Formé à l’École du TNB, le comédien s’est illustré, cette année, dans Kliniken de Julie Duclos et Outremonde, The Sleeping Chapter de Théo Mercier. Rencontre avec un jeune homme qui, s’il n’était pas prédestiné au théâtre, a su pleinement se l’approprier.
Ce soir-là, au Théâtre National de Bretagne (TNB), Maxime Thébault se glisse dans le peau de Markus. Ce jeune schizophrène occupe une place à part dans la galerie d’esprits en crise du Kliniken de Lars Norén. Quasi mutique mais omniprésent, à la fois en marge et central, il s’impose comme la clef de voûte d’un édifice psychiatrique qui menace, à tout instant, de s’effondrer. Dépourvu de répliques, ce rôle est plus compliqué qu’il n’y paraît, et oblige à suivre une partition précisément écrite par le dramaturge suédois dans ses didascalies. « Markus […] exprime une immense solitude qui s’est écrasée sur le gravier et qui, juste avant, a rassemblé sa douleur en un cri, énonce-t-il. Il pose son front contre le front de quelqu’un qu’on ne voit pas, et chuchote à cette personne, comme à une oreille invisible. »
À cet homme qu’il aime considérer comme une « autre version » de lui-même, Maxime Thébault offre une présence hors norme, magnétique, sublime de noirceur, jusqu’à l’ultime tableau où, resté seul en scène, « il explose en une infinité de petits morceaux qui s’éparpillent dans la chambre, comme un très beau verre sous une pression trop forte », décrit Norén. Cette désintégration finale, magnifiée par la mise en scène de Julie Duclos, provoque un effet de souffle qui laisse pantois, hagard, sonné, et exhale l’intensité de jeu d’un comédien qui, à l’âge de 24 ans et sans en avoir pleinement conscience, étonne déjà son monde dans sa façon de maîtriser son corps, d’utiliser « une épaule pendante » et « un sourcil relevé », patiemment réglés face au miroir, pour ouvrir grand les portes d’un univers intérieur.
Le théâtre par la bande
Mise à nouveau à profit dans Outremonde, The Sleeping Chapter de Théo Mercier où, au milieu de sculptures de sable, il campait avec maestria un homme-animal, aussi protecteur que fidèle à son maître enfantin, cette sensibilité corporelle n’avait, pour Maxime Thébault, rien d’innée, mais s’est révélée à lui lors de son passage à l’École du TNB. Contrairement à nombre de ses camarades de la promotion 10, lui n’avait jamais rêvé d’intégrer la prestigieuse formation bretonne qui s’impose, année après année, comme l’une des meilleures de France. Originaire de Plérin, une petite ville des Côtes d’Armor située à proximité de Saint-Brieuc, le jeune homme est venu au théâtre par la bande, pour ne pas dire par hasard. « Pas très bon à l’école », il s’oriente d’abord vers un bac technologique Sciences et technologies de l’agronomie et du vivant (STAV) au lycée horticole de Saint-Ilan, puis vers un BTS technico-commercial où, à la faveur d’un module obligatoire, il croise la route de l’art dramatique. « C’est là qu’il y a eu le déclic, se souvient-il. J’ai découvert Pagnol, Rimbaud, et je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses là-dedans. »
Alors qu’il le voit se produire, avec succès, devant une salle de 200 personnes au long d’une pièce centrée sur la jeunesse, son entourage le pousse à « faire quelque chose avec le théâtre ». Le futur comédien pense en premier lieu à l’université, puis se renseigne sur les conservatoires, avant de tomber sur le concours de recrutement de l’École du TNB, tout juste remanié par le directeur des lieux, Arthur Nauzyciel, afin d’attirer des profils plus diversifiés. « Au vu de mon parcours, il n’y a sans doute que cette formation là qui pouvait m’ouvrir ses portes, notamment grâce à la teneur assez personnelle du dossier de candidature qui invite à davantage s’ouvrir qu’un dossier plus classique », assure Maxime Thébault. Devant ce virage à 180 degrés, sa famille, que le jeune homme avait mis en scène à travers une photo dans son dossier de candidature, le soutient, sans dissimuler ni sa surprise, ni sa fierté, « même s’ils voyaient bien que je ne me rendais pas tout à fait compte de ce que c’était qu’une école », s’amuse-t-il aujourd’hui.
