Texte incisif et au final assez inégal, Un sentiment de vie offre une matière théâtrale dont se saisissent avec maîtrise la metteuse en scène Émilie Charriot et la comédienne Valérie Dréville.
Avant-dernier texte de théâtre de Claudine Galea publié en 2021, Un sentiment de vie est une pièce sans ponctuation ni personnages, où des voix s’adressent à d’autres (nous, lecteurs ou spectateurs), pour parler de l’écriture et de la vie à travers ou avec elle. Adaptant ce texte de Claudine Galea (autrice associée au TNS dans le cadre du projet de Stanislas Nordey), la metteuse en scène trentenaire Émilie Charriot – dont le travail fut découvert au mitan des années 2010 avec l’adaptation de King Kong Théorie de Virginie Despentes – dirige avec rigueur et précision Valérie Dréville (également associée au TNS de Nordey). Entrant sur le plateau par le fond de scène sobrement vêtue, venant se planter au centre du plateau baigné d’une lumière à la douce intensité (la salle elle-même demeurant dans la lumière, manière de convoquer l’écoute du public), la comédienne s’adresse à nous directement. Il va en aller ainsi tout le long de la représentation. Pour autant à chacune des trois séquences constituant le spectacle, de menues inflexions dans l’adresse, dans les intentions et dans le jeu de Valérie Dréville se feront sentir.
Ce texte, donc, est articulé en trois parties – auxquelles correspondent trois temps d’écriture et trois dialogues différents. Comme l’autrice Claudine Galea le raconte volontiers, le premier, publié dans le numéro de Parages – revue éditée par le TNS – consacré à Falk Richter, est une commande. C’est à partir de cet écrit franc et direct destiné à l’auteur et metteur en scène allemand (également associé au TNS de Nordey, décidément) que Galea a pressenti la nécessité de prolonger l’écriture. Et ce sont, ainsi, des écritures singulières et en même temps traversées de préoccupations et de motifs communs que l’ensemble déplie.
Dans le premier, Galea part de My Secret Garden (pièce où Richter aborde son enfance et ses relations avec ses parents), qui l’a beaucoup marqué, pour évoquer la nécessité d’écrire à son tour sur ses parents, notamment son père ; ainsi que la manière dont elle – et dont de manière générale « on » – écrit : soit non pas « pour » mais « avec ». Écrire, c’est pour elle avancer dans les pas d’un autre, se glisser pour partie dans sa langue, sa syntaxe – et qui connaît la langue de Falk Richter pourra y voir une parentèle avec l’écriture tranchante et percutante de Galea. Dans le deuxième texte (my way), elle s’attelle à un texte sur son père et sur le cancer qui lui a rongé la mâchoire à travers le récit à deux voix de cette fin de vie. Dans les considérations et dialogues entremêlés du père et de la fille, dans la présence lancinante de chansons de Frank Sinatra, chanteur favori du père, se raconte comment la maladie a rebattu les cartes de leur relation, et comment l’écriture peut venir conjurer, réparer des non-dits et silences trop lourds à porter. Le troisième texte (this is (not the end)) évoque à la première personne le rapport à l’écriture, pose ce geste comme relevant d’une nécessité impérieuse, d’un sentiment de vie, tout en reconnaissant sa part d’impuissance : c’est avéré, écrire ne « sauve » pas. Il y a dans ce propos mâtiné là encore d’autobiographie une adresse possible à toute personne écrivant ; et plus largement, un encouragement adressé à toutes et tous à continuer : continuer à vivre, en pratiquant selon chacun ce qui procure « un sentiment de vie ».
Pourtant, et quoique cette question de l’enjeu de l’écriture soit passionnante, cette dernière partie enferre le spectacle dans un propos plus étriqué. Si l’on y retrouve des motifs présents dans les deux précédentes séquences (comme l’évocation du poète allemand du XVIIIe siècle Lenz, notamment), cette ultime partie s’appuie sur une litanie de noms d’autrices, d’artistes, d’écrivains suicidés, mutilés ou ayant été soumis à des morts violentes : Paul Celan, Ingeborg Bachmann, Marina Tsvetaïeva, Sylvia Plath, Janis Joplin, Nina Simone, Paul Gauguin, etc. Visant à étayer l’idée selon laquelle rien ne sauve de la mort (et pas l’écriture, donc), cette liste participe d’une romantisation de la figure de l’artiste assez suspecte. Outre que les suicides comme les morts violentes ne sont pas l’apanage des créateurs, on rappellera tout de même fissa que ce procédé évacue les réalités politiques et sociales diverses ayant participé des souffrances psychiques comme physiques diverses elles aussi. Ce faisant, cette position resserre le spectacle sur un propos où se ressasse dans un entre-soi assez vain une vision éculée des artistes.
C’est à l’évidence par son interprétation et sa mise en scène à la radicalité exemplaire – en ce qu’elles ne cèdent à aucune facilités ni artifices spectaculaires – que Un sentiment de vie restera dans les mémoires. Émilie Charriot signe un travail d’orfèvre, ciselé avec précision et où le dépouillement (plateau nu, absence de musiques, lumières modestes) permet à Valérie Dréville de révéler toute sa puissance de jeu. Saisissante, celle-ci s’exprime par la retenue, l’absence d’excès, la subtilité et l’absence d’afféteries. Ce travail à l’os – pour lequel on pressent que la metteuse en scène et la comédienne ont travaillé ensemble et « avec » plutôt que « pour » – marque par son épure absolue et la capacité de Dréville à transmettre le texte dans ses moindres mouvements. Et à insuffler à la pièce un sentiment de vie intense, parfois au-delà même de son propos …
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Un sentiment de vie
Texte Claudine Galea*
Mise en scène Émilie Charriot
Avec Valérie Dréville*
Lumière Édouard Hugli
Costumes Émilie Loiseau* Artistes associées au TNS.
Production Compagnie Émilie Charriot
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre Vidy-Lausanne
Coréalisation Théâtre des Bouffes du Nord
Claudine Galea est représentée par L’Arche, agence théâtrale.
Un sentiment de vie est publié aux éditions Espaces 34.
Création au TNS le 17 janvier 2023SOUTIEN
La compagnie est au bénéfice d’une convention de subventionnement avec la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud
Fondation LeenaardsREMERCIEMENT
ODÉON-Théâtre de l’EuropeDurée 1h10
TNS
du 17 au 27 janvier 2023Théâtre Vidy-Lausanne
du 1er au 11 février 2023Théâtre des Bouffes du Nord
du 11 au 28 janvier 2024
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