Génération sceneweb (17/30). D’Homère à Balzac, du Théâtre de la Bastille au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, la jeune metteuse en scène s’est, ces dix dernières années, juchée sur les épaules des romanciers pour tenter de comprendre ce qui fait battre leur coeur.
On a beau fouiller de fond en comble et retourner la question dans tous les sens, il faut bien se rendre à l’évidence : les pièces de théâtre sont (quasiment) absentes du parcours de Pauline Bayle. De L’Iliade et L’Odyssée d’Homère aux Illusions perdues de Balzac, en passant par Chanson douce de Leïla Slimani, la trentenaire s’épanouit davantage aux côtés des romanciers qu’en compagnie des dramaturges. « J’ai d’abord écrit deux pièces [A tire d’aile et A l’ouest des terres sauvages, NDLR], mais quelque chose s’est cristallisé lorsque j’ai travaillé sur Homère, analyse-t-elle aujourd’hui. Je me suis rendu compte que le travail de mise en scène était, pour moi, comme la traduction d’un genre à un autre genre. A ce moment-là, mon champ de créativité est devenu plus palpable et j’ai découvert mon endroit. »
Un endroit que la metteuse en scène aime le plus vierge possible, telle une contrée que l’histoire du théâtre n’aurait pas encore complètement défrichée. « J’adore le répertoire, j’aime lire du théâtre, mais, en travaillant sur des romans, j’ai l’impression de me placer plus en amont dans le fleuve, explique-t-elle. Je profite d’un ilot de créativité où tout est libre, tout est vaste. J’ai l’impression d’avoir plus de liberté pour articuler ce que j’ai à articuler. » Car Pauline Bayle ne se contente pas de s’emparer des classiques pour leur donner une seconde jeunesse. Elle les adapte et les malaxe, avec l’aide de ses fidèles comédiens, pour restituer leur immédiateté et faire jaillir leur souffle vital. Comme si l’histoire d’Ulysse ou celle de Lucien de Rubempré pouvait se conjuguer au présent et se dérouler sur le trottoir d’en face. « En travaillant sur leur langue assez époustouflante et en entrant dans une logique de compagnonnage avec eux, j’essaie de comprendre ce qui fait battre le coeur d’Homère ou de Balzac », résume celle qui a déjà écumé, en dix ans, les plateaux du Théâtre de la Bastille, de la Scala Paris et du Studio-Théâtre de la Comédie-Française.
Résonances intimes
De malins esprits pourraient alors lui rétorquer que le procédé est un peu court, qu’au moment où le monde gronde et bouillonne se réfugier dans le giron des classiques est, à première vue, un peu facile. « Je me méfie un peu d’un théâtre qui va prendre parti sur des question de société, répond-t-elle simplement. Je trouve cela très piégeux pour moi car je me sentirais très responsabilisée vis-à-vis du réel. Pour autant, et même si elle n’est pas en prise directe avec l’actualité, la quête de Lucien de Rubempré résonne intiment en moi, comme si son parcours faisait écho au mien. » Et il en va de même avec Les Vagues de Virginia Woolf, sur lequel elle a tout juste commencé à plancher, et dont le point d’entrée fut, pour elle, « la sensation de grande solitude provoquée par le premier confinement ».
Bousculée par cette crise sanitaire qui n’en finit pas – « comme si mon équilibre interne était perturbé », image-t-elle –, la jeune metteuse en scène compte bien, malgré tout, dans les prochains mois et les prochaines années continuer de tracer sa route, d’approfondir son langage scénique avec la même équipe, dont certains membres la suivent depuis une décennie. « Avant toute chose, j’ai vraiment à coeur de faire fonctionner de manière harmonieuse notre compagnie qui, il y a cinq ans, avait à peine une licence d’entrepreneur du spectacle, rappelle-t-elle. Les questions de production, de salaires, de gestion d’un collectif me passionnent et je pense qu’il est l’heure de solidifier les fondations que nous avons bâties. » Avec une résidence de trois ans qui débutera la saison prochaine en Essonne et la demande de conventionnement récemment déposée auprès de la région Île-de-France, le projet parait en bonne voie.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
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