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« Pétrole » : Creuzevault dans l’antre fascinante de Pasolini

Annecy, Coup de coeur, Lausanne, Les critiques, Paris, Reims, Saint-Etienne, Théâtre
Sylvain Creuzevault adapte Pétrole de Pasolini
Sylvain Creuzevault adapte Pétrole de Pasolini

Photo Jean-Louis Fernandez

À Bonlieu Scène nationale d’Annecy, le metteur en scène Sylvain Creuzevault s’approprie, avec une maestria certaine, l’ultime chef-d’oeuvre inachevé de l’artiste italien et révèle le caractère oraculaire de cette somme hallucinée et hallucinante.

Interrogé par Olivier Neveux dans le cadre du passionnant entretien qui vient de paraître dans la collection Méthodes des Éditions Théâtrales sous le titre Sérieux – pas sérieux, Sylvain Creuzevault « définit » son geste artistique comme une « construction de l’inachèvement », avant de préciser : « J’aime les espaces qui sont entre deux vies. J’aime moins ce qui a pleine fonction. Tout ça m’a amené à inachever ce que le théâtre d’habitude s’entête à fignoler. […] Bien sûr, je n’inachève pas pour qu’on dise que c’est mal foutu. Mais que c’est foutu main. J’aime qu’il reste des traces de mains. J’aime laisser visible comment c’est fait, et jusqu’où c’est fait, et ça, de la dramaturgie à la peinture. […] Par ailleurs – rien à voir, mais si, un peu quand même ! –, j’aime les oeuvres elles-mêmes inachevées, ou premières, inaugurales, mal foutues… ou tellement éloignées du théâtre a priori qu’y mettre la main produit nécessairement une sorte d’altération négative […] que leur passage au théâtre les détruira ». Après Marx (Le Capital et son Singe), Dostoïevski (Les Démons, Scènes d’Adolescent, Le Grand Inquisiteur, Les Frères Karamazov) et Peter Weiss (L’Esthétique de la résistance), le metteur en scène s’est tourné vers Pasolini – qu’il malaxe, en parallèle, avec les élèves de troisième année du Conservatoire dans le cadre de sa série d’Études pasoliniennes – et a jeté son dévolu sur une oeuvre « inachevée » s’il en en est, Pétrole, dont l’artiste italien n’a eu le temps de rédiger que les 600 premières pages, sur les 2 000 prévues à l’origine, avant d’être assassiné, il y a tout juste cinquante ans, le 2 novembre 1975, sur un terrain vague près de la plage d’Ostie, à côté de Rome. Inachevée, mais aussi « éloignée du théâtre a priori », transpercée, et même matricée, par ces « petits trous » dont Sylvain Creuzevault loue la présence dans tout ouvrage pour que, dit-il, toujours à l’occasion de sa conversation avec Olivier Neveux, « du négatif apparaisse ».

Mi-roman, mi-poème, ou ni l’un ni l’autre, échappant volontairement à toute classification formelle, Pétrole est une somme, pourrait-on résumer vulgairement, hallucinée et hallucinante. Composée d’environ 200 Notes de longueurs variables, elle agglomère des fragments romanesques et poétiques, des fables, des contes, des « digressions »,  des documents journalistiques, mais aussi des assertions de Pasolini lui-même qui, en s’adressant parfois à son lecteur, enchaîne les réflexions philosophiques, esthétiques et politiques sur l’Italie des années 1960 et 1970 qu’il dépeint. De ce magma protéiforme, se dégage malgré tout une trame narrative qui, même si « ce roman n’a pas de début », souligne l’auteur dans la note de sa première Note, débute par la mort d’un homme, Carlo Valletti. Grâce à l’intervention de l’« angélique » Polis et de l’« infernal » Thétis, cet ingénieur va ressusciter sous une forme dissociée. Physiquement identiques, Carlo et Carlo II vont poursuivre des trajectoires de vie a priori diamétralement opposées : quand le second se lance, depuis les bas-fonds, dans une quête sexuelle aussi frénétique qu’insatiable, faisant sauter un à un tous les tabous, le premier intègre le beau monde politico-économique. Guidé par Guido Casalegno lors d’une réception mondaine, Carlo découvre un empire pétrolier, l’ENI, alors dirigé par un certain Ernesto Bonocore. Double fictionnel d’Enrico Mattei, le tout-puissant patron du consortium italien décédé en 1962 dans un accident d’avion aux contours flous – qui a permis à Francesco Rossi d’obtenir la Palme d’Or en 1972 avec son film L’Affaire Mattei –, le magnat est remplacé, après sa mort, par son second, Aldo Troya, l’intrigant et influent double littéraire d’Eugenio Cefis. Propulsé dans cet univers corrompu où les intérêts économiques et politiques sont intimement mêlés, Carlo ne rechigne alors devant aucun compromis et se convertit, au nom de son ascension professionnelle, au néo-capitalisme dévorant.

