Florence Caillon, artiste mi-cygne mi-castor
Carnets de création (11/28). Arrivée au cirque par la musique et la danse, Florence Caillon développe depuis une vingtaine d’années à la tête de sa compagnie L’Éolienne un « cirque chorégraphié » loin de tous les académismes. Créé à Archaos – Pôle National Cirque de Marseille dans le cadre de la 4ème Biennale des Arts du Cirque (BIAC), son Lac des Cygnes est le beau et singulier fruit d’un parcours riche d’explorations diverses.
Dans l’une des salles d’Archaos, Pôle National Cirque de Marseille, une étrange communauté de cygnes a fait son apparition les 4 et 5 février 2021, lors de la 4ème édition de la Biennale des Arts du Cirque (BIAC) soutenue comme les précédentes par la Fondation BNP Paribas, transformée cette année en rencontres professionnelles. Le tutu en pétard et le corps recouvert de dentelle, les cinq femmes et hommes-oiseaux qui la composent sont des nouveaux-nés : pour cette édition particulière, l’équipe d’Archaos a privilégié les créations, et Le Lac des Cygnes de Florence Caillon devait voir le jour à ce moment-là. La maladresse des créatures interprétés par des danseurs et des circassiens n’a toutefois rien à voir avec leur jeunesse. Si elles rampent et gigotent sans grâce au début de la pièce, si elles sont clouées au sol, incapables de verticalité, c’est parce que Florence Caillon les a voulues ainsi. Non qu’elle cherche à désacraliser ou à tourner en dérision le célèbre ballet de Tchaïkovski : en peuplant sa pièce d’oiseaux sauvages pour qui l’élégance est une conquête, l’artiste affirme une liberté et un goût de l’hybride qu’elle développe depuis vingt ans à la tête de L’Éolienne. Une compagnie de « cirque chorégraphié » qui s’intéresse « davantage aux corps qui cherchent qu’à ceux qui ont trouvé ».
Itinéraire d’une non-spécialiste
Ce goût pour l’aventure, synonyme chez elle d’incertain, d’instable, Florence Caillon le cultive depuis ses débuts d’artiste qui se font loin du cirque contemporain. Après un très bref passage à la Sorbonne pour une formation Musique et Danse – le désir d’allier le son au geste est présent très tôt chez elle –, c’est dans les cabarets parisiens que Florence Caillon commence à vivre de la danse. Elle suit en parallèle des formations dans cette discipline ainsi qu’en théâtre, qu’elle commence bientôt à pratiquer sur scène et à la télévision. Tout en entamant une carrière de compositrice qui prend une place centrale dans sa vie de touche-à-tous-les-arts lorsqu’elle rencontre Hugues Le Bars, qui composait sans maîtriser un seul instrument. « Je ne pensais pas alors que c’était possible. J’ai été très étonnée et cela m’a ouvert de nombreuses portes. Si lui le faisait, pourquoi pas moi ? »
Cet éclaireur met aussi Florence Caillon sur une voie inattendue, qu’elle suivra plusieurs années : celle du Père Castor, dont elle réalise les livres audio avant de composer et de chanter la chanson du générique du dessin animé Les Belles Histoires du Père Castor. À bien observer ses cygnes, on peut se demander si son histoire avec ce héros de fictions enfantines est vraiment terminée. Ses oiseaux n’ont-ils pas parfois des airs de rongeurs ? Le parcours complexe, tout en ramifications de Florence Caillon se prête aux interprétations les plus fantasques, à l’image d’une facette de sa personnalité et du « cirque chorégraphié » qu’elle fabrique depuis vingt ans avec sa compagnie L’Éolienne. Mais l’artiste polyvalente a beau aimer rire, elle le fait avec le sérieux du chercheur qui arpente son domaine comme un terrain truffé d’or autant que de mines.
Chercheuse de « fausses notes »
Difficile de dater la rencontre de Florence Caillon avec le cirque contemporain. En particulier avec les disciplines aériennes, comme l’indique le nom de sa compagnie. Tous les champs artistiques qu’elle explore, successivement ou en simultané, participent d’un seul et même geste. Elles contribuent à la recherche de « fausses notes » au sens propre et figuré. Fruits une « approche fragmentée du mouvement acrobatique où les notions de fragilité, de mollesse, de déséquilibre, d’élans et de variation d’énergie », ses créations circassiennes – au nombre d’une quinzaine à ce jour – sont toutes très musicales. Le texte s’invite aussi très souvent dans le cirque chorégraphié de Florence Caillon, comme dans L’Iceberg (2010) où elle traite de la place de la finance internationale à travers la figure du journaliste d’investigation Denis Robert. Le théâtre est aussi central dans son adaptation de Passion simple d’Annie Ernaux (2013), ou encore dans The Safe Word (2015), où des discussions entre historiens et psycho-sociologues nourrissent une réflexion sur les libertés individuelles et collectives sur internet.
« Le cirque a longtemps été pour moi une manière d’aborder des sujets de société qui m’importent. Au point souvent de faire passer au second plan la relation forte entre musique, danse et cirque qu’il me tient à cœur de développer. Avec Le Lac des Cygnes, ce tissage prend enfin la place que j’ai toujours voulu lui donner », explique l’artiste qui échappe à toute classification. Rebelle à toute forme d’académisme, Florence Caillon cultive en même temps que son vocabulaire hybride un esprit d’indépendance qui fait d’elle un cas à part dans le milieu du nouveau cirque, dont la très grande majorité des artistes sont issus des écoles supérieures. L’autodidacte divise, mais qu’importe : c’est le prix d’une liberté qu’elle vit dans son lieu situé en pleines « steppes de l’Oise centrale », soit entre Beauvais, Rouen et Amiens. Dans cet espace de vie et de création, elle travaille souvent sur ses spectacles et accueille de nombreux artistes en résidences informelles. Confinements et couvre-feu n’ont donc pas eu un grand impact sur le calendrier de création du Lac des Cygnes. Reste à espérer que la suite se passe aussi bien.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Bravo florence ! Très bel article