Carnets de création (18/28). Scénographe auprès de nombreux artistes, des Chiens de Navarre à Anne-Lise Heimburger en passant par David Lescot et Guillaume Vincent, François Gauthier-Lafaye développe un travail sensible et rigoureux.
Quel est le point commun entre la scénographie imposante, assumant un orientalisme joyeusement coloré et débridé des Mille et une nuits monté par Guillaume Vincent, et celle travaillant avec délicatesse l’épure et le minimalisme d’Un dieu un animal mis en scène par Julien Fišera (d’après le roman éponyme de Jérôme Ferrari) ? Toutes deux – comme celles de spectacles conçus par les Chiens de Navarre, David Lescot ou, encore, Anne-Lise Heimburger – sont imaginées et réalisées par François Gauthier-Lafaye. Découvrir la diversité – tant économique qu’esthétique – de ces œuvres suffit à comprendre comment le quarantenaire envisage son travail. À chaque fois, il s’agit pour lui de « s’adapter. Je suis là pour servir un metteur en scène, pas pour vendre une esthétique ou une idée. En revanche, si j’ai une idée j’aime bien aller jusqu’au bout pour qu’on la voit. Mais si elle ne convient pas, je n’ai aucun souci à l’abandonner. »
Une démarche sensible et rigoureuse, qui n’empêche pas François Gauthier-Lafaye, de développer sa patte. « J’aime la machinerie, les paillettes, la couleur, les tissus. » Liés pour partie à sa formation en tapisserie – « les rideaux, ça me parle ! » – et pour partie à sa passion pour la peinture, ces goûts ont, aussi, à voir avec sa vision du théâtre « Même si le propos est dur, je pense qu’on peut l’adoucir et l’accompagner avec quelque chose de plus doux et pop. Cela peut, peut-être, aider les spectateurs à assimiler quelque chose d’assez difficile. Et puis, j’aime l’idée qu’aller au théâtre ne soit pas se rendre au cinéma. C’est important pour moi de travailler avec les codes propres à cet art.
Le temps de la bricole
À la diversité de ses scénographies répond la pluralité des modes opératoires. « Lorsque je travaille avec les Chiens de Navarre, le décor se construit au fur et à mesure, lors des répétitions et des improvisations. Avec eux je dessine et construis peu en amont. Je les suis au plateau avec ma scie, des bouts de bois, des accessoires, etc. Tout se fixe environ trois semaines avant la création et c’est à ce moment-là que nous construisons le décor. C’est un travail long demandant énormément de présence et de préparation. » Tandis qu’avec Guillaume Vincent, la création se fonde sur des discussions et des recherches en amont, la réalisation de dessins et maquettes, avant celle, enfin du décor. « Ensuite je fais moi-même les finitions, les peintures. Je garde tout le temps de la bricole pour être sur le plateau avec tout le monde pendant toute la période de répétitions.
L’on comprend à l’écouter que ce qui meut François Gauthier-Lafaye est le plaisir, autant d’apprendre de nouvelles choses – « Je pense que tout est bon à faire pour évoluer. J’aime énormément les projets fous, impossibles » – que de travailler en collectif sur une œuvre à venir. Un amour du plateau que le scénographe prolonge à travers la transmission, via des interventions dans des lycées de banlieue parisienne. Initiés par le Théâtre de l’Odéon et à destination de jeunes en bac pro (menuiserie, chauffagerie, etc.), ces ateliers proposent cette année aux lycéens de « réfléchir à la première didascalie de La Ménagerie de verre. L’idée est de leur apprendre qu’une didascalie n’est pas figée et qu’on peut inventer ce que l’on veut à partir du moment où l’on a l’espace pour.
Ce programme, le scénographe y est d’autant plus sensible qu’il résonne avec son propre parcours. Car avant de passer un diplôme des métiers d’arts à l’École Boulle, avant de commencer dans le spectacle en tant qu’assistant-costumier et d’apprendre progressivement plusieurs métiers de la technique, François Gauthier-Lafaye a passé un CAP/BEP de tapissier. « Leur parcours, le regard des gens sur eux – en tant qu’élèves en lycée professionnel – je le comprends. Si dans notre société cette partie de l’enseignement est encore dévaluée, je leur montre qu’on a autant besoin de leurs compétences que de celles d’un énarque. Leur présenter un peu le théâtre et la technique leur donne la possibilité de se projeter un peu plus.
« Les scénographes sont parmi les postes les moins bien considérés »
Actuellement, François Gauthier-Lafaye œuvre sur plusieurs spectacles : outre la prochaine création de Julie Duclos de la pièce Kliniken de Lars Norén ; la mise en scène de Comprendre, texte écrit par Sonia Bester ; il travaille avec le collectif A/R associant danse et musique sur son spectacle Everything is temporary. Comme d’autres, s’il ne souffre pas d’inactivité, il redoute la diminution des créations dans les prochains mois. Mais le scénographe tire, plus largement, la sonnette d’alarme quant à la faible rémunération affectant depuis plusieurs années son corps de métier. « Nous passons du temps à faire des recherches, des maquettes et ce sont trop souvent des journées qui ne sont pas payées. Alors il y a des exceptions dans certaines compagnies, mais je pense qu’avec les costumiers, les scénographes sont parmi les postes les moins bien considérés. Cela risque de se dégrader encore et tout cela me fait parfois douter à continuer, d’autant que je gagne mieux ma vie en étant régisseur général.
Passionné par son métier, François Gauthier-Lafaye n’entend pas abandonner pour autant, envisageant plutôt de parer à la baisse de ses revenus en scénographie en travaillant plus fréquemment en régie (chose qu’il fait déjà ponctuellement), et en menant une autre activité. « Je suis en train de mettre en place une marque de vêtements (lafrançoise), où je customise des vêtements récupérés. » Outre que l’on retrouve ici son attention à la récup’ – qui fait depuis plusieurs années partie de son mode de travail (« Je glane énormément, j’aime récupérer des matériaux ou objets inutilisés lors de productions. ») – s’exprime dans ce projet le goût de l’invention d’un fécond créateur
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
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