Pour s’emparer de ce chef-d’oeuvre hors norme, et à première vue difficilement adaptable, Sylvain Creuzevault et ses brillants comparses de la compagnie Le Singe, à la composition assez largement remaniée, devaient trouver un fil dramaturgique clair qui leur permettrait de ne pas se – et nous – perdre dans la forêt pasolinienne. C’est ainsi, comme ils le définissent eux-mêmes, à une « sorte d’hagiographie renversée » qu’ils s’adonnent en reconstituant « les fragments de la vie d’un ‘saint’ voué au Pouvoir ». Piochant, parfois dans le désordre, dans une quarantaine de Notes de Pétrole, ils s’approprient le substrat de Pasolini et réunissent, avec une maîtrise certaine, presque méthodique, à révéler le caractère oraculaire de son propos. Tout en conservant la distance que l’auteur a instaurée avec son oeuvre, et en le mettant lui-même en jeu en train de la composer – grâce à la description, par exemple, dès le départ, du contenu de la valise de Porta Portese où, de Dostoïevski à Dante, de Sollers à Sade, de Chklovski à Apollonios de Rhodes, en passant par Ferenczi et Schreber, les livres et auteurs qui ont influencé Pasolini sont égrenés –, ils rendent l’ensemble étonnamment homogène et limpide, et parviennent à dérouler, sans accroc, l’essentiel de la trame narrative, tout juste transpercée, dans un même mouvement, et avec finesse, de considérations plus esthétiques et politiques afin de ne perdre aucune profondeur. Sous leur houlette, et y compris en regard de son double, Carlo Valletti apparaît alors comme le pur produit de son époque – et du Premier conte sur le Pouvoir de la Note 34 –, l’Italie des années 1960 et 1970, soumise à un chaos politique profond causé par « la stratégie de la tension » des « années de plomb », mais aussi, et peut-être surtout, de la nôtre, où, comme hier, la déréliction politique, l’individualisme éhonté et la toute-puissance des multinationales, qui détiennent les rênes du véritable pouvoir, nous rapprochent, chaque jour un peu plus, du précipice.

Sans doute conscient qu’il a de la nitroglycérine entre les doigts, Sylvain Creuzevault se montre, d’un point de vue strictement scénique, moins turbulent qu’il n’en a eu l’habitude par le passé, et maître d’un savant dosage. Co-auteur avec ses actrices et acteurs de perturbations textuelles qui, en plus de faire rire, aèrent le copieux terreau intellectuel pasolinien – et de mimer la façon dont l’auteur intervient lui-même dans son oeuvre en construction –, le metteur en scène se convertit, pour la toute première fois, grâce au concours de Simon Anquetil, à la vidéo réalisée en direct, jusqu’à vider presque totalement la scène de toute présence humaine durant la première partie du spectacle – les scènes étant filmées à l’intérieur d’un modeste container descendu des cintres. Avec un sens esthétique que ne renierait pas Julien Gosselin, il fait alors coup double et se sert, tout à la fois, de la caméra subjective – du point de vue de Carlo –, de la stratégie du gros plan et de la multiplicité des angles permise par l’outil vidéo pour nous immerger au plus près de ce monde vénéneux qui, peu à peu, par capillarité, façonne Carlo, mais aussi pour redoubler la geste d’un Pasolini – que l’on croyait, à l’époque, irrémédiablement éloigné de la littérature – qui se regarde lui-même écrire à l’intérieur d’un huis clos artistique à plusieurs bandes. Ébouriffant de maîtrise, ce parti-pris scénique permet également de rendre grâce à la puissance de jeu des comédiennes et comédiens, tous excellents, à commencer par Boutaïna El Fekkak, Gabriel Dahmani et Sharif Andoura qui, dans leurs faits d’armes solitaires respectifs de La fête antifasciste, du Terrain vague de la via Catilina et du Premier conte sur le Pouvoir, offrent au spectacle ses plus beaux moments d’intensité théâtrale. Chacun à leur endroit, ils parviennent à révéler le pouvoir de fascination vénéneux de l’écriture de Pasolini, et à réaffirmer, cinquante ans après sa mort, le caractère toujours aussi nécessaire, et sulfureux, de sa pensée.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Pétrole
d’après le roman de Pier Paolo Pasolini
Création collective
Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
Avec Sébastien Lefebvre, Arthur Igual, Gabriel Dahmani, Pauline Bélier, Anne-Lise Heimburger, Sharif Andoura, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière
Texte français René de Ceccatty
Scénographie Jean-Baptiste Bellon, Valentine Lê
Lumière Vyara Stefanova
Musique Pierre-Yves Macé
Musique et son Loïc Waridel
Vidéo Simon Anquetil
Cadre vidéo François-Joseph Botbol
Costumes Constant Chiassai-Polin
Casques Loïc Nébréda
Maquillage, perruques Mityl Brimeur
Assistanat mise en scène Émilie Hériteau, Ivan Marquez
Régie générale et régie plateau Clément Casazza
Régie plateau accessoires Camille Menet
Régie lumière Lison Royet
Habillage Sarah Barzic
Stagiaire masques Toscane Piard
Stagiaire scénographie Lévana Tortolo
Stagiaires costumes Agathe Brau, Mahë Foubert

Production Le Singe
Coproduction Odéon – Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne, Bonlieu Scène nationale Annecy, La Comédie de Saint-Étienne, Comédie de Reims – Centre Dramatique national, L’Empreinte – Scène nationale Brive-Tulle, La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne, Les Célestins – Théâtre de Lyon, Théâtre Vidy-Lausanne, Malraux Scène nationale Chambéry Savoie
Dans le cadre du Projet Interreg franco-suisse n° 20919 – LACS – Annecy-Chambéry-Besançon-Genève-Lausanne

Avec le soutien du Théâtre du Soleil
Avec la participation artistique Jeune théâtre national

La compagnie Le Singe est soutenue par le ministère de la Culture / Drac Île-de-France et par la Région Île-de-France.

Le roman Pétrole de Pier Paolo Pasolini, traduit de l’italien par René de Ceccatty, est publié chez Gallimard, Collection L’Imaginaire, 2022 (édition revue et augmentée, première parution en 1995).

Durée : 3h30 (entracte compris)

Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
du 4 au 7 novembre 2025

Odéon – Théâtre de l’Europe, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 23 novembre au 21 décembre

La Comédie de Saint-Étienne, CDN
du 24 au 27 février 2026

Comédie, CDN de Reims
les 20 et 21 mai

Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
du 3 au 5 juin

6 novembre 2025/par Vincent Bouquet
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