Originaire du Kivu, en République Démocratique du Congo et diplômée de l’INSAS, Bwanga Pilipili jongle entre les métiers d’actrice, d’autrice et de metteuse en scène. Elle sera dans le Portrait de Rita de Laurène Marx à Théâtre Ouvert, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 11 au 30 septembre.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Le souffle court, le ventre qui se sert, les mains qui tremblent, de légers vertiges et cette curieuse impression que mon corps m’est inconnu et que je sais ni comment ni pourquoi je me tiens debout devant d’autres… Ce trac-là, je ne l’ai pas les soirs de première. Non, je l’éprouve au début d’un projet, à la première rencontre, lors de la première répétition. Les soirs de première, j’arrive à la fois prête, concentrée et détendue, comme (certaines) athlètes. Je visualise mon parcours en étant consciente que ce n’est plus le moment d’avoir peur ou de douter.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
Pendant toute la phase de construction, je recherche le rythme de la pièce, de la langue, du style, du mouvement. Je compose une sorte de bande originale du projet qui m’accompagnera sur le trajet et en loge. Avant ça, j’ai besoin de rester connectée avec le quotidien – m’assurer que ma fille a passé une bonne journée, un peu d’administratif, bosser, manger des bonbons et rire. Je suis de nature mélancolique, mais ça ne m’empêche pas de cultiver joie et légèreté. C’est philosophique !
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
J’ai gardé mon habitude de collégienne : je dois toujours relire mon texte avant d’entrer sur scène. Je sais que je le connais, mais c’est un rituel. Je possède souvent une version annotée et une version bibliothèque. Plus que de la superstition, c’est politique. Avant d’entrer en scène, je convoque mes astres partis en douce : mon père, mon frère, ma meilleure amie partis trop tôt, et mes absents. Je viens du Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans la région des Grands Lacs et des volcans. C’est une terre qui est pillée depuis une trentaine d’années et ce sont mes gens (familles, proches, humains) massacrés dans une certaine indifférence pendant 20 ans. Cela n’a rien de mortifère, mais je pense à eux. Leur force ou leur amour me portent.
Première fois où vous vous êtes dit « Je veux faire ce métier » ?
Trois situations quasi concomitantes. À l’école, alors que j’ai une dizaine d’années, je suis dans un collège jésuite à Bruxelles. On monte des petites scènes devant la classe. Je joue les Précieuses ridicules, et je me rends compte que le texte me permet d’adresser à mes camarades aristocrates « des choses » que je n’aurais pas osées dire et… que ça passe ! Même époque, je vis dans une cité, mes parents organisent des réunions à la maison. On y parle histoire, politique et théologie. Je lis à voix haute des extraits (Aimé Césaire, Cheikh Hamidou Kane, les Testaments), et je me rends compte que je suis capable de changer l’atmosphère autour de moi. Et, pour finir, mon oncle, Mweze Ngangura, a réalisé un film, La Vie est belle, et je lui dis que je veux jouer. Il me répond que c’est un métier et m’encourage à faire des études d’interprétation.
Premier bide ?
Ma fille. Je suis encore à l’INSAS, et mon « Juste ciel ! qu’ai-je fait aujourd’hui ! » (Phèdre) est loin de la convaincre. Les enfants ont un radar à arnaque. Elle a entendu le surjeu, ça sonnait faux, et son oreille est redoutable. Le jugement fut sans appel.
Premier fou rire ?
Au Théâtre National Populaire, dans Une saison au Congo d’Aimé Césaire. Je découvre la gastronomie lyonnaise, et mes costumes me le font payer à la reprise. Ma jupe a lâché et je jouais en « crabe ».
Premières larmes en tant que spectatrice ?
Un biopic sur Joséphine Baker.
Première mise à nu ?
Je joue Mon Cantique, une performance qui rassemble des extraits du Cantique des cantiques, des textes personnels, des images tournées dans mon quartier d’enfance et du mouvement. J’évoque la maniaco-dépression dont souffrait mon père et mes troubles.
Première fois sur scène avec une idole ?
Je les admire, je les aime, elles m’inspirent, mais je ne les idolâtre pas : Christine Schuler Deschryver, qui est de ma région en RDC, et V (ex-Eve Ensler des Monologues du Vagin) sont de passage à Bruxelles pour présenter la City of Joy, conçue par et pour les femmes congolaises rescapées des viols et tortures liés au genre. Je rejoue un monologue de V devant elles. Je suis émue. V m’envoie un texte qu’elle vient d’écrire et que je montrai un jour !
Première interview ?
Pour le journal télévisé belge. J’avais été désignée parmi les élèves pour être interviewée à la suite de la rencontre avec des survivants du Fort de Breendonk, un camp de concentration situé dans la province d’Anvers.
Premier coup de cœur ?
Il est littéraire : Les Frères Karamazov.
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