Sortie en 2021 de l’Ecole du du Théâtre national de Bretagne, après la classe libre du Cours Florent, Raphaëlle Rousseau a connu le succès déjà avec deux spectacles, Tenir Debout de Suzanne de Baecque et Discussion avec DS, qu’elle a écrit et mise en scène. Après la création au Théâtre de l’Athénée, cette conversation imaginaire avec Delphine Seyrig revient au Théâtre de la Bastille.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Le soir de la première de Discussion avec DS, juste avant de monter sur scène, j’étais en coulisses, j’entendais le public s’installer et j’ai réalisé ce que j’étais en train de faire. C’était comme si j’avais compris, tout à coup, que ce spectacle que j’avais fabriqué « seule dans ma chambre », allait être partagé et qu’il ne serait peut-être pas reçu, pas compris, pas accueilli comme je le souhaitais et là j’ai eu une montée d’adrénaline énorme. Je me disais « Mais pourquoi je fais des trucs qui me mettent dans des états pareils? » « pourquoi je fais ça ? Pourquoi je fais ça ?! Pourquoi je fais ça ?! MAIS POURQUOI JE FAIS ÇA ?! »
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
J’admire les gens qui ont des journées hyperactives et qui jouent le soir, après avoir fait des tonnes de choses ou qui, du moins, réussissent à vivre une vie normale avant d’aller sur scène. Moi je ne sais pas encore le faire, alors qui plus est, un jour de première. Je suis totalement léthargique, c’est une catastrophe! Comme si mon corps savait ce qu’il allait devoir traverser et devoir fournir comme énergie et qu’il décidait de s’économiser. Pour l’instant, j’essaye simplement de ne plus me culpabiliser de ne rien faire. C’est déjà ça! Pour Discussion avec DS que je joue en ce moment, le jour de la première, la seule chose dont je suis capable c’est d’aller voir Delphine Seyrig sur sa tombe au cimetière Montparnasse. Je fume une cigarette avec elle, je lui parle, etc… je prie un peu, à ma manière, en quelques sortes.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
Une des choses que je préfère dans ce métier, ce sont les rituels. J’adore commencer un nouveau spectacle et constater comment se créent les petites habitudes propres à celui-là. Chaque fois c’est une surprise, les rituels se créent sans même que je le décide. Parfois c’est un endroit particulier où j’aime fumer une cigarette, toujours à la même heure, toujours au même endroit, à la minute et au centimètre près. Parfois c’est une musique que j’écoute systématiquement en me maquillant ou en m’échauffant. Parfois c’est un café dans lequel je vais en arrivant au théâtre, même si je n’ai aucune envie d’un café ce jour-là. Parfois c’est une manière de se dire « merde » avec un partenaire, chaque soir. Les heures, les emplacements, les gestes et les enchaînements sont d’une précision implacable mais d’un spectacle à l’autre, ça change. Ce sont ces rituels qui permettent, comme des sas, de se connecter à la chose que l’on va devoir faire le soir et qui deviennent des superstitions: la moindre petite perturbation et j’ai l’impression que la représentation va être un fiasco…
Quand je jouais Le Malade imaginaire ou le silence de Moliere d’Arthur Nauzyciel au TNB cette année, Arthur – qui met en scène et joue aussi dans le spectacle – me faisait systématiquement un baise main sur scène quand on attendait, placés, dans le noir. Un soir,il était un peu en retard, tout était un peu décalé, j’étais en place depuis longtemps et lui, n’arrivait pas. Il est entré au plateau au tout dernier moment et j’ai eu tellement peur qu’il ne m’embrasse pas! J’étais obnubilée par cette idée: « s’il ne m’embrasse pas la main avant que l’on commence, je vais mal jouer » Je sais que c’est n’importe quoi mais c’est comme ça. Finalement, il a quand même pris le temps de le faire! J’étais soulagée.
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
Je ne sais pas s’il y a un moment précis mais j’ai commencé la danse à 4 ans et j’ai d’abord été convaincue que c’était sur scène que je voulais être. Les moments que je préférais dans la vie étaient les longues journées de répétitions où ça criait dans tous les sens, ça sentait la laque et la sueur, on ne voyait pas la lumière du jour. J’ai tout de suite compris que je me sentais bien quand je baignais là-dedans. Je n’ai jamais voulu être danseuse mais je savais que je voulais être sur scène et quand j’ai découvert le théâtre j’ai compris que c’était ça qui allait me permettre de passer ma vie sur les plateaux.
