Au TNB, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste poussent les feux de la tragi-comédie délirante et troublante de Gombrowicz. Mus par la folle énergie du collectif, les jeunes comédiens de l’Ecole du TNB et les acteurs de la troupe Catalyse font sauter les stigmates et se briser les faux-semblants.
Madeleine Louarn et Jean-François Auguste ne reculent, décidément, devant aucun défi. Pour sceller la rencontre organisée entre les acteurs en situation de handicap de la troupe Catalyse et les jeunes comédiens de la promotion 10 de l’École du Théâtre National de Bretagne, les deux metteurs en scène n’ont pas choisi une pièce passe-partout, du genre facile à monter. Ils ont opté pour l’ultime œuvre de Witold Gombrowicz, Opérette, maintes fois remaniée par son auteur, et dont peu, très peu d’artistes ont osé s’emparer. Et pour cause. A priori, cette tragi-comédie a tout de la pièce-monstre, située en terrain extrêmement glissant, avec ses multiples entrées, son nombre de rôles pléthorique et sa kyrielle de chausse-trapes.
Orchestrée telle une opérette, exceptée la partition, laissée au bon soin du metteur en scène, elle en reprend les codes pour mieux les parodier. L’intrigue, si on la conte, tient dans un mouchoir de poche : deux nobliaux, le comte Agénor et le baron Firulet, se jaugent à coups de parties de cartes et de conquêtes féminines. L’un en dénombre 257 et l’autre 256, et tous deux vont s’affronter pour remporter le cœur de la belle Albertinette, la fille de l’épicier, moins naïve qu’elle n’en a l’air. Sauf que Gombrowicz déploie autour de cette trame minimaliste un univers qui la décuple. Car, dans ce monde de la mode où l’habit fait tellement le moine que l’on ne veut plus s’en séparer et que l’on attend la parole de Flor, son pape parisien, davantage que celle du curé, c’est une lutte des classes qui se joue entre les seigneurs, les bourgeois et les valets, sur fond de montée des idéologies. Fasciste d’un côté, communiste de l’autre, elles menacent de faire exploser la société, de l’entraîner dans une ravageuse révolution. L’appel à la nudité et la jeunesse deviennent alors des armes létales pour quiconque voudrait renverser l’ordre établi, bouffi de vanité déliquescente et de certitudes méprisantes.
Quitte à s’en saisir, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste poussent les feux de cette pièce aussi délirante que troublante. Grâce à la composition musicale de David Neerman, interprétée en live par les élèves-comédiens-musiciens-chanteurs, qui prouvent, à cette occasion, qu’ils savent tout faire, ils chauffent le plateau à blanc. Ils utilisent l’ironie mordante de Gombrowicz pour accentuer le trait du burlesque, voire du grotesque, et ridiculiser ceux qui, parés de leurs beaux costumes – signés Clémence Delille –, croient tenir la société entre leurs mains, mais ne sont, en réalité, que les laquais des faux-semblants dans lesquels ils sont enfermés. Cette audace, les vingt jeunes comédiens de l’Ecole du TNB et les six acteurs de Catalyse l’alimentent avec un plaisir de jouer qui fait plaisir à voir. Leur folle énergie, nourrie par le collectif, et les étincelles provoquées par leur rencontre – d’où sont nées une complicité et une entraide bien visibles au plateau – enflamment le spectacle qui jamais, au long de ses plus de 2h40, ne baisse en intensité.
Pour autant, armés de leur fine lecture, Madeleine Louarn et Jean-François Auguste ne noient pas le propos de Gombrowicz. Au contraire. Ils repèrent et valorisent les passages où le dramaturge intervient, politiquement, socialement, philosophiquement, et évitent que ce délire d’opérette ne se transforme en fatras informe, d’où rien n’émergerait. Ils font ressortir ces fragments textuels plus denses que d’autres, nichés au milieu de ces répliques qui, comme le veut la tradition de l’opérette, sont, malgré leur faible intérêt individuel, répétées à l’envi et n’ont de sens que lorsqu’elles sont assemblées et martelées. Servie par une distribution intelligente, qui prend en compte les particularités de chacun, sans faire de cadeau à personne, leur direction d’acteurs au cordeau laisse une grande liberté à la fougue des comédiens sans jamais se laisser déborder. Au rang de ceux qui sortent du lot, on peut citer la touchante Christelle Podeur. À son personnage à part, qui met, sans le vouloir, le feu aux poudres, elle confère une présence, mâtinée d’étrangeté, qui renforce encore son pouvoir d’influence. En réclamant la nudité, la voilà qui entraîne la société vers plus d’égalité. Tout un symbole.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Opérette
Texte Witold Gombrowicz
Mise en scène Madeleine Louarn, Jean-Françoise Auguste
Avec les 6 comédien·ne·s de Catalyse : Tristan Cantin, Manon Carpentier, Guillaume Drouadaine, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic
Et les 20 jeunes acteur·rice·s de l’École du TNB : Hinda Abdelaoui, Olga Abolina, Louis Atlan, Laure Blatter, Aymen Bouchou, Clara Bretheau, Valentin Clabault, Maxime Crochard, Amélie Gratias, Romain Gy, Alice Kudlak, Julien Lewkowicz, Arthur Rémi, Raphaëlle Rousseau, Salomé Scotto, Merwane Tajouiti, Maxime Thébault, Lucas van Poucke, Mathilde Viseux, Lalou Wysocka
Composition musicale David Neerman
Travail vocal Valérie Philippin
Costumes Clémence Delille, Atelier du Théâtre national de Bretagne
Lumières Michel Bertrand
Scénographie Jean-François AugusteProduction Théâtre National de Bretagne
Coproduction Théâtre de l’Entresort
En partenariat avec l’ESAT Genêts d’Or / Atelier Catalyse et le SE/cW (Morlaix)
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Remerciements au Théâtre National de Strasbourg
Avec le soutien de la Fondation BPGO et du Crédit Agricole 29
Prix « Coup de cœur Solidaire » de la Fondation SNCFDurée : 2h40
Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 8 au 16 octobre 2020SEcW, Morlaix
du 5 au 7 novembre
Bonjour, arrêtez l’écriture inclusive votre texte en devient illisible et décourage d’aller jusqu’au bout !