Plus de 200 spectacles sont proposés en ce mois de janvier sur l’ensemble du territoire. Il y a beaucoup de créations, mais aussi beaucoup de reprises, alors voici les conseils de la rédaction.
Natchav, par la compagnie Les ombres portées au TNP de Villeurbanne puis au TGP Gérard Philipe à Saint-Denis.
Dans Natchav, la compagnie Les ombres portées met son théâtre d’ombres au service de l’histoire d’un cirque contraint par la police à quitter la ville. Entre ses mains, le miniature, le fragile se fait grandiose.
Le travail des Ombres portées se distingue en cela – et en bien d’autres choses – du cinéma d’animation, auquel font pourtant penser les scènes de cirque et de prison qui se succèdent avec fluidité sur l’écran.
Tout-Moun d’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux à Chaillot – Théâtre national de la danse à Paris
Héla Fattoumi et Eric Lamoureux imaginent un spectacle autour de la pensée du martiniquais Edouard Glissant avec Tout-Moun. Un tissage habile des disciplines et imaginaires qui déploie une vision d’un monde créolisé. Tout-Moun (en créole “tout le monde”) investit la pensée du poète-romancier martiniquais Edouard Glissant, faisant référence à son ouvrage paru en 1993 Tout-Monde.
La compagnie Via danse tisse un canevas formant un tout syncrétique qui témoigne sur scène de la pensée de Glissant sur la créolisation du monde.
La Réponse des Hommes de Tiphaine Raffier à l’Odéon Berthier
Inspiré des Oeuvres de Miséricorde, La Réponse des Hommes s’impose comme le spectacle total d’une époque. Quatrième opus de la jeune metteuse en scène, il prouve sa pleine maîtrise dramaturgique et esthétique.
Riche et puissant de sa totalité, La Réponse des Hommes est de ces spectacles, rares, capables de résonner de la plus ample des manières avec les maux de notre temps. Après un large détour par la science-fiction, Tiphaine Raffier a décidé de regarder ses contemporains au fond des yeux, et de les mettre face à leurs contradictions, actuelles et éternelles.
Cosmos de Maelle Poésy au TGP de Saint-Denis, puis en tournée
La metteuse en scène et l’auteur Kevin Keiss plongent avec sensibilité dans l’histoire méconnue des « Mercury 13 », ces femmes américaines qui, à l’égal des hommes, voulaient conquérir l’espace. Cette aventure, Maëlle Poésy a choisi de l’incarner au travers des parcours de trois femmes, Jane, Jerrie et Wally, qui, toutes, ont participé à cette expérience déçue.
Pour elle, comme pour Kevin Keiss, l’occasion est trop belle d’enchevêtrer les petites et la grande Histoire, de faire dialoguer les espoirs individuels et les contraintes politiques, mais aussi de combiner la conquête de l’espace et la bataille des minorités pour l’égalité réelle.
Le chant du père d’Hatice Özer à la MC93
Dans sa première création personnelle, Le Chant du père, la comédienne Hatice Özer invite son père sur scène auprès d’elle pour questionner leurs différences ainsi que l’imaginaire qui les rassemble. Entre chant et récit, entre rituel et cabaret intimiste, ce dialogue d’une grande délicatesse mêle langues et formes pour créer un langage passe-frontières.
Un sentier théâtral bordé d’émotions pudiques, qui débouche sur un carrefour où l’unique, l’improvisé et la répétition se confondent. Comme les langues, les époques, les souvenirs d’ailleurs et d’ici.
Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg dans la mise en scène de Christophe Rauck aux Amandiers à Nanterre
Malgré les quelques faiblesses de la pièce de Sara Stridsberg, Dissection d’une chute de neige, Christophe Rauck parvient à façonner un élégant écrin scénique où la comédienne s’impose en femme-enfant souveraine, aussi fragile que puissante
Autour de Marie-Sophie Ferdane, irradiante de justesse dans son rôle de souveraine, à la fois femme forte et enfant capricieuse, fondamentalement indépendante et héréditairement liée aux contraintes de l’exercice du pouvoir, Ludmilla Makowski, Murielle Colvez et Emmanuel Noblet réussissent alors à tirer leur épingle du jeu dans leurs habits respectifs d’amante effrontée, de mère indigne et de prétendant repoussant.