Premier bide ?
A 14 ans j’ai commencé à faire du seul en scène, du One Man Show en quelques sortes mais il s’agissait d’une galerie de personnages, ce n’était pas du stand up. J’avais participé à un concours d’humoristes dans ma région, j’avais environ 4 ou 5 sketchs et je faisais les premières parties d’humoristes dans les alentours de Montpellier. Ça a duré deux ans. Une année, j’avais environ 16 ans et demi, je faisais l’ouverture du festival des “nuits de
l’humour” à Montpellier. A l’issue de la première soirée du festival, le directeur du lieu est venu me voir en m’expliquant que mes sketchs ne valaient absolument rien mais que lui saurait quoi m’écrire et qu’avec ses sketchs à lui « je pourrais aller loin ». J’ai refusé. J’ai réalisé que mon humour – qui était celui d’une enfant – ne fonctionnait plus. J’avais 16 ans et demi, je ressemblais à une femme sans en être une. Ce qui faisait rire dans la bouche d’une enfant tombait à plat maintenant. C’était pire qu’un bide, c’était violent. Mon corps avait
grandi plus vite que mon âme.
Première ovation ?
Je pense que ça devait être dans le jardin, chez mes parents, dans le sud de la France, avec des tickets « vip » et des places numérotés et griffonnées à la main, trois chaises de plage en plastique blanc, deux lampes de chevet pour faire les eclairages et un « show » entre le cirque raté et la comédie musicale.
Premier fou rire ?
En scène, je crois que je ne suis jamais allée jusqu’au fou rire. En revanche, en coulisses, avant certains spectacles, presque 3 secondes avant de rentrer sur scène, je m’essuie les yeux tellement je pleure de rire avec certains amis avec qui je joue
Premières larmes en tant que spectatrice ?
J’étais adolescente mais je ne me souviens plus de la pièce. C’était à Paris. J’allais au théâtre à Paris avec ma mère. C’était notre rituel à toutes les deux. Une fois par an pendant deux jours. J’ai pleuré aux saluts. Souvent, quand j’ai aimé, vraiment aimé, un spectacle, il m’arrive de pleurer aux saluts tout ce que je n’ai pas pleuré pendant la représentation. Je me souviens de ces saluts-là. La pièce avait dû être particulièrement forte et les actrices et acteurs avaient des visages tellement ouverts, « lavés », tellement épuisés et beaux que j’en avais pleuré.
Première mise à nue ?
Je pense qu’il y a dû y avoir des précédents à ça mais ce qui me vient immédiatement en tête c’est ma première séance de travail à l’école du TNB avec Laurent Poitrenaux, le directeur de l’école. On travaillait sur Marivaux. J’ai fait ma scène, je gesticulais dans tous les sens et il m’a collée contre un mur et m’a dit « maintenant, tu parles. C’est tout. Tu parles et tu te laisses regarder ». J’ai mis un mois avant d’y arriver.
Première fois sur scène avec une idole ?
Discussion avec DS dans lequel je recrée grâce à un montage d’archives sonores un dialogue avec Delphine Seyrig. Pendant 1h10 je la fais parler à nouveau, je lui pose toutes les questions que j’aurais voulu lui poser et elle me répond. J’aurais follement aimé la connaître et ce spectacle est la seule solution que j’ai trouvée pour réparer ça et rendre cette rencontre possible.
Première interview ?
Dans mon bain, à 8 ou 9 ans, dans un anglais très approximatif, avec le pommeau de douche pour micro…
Premier coup de cœur ?
Je pourrais parler de pleins de spectacles qui m’ont bouleversée en tant que spectatrice ou des coups de cœur que j’ai eu en travaillant avec certains artistes dans ma formation mais mon premier coup de cœur c’est peut être surtout les ami(e)s que j’ai rencontré.e.s à l’école. D’abord en Classe Libre puis au TNB. J’ai eu de vrais coups de cœur pour des gens qui font partie maintenant des personnes les plus importantes de ma vie, avec qui je suis restée amie, qui m’ont le plus inspirée, fait progresser et avec qui je continue de travailler
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !