Aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, la jeune metteuse en scène déçoit et ne réussit à donner ni ampleur à l’histoire, ni épaisseur aux personnages du dernier roman de Philip Roth.
Dans le parcours de Tiphaine Raffier, Némésis représentait, si ce n’est un tournant, à tout le moins une étape. Jusqu’ici la jeune artiste avait toujours mis en scène ses propres textes qui, pièce après pièce, sont parvenus à atteindre un niveau d’exigence dramaturgique et de richesse intellectuelle rare. D’abord inspirée par sa vie (La chanson, dont un « reboot » est actuellement en tournée), elle s’est rapidement, et brillamment, tournée vers la science-fiction (Dans le nom, France-fantôme), avant d’accoucher d’un spectacle total, La réponse des Hommes, où tout, du texte à la direction d’acteurs en passant par l’esthétique, était à ce point maîtrisé que l’osmose y paraissait naturelle. Las, en choisissant d’adapter librement, avec l’aide de Lucas Samain, le dernier roman de Philip Roth, en décidant de s’emparer d’une œuvre autre que la sienne, la metteuse en scène semble, cette fois, être tombée sur un os, incapable de donner du relief à la fresque en terrain épidémique de l’auteur américain.
Avec un terrain de jeu pour premier centre névralgique, son histoire prend racine dans la ville de Newark, située dans la banlieue de New-York, et plus précisément dans le quartier juif de Weequahic. Alors que la plupart des hommes de son âge sont partis au front en cet été 1944, Buck Cantor, réformé pour cause de myopie sévère, doit se contenter de gérer un espace sportif réservé aux enfants. Aimé de tous, l’instructeur exerce son métier avec zèle, jusqu’au jour où une épidémie de poliomyélite se déclare et frappe, les uns après les autres, les jeunes gens dont il a la charge. Animé par un sens du devoir presque maladif, encouragé par des parents inquiets, Buck commence à mener l’enquête pour trouver la cause de la propagation de la maladie. Au gré des on-dit glanés çà et là, il soupçonne le vent, puis les bouteilles de lait, puis les hot-dogs de chez Syd’s, avant, sur fond de Shoah, d’accuser Dieu lui-même d’être à l’origine du mal. Un temps raisonnable, sa quête prend alors un tour obsessionnel et le précipite dans un délire mégalomaniaque qui le pousse à quitter Newark pour rejoindre Indian Hill, un camp de vacances pour enfants à l’allure paradisiaque, qui, pour l’heure, échappe encore aux ravages de l’épidémie.
Personnification d’une Amérique ivre de sa toute-puissance, chronique de territoires rendus coupables par la folie des Hommes, l’ultime roman de Philip Roth regorge de tiroirs et de niveaux de lecture dont il est nécessaire de s’emparer. Problème : dans la scénographie logiquement carcérale – eu égard à l’espace mental étriqué de Buck –, mais trop massive d’Hélène Jourdan, le récit dessiné par l’auteur américain paraît étouffé et n’être jamais en mesure de se déployer pleinement. Coutumière des mises en scène riches et dynamiques, Tiphaine Raffier se contente cette fois de trois tableaux figés, comme autant de parties de l’oeuvre d’origine, qui, au lieu de lui donner du souffle, contribuent à cristalliser l’ensemble. Surtout, son habituelle grammaire scénique, dont la vidéo était jusqu’ici l’un des piliers fondamentaux, se trouve réduite à quelques scories – pour certaines déjà vues, à l’image de l’animation indienne dans le camp d’Indian Hill qui n’est pas sans rappeler une scène de La réponse des Hommes – trop anecdotiques et insuffisamment puissantes pour convaincre. Comme si elle avait été intimidée par l’ampleur de l’adaptation à réaliser, la metteuse en scène se borne à dérouler, le plus clairement possible, l’histoire imaginée par Philip Roth, sans en creuser, grâce à une lecture plus acérée, les enjeux sous-jacents.
