Avec En prévision de la fin du monde et de la création d’un nouveau, l’autrice et metteuse en scène imagine une prise d’otage sur fond de divergences politiques, où la violence première s’efface rapidement devant le besoin de concorde.
À la demande des Théâtrales Charles Dullin, Pauline Sales est allée y voir de plus près, du côté des enfants et de cette conscience politique que, bien souvent, les adultes leur refusent, arguant, comme sur d’autres thèmes, qu’il s’agit d’une « histoire de grands ». A ces élèves du Val-de-Marne et d’ailleurs, l’autrice et metteuse en scène a administré un questionnaire. En classe, au sein d’un conseil municipal ou individuellement, tous ont joué le jeu, et elle a pu les entendre « osciller entre conservatisme et esprit de progrès, entre végétarisme assumé et envie de mordre dans un McDo, entre rêve de vie à la campagne et peur de s’embêter hors de la ville, entre envie de gagner beaucoup d’argent et souhait de vivre avec peu, entre désir de s’engager dans des luttes qui semblent justes et volonté de s’occuper de leurs futurs enfants en priorité, entre rêve d’un amour unique et visions d’amours multiples ». Preuve, s’il en fallait une, que les interrogations des plus jeunes n’ont rien à envier à celles de leurs aînés, qu’elles croisent et remettent sur le métier, qu’ils sont au moins aussi mâtures qu’eux quand il s’agit d’appréhender le politique, et non la politique qui voit son auditoire se réduire comme peau de chagrin.
À partir de ce substrat, Pauline Sales a choisi, comme elle en a l’habitude, de tricoter une fable contemporaine où la violence première laisse peu à peu place à une volonté farouche de s’entendre. Entre Madison, Sofia et Ethan, tout commence pourtant de façon on-ne-peut-plus musclée. Retranchée dans un bunker survivaliste, où sont empilés les boîtes de conserve, d’œufs et autres briques de lait pour tenir un siège, ou résister à la fin du monde, la première a décidé de ligoter, bâillonner et prendre en otage la seconde qui n’est autre que la maire du conseil municipal pour enfants de la ville. Le garçon de l’affaire, lui, est une sorte de complice passif, presque par défaut, plus préoccupé par l’organisation d’une boum « pour pécho » que par les débats politiques de ses deux camarades. Car, à travers les deux jeunes filles, ce sont deux façons de voir le politique qui s’affrontent : Sofia est réformiste, de ceux qui pensent que la logique des petits pas peut progressivement faire changer la société, trop réformiste au goût de Madison qui s’impose, dans la manière comme dans les idées, comme la plus radicale des deux.
Cette prise d’otage, elle la voit comme un moyen de faire valoir, et entendre, ses revendications – qui n’ont recueilli aucun suffrage à la dernière élection du conseil municipal pour enfants, plombées par son slogan « La fin du monde, c’est pour demain » –, notamment un revenu minimum d’existence pour enfants, le droit à disposer de son corps d’enfant, le droit à choisir son éducation, le droit à choisir ses parents, le droit à choisir son lieu de vie ou encore l’obligation de faire un cours en plein air. Sous leurs airs un peu naïfs, ces nouveaux droits et devoirs témoignent d’une envie profonde de voir la société évoluée pour éviter la fin du monde que Madison, rongée par l’éco-anxiété, sent arriver en même temps que le péril écologique. Surtout, elles trahissent, bien vite, des racines sociales et une histoire familiale très différentes de celles de Sofia, élevée dans un cocon protecteur alors que sa camarade a été éduquée à la dure.
Avec la plume qu’on lui connaît, Pauline Sales ne sombre jamais ni dans le didactisme forcené, ni dans le manque d’exigence intellectuelle. Aux enfants qui peuplent la salle des Plateaux Sauvages, elle propose un texte ciselé, façonné à leur attention, capable de mettre d’importants sujets à leur portée, d’alterner les moments d’effroi et de rire, d’entremêler les accès de violence toujours calculés et le fil rouge de l’entente et de la discussion, comme si tout, en définitive, se réglait davantage par la parole que par l’agressivité, par les mots que par les poings. Si elle fait appel, avec justesse, à ces gimmicks qui parlent, parfois de façon troublante, à la jeune génération – à l’image de cette vidéo de la prise d’otage filmée au portable –, elle ne force jamais le trait, et s’attache, au-delà du débat, moins binaire qu’il n’y paraît, à révéler le lien entre origines sociales et orientations politiques, noué dès le plus jeune âge.
À l’avenant, sa mise en scène manie avec doigté les conséquences de la situation anxiogène qu’elle a imaginée, et réussit à faire monter la tension sans que l’ensemble ne devienne trop effrayant, voire traumatisant. Le jeune public réagit alors aux moindres soubresauts scéniques et dramaturgiques, et parvient même à s’identifier aux trois personnages qui, s’ils ont leur âge, sont incarnés par de jeunes adultes. C’est que, sans les singer, sans chercher à « jouer l’enfant », Jacques-Joël Delgado, Vinora Epp et Cloé Lastère (en alternance avec Noémie Pasteger) se servent du texte de Pauline Sales comme d’un tremplin pour se mettre, eux aussi, à leur hauteur. Le trio s’avère parfait pour incarner ce mélange de maturité et de naïveté, et pour tenir tête à ces adultes qui s’échinent à vouloir tout régler alors que les jeunes n’en ont nul besoin. Comme si les parents avaient, contrairement à ce qu’ils pensent souvent, maintes et maintes choses à apprendre de leurs enfants.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
En prévision de la fin du monde et de la création d’un nouveau
Texte et mise en scène Pauline Sales
Avec Jacques-Joël Delgado, Vinora Epp, Cloé Lastère ou Noémie Pasteger
Création sonore et musicale Simon Aeschimann
Costumes Nathalie Matriciani
Coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Scénographie Damien Caille-Perret
Création lumière Xavier LiboisProduction Compagnie À L’Envi
Une commande d’écriture des Théâtrales Charles Dullin – Festival de la création contemporaine en Val-de-Marne
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Coproduction Les Théâtrales Charles Dullin, Théâtre André Malraux Chevilly Larue, Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique et Communauté d’agglomération Mont Saint-Michel – Normandie
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux SauvagesLa compagnie À l’Envi est conventionnée par la DRAC Ile-de-France.
Durée : 55 minutes
La Grange Dimière, Fresnes, dans le cadre des Théâtrales Charles Dullin
le 26 novembre 2022Gentilly
les 2 et 3 décembreThéâtre de Choisy-le-Roi
les 4 et 5 décembreThéâtre de la Joliette, Marseille
du 9 au 12 mai 2023
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