De l’hésitation à la libération
Ses premiers pas à l’intérieur de l’institution rennaise sont logiquement hésitants, l’apprenti comédien, doté d’une nature assez timide et réservée, s’excuse un peu d’être là, « mais je me suis rapidement rendu compte que c’était un avantage de ne pas connaître les choses car, contrairement à d’autres, je n’avais aucun préjugé sur les écritures et les metteurs en scène », souligne-t-il. Bientôt, le monde de la culture ne manque pas de s’ouvrir à lui. Le jeune homme découvre ses premiers spectacles, dont le magnifique Jan Karski (Mon nom est une fiction) d’Arthur Nauzyciel, dévore ses premiers films en dehors des blockbusters américains, de Border d’Ali Abbasi au Blue Velvet de David Lynch en passant par le cultissime E.T. de Steven Spielberg, et fait face à un rythme de travail monstrueux. « L’entrée à l’école a changé mon rapport à la vie et mon rapport au temps, précise-t-il. Avec la montagne de travail qu’il fallait affronter, notamment pendant la première année, toute dissociation entre l’existence quotidienne et le travail était devenue impossible. » Sous le regard ébahi de sa soeur, avec qui il vit en colocation, Maxime Thébault se met alors à parler tout seul dans la cuisine, rabâche ces textes qu’il doit apprendre, et voit au fil du temps son appréhension des autres évoluer. « Je suis devenu beaucoup plus sensible aux gens et je crois mieux comprendre ce qu’ils veulent me dire, remarque-t-il. Au début, je me souviens que je n’arrivais pas à jouer avec les autres. Et puis, au fil du temps, j’ai fini par comprendre que le regard d’autrui permet d’ouvrir quelque chose en toi, que c’est l’autre qui est important. »
Mentoré par Arthur Nauzyciel et l’acteur Laurent Poitrenaux, responsable pédagogique associé à l’École, le comédien fait pendant ses trois années de formation la rencontre de plusieurs metteurs en scène de renom, dont Gisèle Vienne qui le marque plus que d’autres. « Grâce à elle, je me suis rendu compte qu’on pouvait parler de choses très dures, mais que le travail pouvait se faire, dans le même temps, avec énormément de douceur et de discussion, s’étonne-t-il. Aujourd’hui, j’ai dû mal à croire qu’on puisse travailler dans quelque chose de douloureux. » En chemin, Maxime Thébault a aussi connu, comme l’ensemble des élèves-comédiens français, cette période particulière du confinement où tout s’est soudainement arrêté, où les cours se sont transformés en sessions sur Zoom, où la vie du groupe devait être réenvisagée. Loin de se laisser abattre, le jeune homme a fait de ce temps suspendu un moment structurant. Il l’a mis à profit pour prendre du recul sur lui, mais aussi pour se mettre à écrire, notamment de la poésie. Façon de se libérer encore davantage.
Prudence de Sioux
Au gré des différents « spectacles d’entrée dans la vie professionnelle », comme il convient désormais de les appeler, le comédien se met aux services d’univers et d’esthétiques aux antipodes. Il joue, tour à tour, sous la direction de Madeleine Louarn (Opérette), Phia Ménard (Fiction Friction), Pascal Rambert (Dreamers) ou encore Mohamed El Khatib (Mes parents), et se prépare progressivement, au contact de ces « artistes aux propositions très fortes », au monde d’après l’école. À l’invitation de Steven Cohen, il crée même, dans From Outside In, sa propre forme, Small Boy, plus proche de la performance, et découvre « dans un mélange de transe, d’objets divers et de sensualité la puissance du corps qui, mis sous contraintes, peut s’exprimer autant que l’intellect ». Propulsé et nourri par ces multiples expériences, Maxime Thébault ne connait aujourd’hui, et contrairement à de nombreux jeunes artistes victimes de l’embouteillage post-Covid, aucun problème d’insertion professionnelle, comme en témoignent ses rôles dans Kliniken de Julie Duclos, Outremonde, Dream Hunters et Outremonde, The Sleeping Chapter de Théo Mercier, mais aussi dans le film d’Olivier Abbou, Drone Games, qui sortira dans les mois à venir sur la plateforme Amazon Prime.
Quand on lui parle de l’avenir, le comédien, d’une modestie rare, qui s’estime « chanceux », se montre d’une prudence de Sioux. Bien conscient que du théâtre au cinéma en passant par la mise en scène, il ne pourra pas être partout, il ne se ferme pour l’instant, et à raison, aucune porte artistique. Déjà mobilisé sur deux nouveaux projets théâtraux sur lesquels il ne veut dire mot, il aimerait, en parallèle, pouvoir donner une autonomie au spectacle qu’il avait créé dans le cadre de son travail avec Steven Cohen. Histoire, tout en restant, assure-t-il, « dans une phase d’apprentissage où tout semble envisageable », d’avoir plusieurs cordes à son arc, et d’atteindre, ainsi, plus facilement sa cible.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Le palmarès 2022 de Vincent Bouquet
Meilleur spectacle de théâtre : Dark was the night d’Emmanuel Meirieu
Meilleur spectacle étranger : One Song – Histoire(s) du théâtre IV de Miet Warlop
Meilleur·e metteur·euse en scène : Séverine Chavrier pour Ils nous ont oubliés
Meilleur comédien : Maxime Thébault dans Kliniken de Julie Duclos et Outremonde, The Sleeping Chapter de Théo Mercier
Meilleure comédienne : Marie-Christine Barrault dans Une mort dans la famille d’Alexander Zeldin
Meilleur·e scénographe : Hervé Cherblanc pour Je vous écoute de Mathilde Delahaye
Meilleur·e auteur·rice : Lucy Kirkwood pour Le Firmament et Les Enfants (L’Arche Éditeur)
Révélation : Eddy D’aranjo pour Après Jean-Luc Godard / Je me laisse envahir par le Vietnam
Mentions spéciales pour Combat de nègre et de chiens de Kobal’t et Une autre histoire du théâtre de Fanny de Chaillé
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