En compagnie de quatre jeunes et talentueux comédiens, Fanny de Chaillé plonge, avec une gourmandise non feinte et une ironie mordante, dans la pratique et la fabrique de l’art dramatique, et dessine un panorama drôle, enlevé et d’une infinie richesse.
« […] C’est impossible de raconter l’histoire du théâtre, ça dure depuis des siècles, c’est dans tous les pays du monde. Déjà on a du mal à maîtriser l’histoire du théâtre et là en plus on veut en faire une autre… » D’emblée, Fanny de Chaillé mesure la difficulté du pari qu’à travers un simple titre elle s’est imposé : tricoter Une autre histoire du théâtre. Avant elle, le metteur en scène Milo Rau a lui aussi tenté cette expérience au long de son cycle Histoire(s) du théâtre. Pour éviter de tomber dans le piège de la leçon rébarbative, de l’exposé réservé aux spécialistes, de la recension chronologique, et forcément lacunaire, le directeur du NTGent a choisi de procéder par étapes, de demander à des artistes – Faustin Linyekula, Angélica Liddell, Miet Warlop, et bientôt Rabih Mroué – de plonger à sa suite dans l’histoire de leur théâtre et d’y réfléchir comme forme d’art. Afin d’enjamber les mêmes chausse-trapes, Fanny de Chaillé a également pris la tangente. Sur la scène du Théâtre Public de Montreuil, elle a confié à quatre jeunes comédiens le soin d’interroger leurs pratiques du théâtre, sa fabrique et ses évolutions, et transforme ce qui aurait pu être scolaire, élitiste et ennuyeux en expédition intime et universelle, drôle et brillante.
Ce quatuor bourré de talent, la metteuse en scène l’a rencontré lors de sa dernière création, Le Choeur, proposé dans le cadre du dispositif Talents Adami Théâtre. À chacune et chacun de ses membres, âgés de 25 à 30 ans, elle a réclamé des pierres pour bâtir un édifice commun fait d’archives mémorables et de retours d’expérience, de grands moments de théâtre et de petits instants de vécu, de textes du répertoire et de débats du temps présent. Entre deux discussions collectives, souvent enflammées, s’invitent alors, le plus souvent sans s’annoncer, Louis Jouvet et Jeanne Moreau, Richard III et Hedda Gabler, Pina Bausch et Stella Adler, Phèdre et Elvire, Jerzy Grotowski et Giorgio Strehler, Martin Wutke qui interprète Arturo Ui et Dario Fo qui décortique L’Illusion comique de Corneille. Loin d’être un vulgaire empilement de références, d’arguments d’autorité et d’anecdotes, cet enchevêtrement s’impose comme un formidable tremplin pour explorer les différentes facettes de l’art dramatique, révéler les mutations et les doutes qui le façonnent, remettre en perspective sa construction, sa fragilité et son humanité.
Sur un plateau nu, tout juste équipé de deux micros et éclairé par trois rampes lumineuses, les comédiens s’interpellent, se confient et se réapproprient les monuments et les personnages qu’ils convoquent pour leur redonner vie. Sans avoir l’air d’y toucher, dans un enchaînement d’une remarquable fluidité, ils abordent directement ou par la bande une variété de questions éternelles et contemporaines. Du rôle du spectateur à l’importance plus ou moins relative de la scénographie, des techniques d’interprétation au métier d’acteur, de la toute-puissance discutée et discutable du metteur en scène à la place des femmes, de l’évolution des modes de jeu au rapport au corps, de l’envie de devenir comédien à l’impact de la technique, ils dessinent, au gré des scènes, un panorama d’une infinie richesse. La démarche a quelque chose de jouissif dans sa façon de ne prendre personne de haut, mais plutôt à revers, de porter un regard à la fois touchant, ironique et sarcastique sur le théâtre tel qu’il s’est pratiqué et se pratique encore.
À intervalles réguliers, elle parvient même à mettre le doigt sur la magie de l’art dramatique et ses paradoxes : il ne faut rien, et en même temps beaucoup, pour faire théâtre, plus que d’aucuns peuvent en tous cas l’imaginer quand ils sont sagement assis dans leurs fauteuils rouges. Cette réussite qui s’affranchit des codes habituels de toute « histoire », Fanny de Chaillé la doit avant tout à ses jeunes comédiens qui insufflent à sa pièce cette fraîcheur et cette envie de croquer le plateau à pleines dents sur lesquelles les bons spectacles reposent souvent tout entier. Dans un mouvement de va-et-vient constant entre constitution d’un collectif et affirmation de leur individualité, Margot Viala, Valentine Vittoz, Malo Martin et Tom Verschueren passent de la moquerie au plus grand sérieux, d’un personnage du répertoire à leur propre rôle avec une étonnante agilité, et offrent à leur autre histoire cette petite étincelle qui nous rappelle pourquoi nous aimons tant le théâtre et pourquoi chaque soir, ou presque, nous y retournons.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Une autre histoire du théâtre
Conception et mise en scène Fanny de Chaillé
Avec Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala, Valentine Vittoz
Assistant Christophe Ives
Lumières Willy Cessa
Son Manuel Coursin
Musiques Malo Martin
Régie lumière Jérémie Sananes
Régie son Clément BernardeauProduction Association Display
Coproduction Malraux scène nationale Chambéry Savoie ; Festival d’Automne à Paris ; Chaillot – Théâtre national de la Danse ; Théâtre Public de Montreuil – Centre dramatique national ; Le Quartz, scène nationale de Brest ; Points communs – Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise ; Théâtre nouvelle génération – CDN de Lyon ; Le Lieu unique – Centre de culture contemporaine de Nantes ; Théâtre Garonne, scène européenne de Toulouse ; Théâtre Molière, Sète, scène nationale archipel de Thau ; La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale
Coréalisation Théâtre Public de Montreuil – CDN ; Festival d’Automne à ParisDisplay est conventionnée par le ministère de la Culture, DRAC Auvergne Rhône-Alpes et labellisée « compagnie Auvergne Rhône-Alpes » par la Région.
Durée : 1h
28 et 29 septembre 2023
Les 3T, scène conventionnée de Châtelleraultdu 4 au 6 octobre 2023
Bonlieu, scène nationale d’Annecy12 octobre
La Faïencerie, Théâtre de Creil dans le cadre du Festival d’automne à Paris14 octobre
Les Passerelles, scène de Paris – Vallée de la Marne à Pontault-Combault dans le cadre du Festival d’automne à du13 au 16 février 2024
Comédie de Caen, CDN de Normandie22 et 23 février 2024
Théâtre de L’Aire Libre – Saint-Jacques-de-la-Landes / Rennes14 et 15 mars
Théâtre de Rungis21 et 22 mars
La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieucdu 26 au 28 mars 2024
Le Quartz, scène nationale de Brest4 et 5 avril
Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provencedu 9 au 11 avril 2024
La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale18 avril
Théâtre d’Arles, deux scènes municipales22 et 23 avril
Théâtre La Vignette, scène conventionnée de Montpellier24 et 25 avril 2024
Théâtre de Nîmes16 et 17 mai 2024
Le Grand T, Théâtre de Loire-Atlantiquedu 29 au 31 mai
Scène nationale d’ALBI-Tarn
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