Avec Molière 3.0, qui se déroule jusqu’au 28 août, Éric Vigner pose la première pierre de son Centre de recherche théâtrale. Il espère associer et pérenniser la rencontre entre le monde universitaire et les artistes pour y déployer des créations et des conférences autour du répertoire classique.
Ce jeudi 25 août 2022, à la mairie de Pau, le metteur en scène Éric Vigner a pris la place de François Bayrou. Que les Palois et les Paloises se rassurent, le président du Modem est toujours aux commandes de leur commune ; l’artiste breton n’a pas commis de putsch pour prendre le Béarn. Ce dernier pilote depuis 2020 la programmation du théâtre Saint-Louis, situé dans l’enceinte de l’hôtel de ville. De cette salle municipale, il lance son ambitieux projet. En sillonnant Pau, de grandes affiches placardées sur les murs annoncent la couleur : « Molière 3.0 ». Trois pièces de l’auteur quadruple centenaire doivent être jouées lors de ce long week-end, l’une d’Hélène Babu (Les Fâcheux), l’autre d’Arthur Nauzyciel (Le Malade imaginaire ou le silence de Molière) et la dernière de lui-même (Dom Juan A4). Un festival pour clôturer la saison ? « C’est bien plus que ça, balaie-t-il, cela n’a même rien à voir. »
En effet, ce « Molière 3.0 » n’est que la première pierre d’un édifice bien plus grand. Il s’agit, pour être précis, d’une « manifestation pour la préfiguration d’un Centre de recherche et de création théâtrale de Pau consacré au XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle ». Un brin austère, cette appellation à rallonge a de quoi faire fuir l’aoûtien en goguette. Mais Éric Vigner assume. « L’idée est de constituer un pôle où artistes et chercheurs pourront se côtoyer et travailler ensemble dans le patrimoine palois », explique-t-il. En ligne de mire : le label national « Centre culturel de rencontre », sur le modèle de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, qui rendrait tout possible. À terme, Éric Vigner aimerait obtenir un lieu pérenne d’où organiser une, voire deux manifestations par an. La municipalité est partante. Le ministère de la Culture aussi, a priori… Convaincre la DRAC serait un plus. À voir, surtout, si les subventions nationales suivront, et s’amplifieront. En période de disette, cela n’a rien d’évident. Rima Abdul Malak s’est rendue cet été dans le fief de François Bayrou pour rencontrer Éric Vigner et son équipe. La ministre de la Culture a quitté le Béarn en déclarant que Pau était « un laboratoire culturel », ce qui n’est pas mauvais signe.
Éric Vigner aime les défis. À Lorient, il a monté de toute pièce le CDN de la ville. À Pau, qu’il découvre depuis deux ans, il aimerait renouveler la réussite. « C’est une municipalité qui a été complètement écartée de la décentralisation, poursuit l’intéressé. Il n’y a ni Scène Nationale, ni Centre Dramatique National… Tout reste à faire. Le public est en demande. Avec son patrimoine architectural magnifique et son histoire, l’imaginaire collectif y est fort (à Pau, trône en majesté le château des rois des Navarre qui a vu naître Henri IV), mais la culture classique n’y est pas suffisamment mise en valeur. » Qu’à cela ne tienne, avec son Molière 3.0, il veut prouver que le projet a un sens. En plus des trois pièces, une série de conférences y sera donnée. Des chercheurs venus du Centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours, de l’université de Paris-Nanterre et même de la fac NYU à New York sont attendus. « À terme, les spécialistes travailleront en amont des créations pour apporter leur savoir et contextualiser les œuvres. » Autrement dit, il veut « re-contemporaniser » les classiques en consacrant un auteur à chaque manifestation. Aujourd’hui Molière. L’an prochain… une autrice ? Beau projet.
Côté artistique, les deux spectacles vus à l’occasion de la soirée d’ouverture étaient réussis – il faudra rattraper la (re)création d’Arthur Nauzyciel ailleurs dans le courant de l’année. Les Fâcheux, la toute première pièce écrite par Molière (rarement montée) mise en scène par Hélène Babu, valait le détour pour Thibault de Montalembert virevoltant, bousculé par d’intempestifs opportuns, et la beauté de la cour du château où elle se jouait. Le Dom Juan revisité par Éric Vigner s’imposait comme le temps fort du jeudi dans l’écrin renversé du théâtre Saint-Louis (le public, sur le plateau, découvrait le théâtre italien en toile de fond ; une jolie trouvaille) et la performance de ses excellents jeunes acteurs (Jules Sagot, Bénédicte Cerutti, Eva Loriquet et Jutta Johanna Weiss). De quoi préfigurer le centre de recherche sous les plus beaux auspices. Vivement la suite.
Igor Hansen-Love – sceneweb.fr
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