, d’Edgar et de Fou du roi, mi-hommes, mi-délirants, le reste de la distribution a tout le mal du monde à donner une réelle dimension aux personnages shakespeariens. Tandis que Jennifer Decker et Marina Hands propulsent Regan et Goneril dans un machiavélisme qui sonne tristement faux, Claïna Clavaron et Denis Podalydès, lorsqu’il ne cabotine pas, se révèlent largement inconsistants, voire ectoplasmiques, incapables de procurer à Cordelia et Lear le lustre qu’ils méritent. Ainsi perdus dans la lande, sans boussole, ni cap, tous y batifolent au lieu de s’y (dé)battre, alors que Shakespeare leur fournissait, pour ce faire, toutes les armes nécessaires.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le Roi Lear
d’après William Shakespeare
Mise en scène Thomas Ostermeier
Adaptation Thomas Ostermeier, Elisa Leroy
Traduction Olivier Cadiot
Avec Éric Génovèse, Denis Podalydès, Stéphane Varupenne, Christophe Montenez, Jennifer Decker, Noam Morgensztern, Julien Frison en alternance avec Gaël Kamilindi, Marina Hands, Claïna Clavaron, Séphora Pondi, Nicolas Chupin, et les trompettistes Noé Nillni, Henri Deléger en alternance avec Arthur Escriva
Dramaturgie et assistanat à la mise en scène Elisa Leroy
Scénographie et costumes Nina Wetzel
Lumière Marie-Christine Soma
Vidéo Sébastien Dupouey
Musiques originales Nils Ostendorf
Réglage des combats Jérôme Westholm
Assistanat à la scénographie Zoé Pautet
Assistanat aux costumes Magdaléna Calloc’hLe Roi Lear, traduit de l’anglais par Olivier Cadiot, est publié aux éditions P.O.L, collection « Fiction », 1er septembre 2022
Durée : 2h45
Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris
du 30 septembre 2022 au 26 février 2023Cinémas Pathé
En direct le 9 février et en rediffusion à partir du 26 février
Merci de retranscrire la triste vérité : c’est raté !
Enthousiastes nous l étions et pas qu un peu à l idée de cette représentation. Quelle déception après 20 min… costumes anachroniques et hors de propos mise en scène pauvre malgré un budget qu’on devine conséquent, manque de liant entre les scènes, seul les rôles de Lear Edmund et Gloucester ont un peu de consistance. Denis Podalydes sauve la pièce du naufrage en restant concentré d un bout a l’autre.
Cordelia est aux abonnées absents : malgré sa beauté la comédienne manque de nuances, les 2 sœurs jouées par des comédiennes émérites n arrivent pas à donner de la consistance aux rôles qu’elles incarnent tantôt insipides tantôt hystériques, le paroxysme du pire revenant au rôle de Kent qui est un massacre… la comédienne est à côté de la plaque pardon mademoiselle mais il faut revoir votre jeu et vos intonations.
Une jolie mais bien isolée scène de combat au ralenti
Une scène catastrophique et loufoque sous une tente quechua
Un passage bcp trop long d’un délire de Lear s adressant à la nature sous le feu des trompettes et d une projection vidéo dont on peine à comprendre l essence
Pas de texte en vers pour vulgariser très certainement…Shakespeare, sa poésie sa complexité est loin trés loin et c est fort dommage. Presque 3h c’est long, surtout quand ce n’est pas bon…
N’en jetez plus la coupe est pleine
Passez votre chemin et allez voir autre chose c’est vraiment dommage.