Le Problème lapin de Frédéric Ferrer au Théâtre du Rond-Point à Paris
Le metteur en scène complète son Atlas de l’anthropocène et s’intéresse, avec l’érudition et l’humour qui le caractérisent, aux origines et au devenir de l’oryctolagus cuniculus.
Sous-tendu par un humour très fin, Le problème lapin, sans jamais chercher, et c’est là toute sa force, à se prendre au sérieux, pointe également, par la bande, la cruauté et l’irrationalité de l’Homme dans son rapport avec la nature et les autres composantes du vivant.
L’amour de l’art de Stéphanie Aflalo au Théâtre de la Bastille à Paris
La comédienne espiègle Stéphanie Aflalo et son complice Antoine Thiollier grimés en médiateurs, détournent les discours sur l’art avec facétie. L’amour de l’art est farce aussi absurde que cocasse, avec laquelle on rit des conventions de la médiation culturelle et d’une culture élitiste.
Si aller au musée peut être excluant, en mettant à mal les discours sachants sur l’art, ils nous invitent à railler les normes élitistes avec eux. Dans cette parodie qui tourne en dérision le rôle du médiateur culturel, le duo comique fait jaillir un rire libérateur.
Ils nous ont oubliés d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard par Séverine Chavrier à La Colline
La metteuse en scène revient à Thomas Bernhard et transforme sa Plâtrière en cloaque suffocant, où, au milieu d’une scénographie immersive remarquable d’organicité, l’isolement et la folie s’entremêlent et se nourrissent de façon magistrale.
A la manière de Thomas Bernhard, à qui l’on doit cet invraisemblable roman, Séverine Chavrier opère, une fois le décor planté, un retour en arrière pour mettre la main sur l’auteur du crime et plonger dans le quotidien de ce couple hors du commun.
Florence & Moustafa, très librement inspirée des Mille et une Nuits par Guillaume Vincent au Théâtre 14
Le metteur en scène Guillaume Vincent prolonge son exploration des Mille et une Nuits au long d’un pas de deux enjoué qui transmet, autant qu’il célèbre, ces contes éternels.
Porté par une forme sans prétention, qui lui permet de tourner hors-les-murs dans des salles de classe ou des maisons de retraite, le pas de deux orchestré par Guillaume Vincent prouve que les récits des Mille et une Nuits, tels des contes racontés au coin du feu, n’ont besoin que de très peu de choses pour advenir et transporter dans leur monde pas si merveilleux.
La nuit sera blanche d’après La Douce de Fédor Dostoïevski par Lionel González au Théâtre de l’Aquarium
Lionel González plonge puissamment dans le désordre intérieur et émotionnel du protagoniste de La Douce, une nouvelle de Dostoïevski dont il livre une adaptation désarmante de vérité mais un peu déséquilibrée.
L’esprit et le verbe bouillonnent d’une manière quasi compulsive, maladive, dans l’interprétation véhémente, emportée mais pas exagérément exaltée de l’acteur Lionel González.
Maldonne de Leila Ka au Festival Suresnes Cité Danse, puis en tournée
Avec Maldonne, la chorégraphe Leïla Ka continue de développer son écriture dans un quintet qui se déploie comme une ode à la féminité, explorant aussi ses ambiguïtés. La radicalité et complexité affirmée au début se distend au fil de la pièce.
Les danseuses-soeurs livrent une issue plus évidente de ce chemin complexe qu’est l’émancipation féminine, faits de détours et d’allers-retours.
Laurène Marx dans Pour un temps sois peu au Théâtre Paris Villette
L’autrice et comédienne trans non-binaire offre une performance grinçante et poignante à partir de son parcours de vie. Fondée sur une écriture acérée et un magnétisme théâtral.
À chaque fois, armée d’un « tu », qui peut aussi bien renvoyer à l’une de ses « soeurs trans », au spectateur, qu’à elle-même, la parole de Laurène Marx bouscule, déplace et/ou résonne puissamment, en fonction des vécus de chacune et de chacun.
Austerlitz de Gaëlle Bourges au Théâtre Public Montreuil
Avec Austerlitz, la chorégraphe Gaëlle Bourges invite son public dans un songe où se dessine une histoire de la danse, à travers des récits intimes et universels.
Entre nostalgie et onirisme, Austerlitz a la forme d’une association libre d’idées, d’événements, qui fait se rejoindre les faits réels, les souvenirs et les constructions du subconscient.
