La saison du Vieux-Colombier s’ouvre sur un très dispensable Jules César. Le metteur en scène Rodolphe Dana étouffe et dénerve la puissante tragédie politique de Shakespeare.
C’est une distribution parfaitement égalitaire (cinq femmes, cinq hommes) qui endosse tous les rôles de la pièce sans se soucier d’une quelconque classification de genre, de même que n’apparaît aucune temporalité définie dans la mesure où les sénateurs et conspirateurs sont tous uniformément vêtus d’ingrats et stricts complet-veston à rayures et errent dans les vestiges épars d’une antiquité de pacotille (quelques fausses pierres disposées sur un plateau nu). De fait, la plupart des hommes, représentants du personnel politique, dans la pièce Jules César, bénéficie de nouveaux traits féminins. Françoise Gillard joue Métellus, Clotilde de Bayser, Cassius… Le rôle-titre est quand à lui campé par Martine Chevallier qui lui confère une forte présence dans son habit doré digne d’une chasuble papale. Elle sait faire autorité quand elle n’adopte pas un rire et un ton mielleux parfois trop forcés.
En répondant à l’invitation de la Comédie-Française, Rodolphe Dana a laissé ses fidèles acteurs mais semble vouloir revenir aux origines de son collectif Les Possédés en réactualisant son geste de départ qui place de manière essentialiste et avec une nudité toute délibérée le texte et sa réception au cœur de la représentation. Tout naturellement, le dispositif bifrontal (vu et revu tant il ne quitte plus la salle du Vieux-colombier depuis les spectacles de Julie Deliquet, Emmanuel Daumas ou du duo Julie Bertin et Jade Huberlot) le permet aisément. Mais ce qui frappe au-delà d’un espace qui ne laisse que peu de possibilités, c’est la quasi-absence de mise en scène et de direction d’acteurs.
Aussitôt après avoir vu catapultée une pluie de confettis d’or et d’argent pour saluer le retour triomphal de César, les choses s’étiolent. Les acteurs semblent égarés. Ils compensent en surjouant, en hurlant, mais ne parviennent à faire exister leurs personnages sans couleur, sans relief. Étonnamment, l’assassinat de César se joue en sourdine. Celui-ci meurt avec une droiture indolente et dans un silence de plomb. Les mains sanglantes et les visages pétrifiés, ses meurtriers proclament mollement la délivrance et la liberté. Suivent les morceaux de bravoure que sont les discours de Brutus et de Marc Antoine mais ils ne font toujours pas rebondir le spectacle enlisé. Nâzim Boudjenah est à la fois trop falot et épais. Georgia Scalliet, qui n’a pourtant plus à prouver sa belle sensibilité, joue ici une sur-affectation inepte, une sensiblerie pénible et dérangeante car simplement hors de propos.
Tout cela est fort dommage car Jules César est un Shakespeare bien trop rarement joué. On doit des versions de la pièce particulièrement fortes et réussies à Arthur Nauzyciel ou à Ivo van Hove, la première créée en 2008 à Boston avec une troupe d’acteurs et musiciens américains, la seconde, néerlandaise, montrée pour la première fois en France en 2005, ont été encore récemment reprises mais ces spectacles ne datent déjà plus d’hier. Le propos, lui, est d’une telle actualité dans son auscultation de l’exercice du pourvoir, de sa versatilité, des machinations, manipulations et trahisons qui irriguent la sphère politique avec violence et arrogance, qu’il n’y a pas plus pertinent à faire voir et entendre sur un plateau aujourd’hui. Cette triste production, dépourvue de vision, donne une terrible inconsistance à une pièce pourtant pleine d’enjeux, qui serait captivante à condition de la porter avec plus de sérieux.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
JULES CÉSAR
de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène Rodolphe Dana
NOUVELLE PRODUCTION
Traduction : François-Victor Hugo
Costumes : Élisabeth Cerqueira
Lumières : Valérie Sigward
Son : Jefferson Lambeye
Collaboration artistique : Marie-Hélène Roig
Assistanat à la scénographie : Karine LitchmanAvec
Martine Chevallier,
Françoise Gillard,
Clotilde de Bayser,
Jérôme Pouly,
Christian Gonon,
Georgia Scalliet,
Nâzim Boudjenah,
Noam Morgensztern,
Claire de La Rüe du Can
Durée: 2hComédie-Française
Vˣ-Colombier
Du 20 sept 2019 au 03 nov 2019
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