Sensé dans sa façon de traduire scéniquement le vrai-faux paradis d’Indian Hill où tout serait réglé comme du papier à musique, même le coup de poker de la deuxième partie, en forme de comédie musicale, tombe, en dépit de son audace, largement à plat. Malgré l’engagement des musiciennes et musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus, tout, au plateau, est loin d’être parfait, à commencer par la performance des comédiens qui, poussés dans leurs retranchements, chantent dramatiquement faux. Considérablement renouvelée par rapport à celle de ses précédents spectacles, la distribution retenue par Tiphaine Raffier apparaît d’ailleurs, et plus globalement, en dedans. Insuffisamment dirigés, aux commandes de figures mal dégrossies, les acteurs peinent à donner une réelle épaisseur aux personnages ciselés par Philip Roth, et en premier lieu à Buck lui-même. Plutôt qu’en héros acharné et adulé de tous, en enquêteur mégalo dont la déesse Némésis châtie l’hybris, Alexandre Gonin le campe de façon transparente, fantomatique et monochrome, à la manière d’un triste sire condamné avant même d’avoir fauté. Seuls les deux acteurs les plus expérimentés, Eric Challier et Stuart Seide, réussissent à tirer leur épingle du jeu et à offrir chair et couleur aux individus qu’ils incarnent. Malheureusement, il en faudrait bien plus pour renouer avec l’éclat théâtral et la stimulation intellectuelle auxquels Tiphaine Raffier nous avait si bien habitués.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Némésis
Librement adapté du roman de Philip Roth
Adaptation Tiphaine Raffier, Lucas Samain
Mise en scène Tiphaine Raffier
Avec Clara Bretheau, Eric Challier, Maxime Dambrin, Judith Derouin, Juliet Doucet, François Godart, Alexandre Gonin, Maika Louakairim, Tom Menanteau, Hélène Patarot, Edith Proust, Stuart Seide, Adrien Serre, et les musicien·ne·s de l’ensemble Miroirs Etendus Clément Darlu, Emmanuel Jacquet, Lucas Ounissi, Clémence Sarda, Claire Voisin
Avec la participation de huit chanteurs du Choeur d’enfants du Conservatoire de Saint-Denis
Direction Erwan Picquet
Dramaturgie, assistanat à la mise en scène Lucas Samain
Musique Guillaume Bachelé
Arrangements musicaux Pierre Marescaux, Clément Darlu
Scénographie Hélène Jourdan, assistée d’Alice Girardet
Lumière Kelig Le Bars
Vidéo Pierre Martin Oriol
Son Hugo Hamman
Chorégraphies collectives dirigées par Pep Garrigues
Costumes Caroline Tavernier
Couturière Valérie Simonneau
Perruques, maquillage Judith Scotto assistée d’Emmanuelle Flisseau
Direction technique Olivier FlouryProduction La femme coupée en deux
Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe ; Théâtre National Populaire de Villeurbanne ; Théâtre de Lorient – CDN de Bretagne ; Comédie de Béthune ; Théâtre de la Cité – CDN de Toulouse-Occitanie ; Maison de la Culture d’Amiens ; Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France ; La Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale ; La Rose des vents – scène nationale Lille-Métropole Villeneuve d’Ascq ; Le Volcan – scène nationale du Havre ; Le Phénix – scène Nationale de Valenciennes ; Miroirs Étendus ; Scène nationale 61 – Alençon
Avec le soutien du Cercle de l’Odéon, du ministère de la Culture et de la Fondation d’entreprise Hermès
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national
Avec le soutien du fonds d’insertion de l’École du TNB
Accueil en résidence à Malakoff scène nationaleLa compagnie La femme coupée en deux bénéficie du soutien du ministère de la Culture / DRAC Hauts-de-France, au titre de l’aide aux compagnies conventionnées et est soutenue par la région Hauts-de-France.
Durée : 2h45
Odéon Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier, Paris
du 24 mars au 21 avril 2023Théâtre de Lorient, Centre dramatique national de Bretagne
les 16 et 17 mai 2023
Pas du tout d’accord avec cette recension négative d’une mise en scène que nous avons trouvé pour notre part exceptionnelle, et servie par une distribution également remarquable. Le résultat obtenu est bouleversant et nous n’étions pas les seuls à ovationner cette extraordinaire performance.
Merci je partage totalement votre avis, j’ai été furieuse d’avoir perdu mon temps. En ne lisant que des avis enchantés je me suis mise à douter. On s’ennuie, le texte tombe à plat, les acteurs n’ont pas reçu de direction afin de vous émouvoir. Et ce Disney ridicule. Bref dommage.