Céline de Juliette Navis au CentQuatre – Paris
Interprétée par Laure Mathis, la pièce met en scène un personnage inspiré par la figure de Céline Dion. Mais d’une Céline Dion qui ne chante pas, qui fait une pause et nous raconte une histoire de vieillesse et d’oubli aux allures de conte. Une délicieuse comédie macabre.
Cette Céline ne serait-elle pas un peu la fille de celle Jacques Rivette dans Céline et Julie vont en bateau ? Elle en la malice, la folie douce et la capacité à s’engouffrer dans des histoires incroyables.
Rembobiner par le collectif Marthe au Théâtre Public Montreuil
Rembobiner initie avec énergie et intelligence au travail de la vidéaste féministe Carole Roussopoulos. À l’instar de la vidéo facilement praticable avec l’avènement des fameuses « portapak » de Sony, caméras légères, peu coûteuses, discrètes et aisément diffusables sur des écrans de TV, le spectacle épouse cette économie de moyens, usant avec ingéniosité de simples artifices pour déployer son propos.
Un spectacle énergique et rondement mené par son duo d’interprètes et conceptrices où se dit avec puissance la persistance de luttes à mener.
Je suis Gréco de Léonie Pingeot et Mazarine Pingeot au Théâtre du Rond-Point – Paris
Léonie Pingeot s’allie avec Mazarine Pingeot pour revenir sur le destin multiple et intime de la chanteuse Juliette Gréco. Bien au-delà d’un biopic, la proposition percute quand elle vient questionner la notion d’identité.
Elles parviennent à nous toucher en nous confrontant aux failles, aux petits arrangements et aux dénis qui nous bâtissent pour nous regarder finalement en face et nous demander : qui pensez-vous donc être, réellement ?
Vaincre à Rome de Sylvain Coher dans une mise en scène de Thierry Falvisaner à la Criée de Marseille
Adapté du roman de Sylvain Coher, le spectacle mis en scène par Thierry Falvisaner retrace l’exploit d’Abebe Bikila, coureur éthiopien vainqueur du marathon des Jeux olympiques de Rome en 1960.
Bien pensée, fluide et habitée par d’excellents comédiens, la mise en scène de Thierry Falvisaner recrée les conditions d’un combat. Celui d’un homme, simple soldat, qui à force d’entraînement, de rencontres, et de soutien, a pulvérisé les records du monde en seulement 2 heures, 15 minutes et 16 secondes. Qu’on aime ou pas le sport, Vaincre à Rome s’apprécie bien au-delà d’une simple histoire de marathon.
Biographie : un jeu de Max Frisch, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia au Théâtre Marigny
Frédéric Bélier-Garcia livre une mise en scène propre et fidèle de la pièce de Max Frisch, portée par une belle bande de comédiens, Isabelle Carré et Jérôme Kircher en tête.
Frédéric Bélier-Garcia a décidé d’y revenir, comme on retournerait vers son premier amour, à cette pièce, Biographie : un jeu, la première qu’il avait mise en scène et qui lui a assuré, à la toute fin des années 1990, une belle rampe de lancement pour construire la carrière qu’on lui connait.
Le Iench d’Eva Doumbia au Théâtre national de Strasbourg
Avec Le Iench, Eva Doumbia signe un spectacle-manifeste sur le racisme systémique et les violences policières.
Dans son alternance de séquences entre les espaces du salon et ceux, extérieurs, Le Iench ne cesse de nous balader d’un territoire à l’autre, intime ou public, ainsi que de moments triviaux, banals, à d’autres narrant la mort tragique.
Bonjour et merci pour votre travail en général mais votre article soulève un constat désolant et qui augure mal de l’avenir du spectacle vivant dans ce pays : sur 20 spectacles cités, 2 seulement sont référencés en dehors de Paris et de sa proche banlieue. Je sais bien qu’il est coûteux en temps, argent et carbone de sillonner les « territoires », ces étendues étranges et incertaines, à la découverte d’autres esthétiques, équipes et dynamiques, mais la célébration du centralisme parisien apparaît franchement de plus en plus ringarde et déconnectée des réalités présentes et à venir pour un media comme le votre qui affiche volontiers me semble-t-il sa dimension nationale. Sceneweb, media local ?
Un beau panorama de la richesse et de la diversité culturelle en France…à Paris, pardon. A quoi bon sortir de la capitale?