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« Bérénice » à l’épreuve du vide

Amiens, Angers, Arras, Béthune, Décevant, Douai, Les critiques, Lille, Pau, Rennes, Théâtre, Valenciennes
Jean-René Lemoine met en scène Bérénice de Racine avec Marine Gramond
Jean-René Lemoine met en scène Bérénice de Racine avec Marine Gramond

Photo Alexis Cordesse

Sur un plateau et trop grand et trop nu, les héros tragiques déposent le malheur qui les éprouve. Chant d’amour et de désolation mêlés, Bérénice de Racine souffre d’une impossible raideur dans la mise en scène hiératique de Jean-René Lemoine qui vient d’être créée à la Maison de la Culture d’Amiens.

Debout, droites et stoïques, trois silhouettes inexorablement campées, voire prostrées, sur scène forment à distance un triangle amoureux dépourvu d’espoir et d’ardeur. Bérénice aime Titus, mais l’empereur l’abandonne pour raison d’État. Une loi ­romaine condamne son union avec une étrangère. La reine de Judée est en revanche vainement aimée d’Antiochus. Le roi de Commagène se voit par elle rejeté. Ni d’hier ni d’aujourd’hui, ces figures semblent échapper à la temporalité. Elles se présentent moins fortes que fragiles, plutôt interdites, égarées, dépassées dans le vide d’un vaste espace totalement dépouillé. Nul autre décor qu’un sol carrelé, dont le prosaïsme se recouvre d’une fine poussière d’or, vient s’offrir comme écrin à la tragédie de leur amour impossible. Aucun accessoire, aucun support de jeu. Économe en tout point, cette représentation de Bérénice de Racine paraît aux antipodes des simagrées imaginatives dont a pu user un Romeo Castellucci, privant de sa substance la pièce inconcevablement parasitée.

Sans aller aussi loin dans le délire, le metteur en scène racinien qui fait le choix d’une simplicité vertueuse doit néanmoins pouvoir délivrer une vision forte de l’objet dont il s’empare. A défaut, la version proposée par Jean-René Lemoine se déroule avec une limpidité qui rend avant tout justice à l’intrigue et à la langue. La tragédie de la parole laisse défiler ses vers et leur musicalité. Les alexandrins sont dits avec une certaine application, d’une manière à la fois fluide et hachée, saccadée, un peu toujours sur le même ton, sur le même rythme, lancinant. Le texte devient alors un triste chant de deuil de l’amour où l’affliction a tendance à prendre le dessus sur la passion.

Comme dramaturge et interprète, Jean-René Lemoine a profondément ému en début de saison avec la reprise de son intime et poignant texte, Face à la mère, mis en scène par Guy Cassiers. Un long monologue là aussi déployé dans un grand dénuement. Sans doute, en qualité de metteur en scène, l’artiste a-t-il voulu reconvoquer cette radicale et intransigeante simplicité formelle au service de la force du texte racinien et chercher à mettre en évidence l’effet de transe et d’envoutement que peuvent provoquer les mots. Contrepoint absolu au déchaînement de sentiments paroxystiques, sa Bérénice donne l’impression d’une approche exagérément dépassionnée. Ce qui renforce son aspect monolithique est le traitement des corps, trop figés pour se faire véritables vecteurs d’émotions. On voudrait faire revivre Chéreau pour voir s’épanouir le sensualisme et l’organicité qui rendent si vibrante la douleur que contient, malgré ses règles astreignantes de bienséance, le théâtre racinien.

Ici, les corps bien peu à l’aise sont raides et las. Ils ne se rencontrent, ne s’approchent, ne se touchent que rarement, se plantent face à face ou se tournent le dos. Si bien qu’on se lasse de l’éternelle distance à laquelle ils jouent les uns avec les autres. On n’en tiendra pas rigueur aux comédiens, sensibles et talentueux. Immobiles sous un éclairage tantôt diurne, tantôt nocturne, Marine Gramond en Bérénice inhabituellement jeune, mais qui fait autorité dans son pourpre drapé, Jean-Christophe Folly solaire dans le rôle de Titus, et Alexandre Gonin saturnien dans celui d’Antiochus ne manquent pas d’allure, pas d’aplomb, et à l’occasion de quelques accents moins contenus, ils laissent deviner facilement la fougue, la flamme, la fureur dont ils seraient capables sous une direction d’acteurs qui ne les aurait pas autant brimés.

« Monter Bérénice, c’est, dans mon imaginaire, faire un plan séquence d’une extrême durée, brouiller les repères d’espace et de temps, créer une boucle hypnotique où on ne cherche plus, où on n’attend plus aucune acmé, aucun climax », assure Jean-René Lemoine dans ses intentions. Et, en effet, aucun désordre, aucun débordement, ne vient troubler ou supplanter sa lecture calme et étale de la pièce. Si ce n’est cet étonnant moment où Titus vante l’amitié d’Antiochus et réclame sa sollicitude en s’approchant lentement pour le prendre dans ses bras et déposer à ses lèvres un ambigu baiser. Enfin, c’est à l’acte IV et à l’issue de l’imminente séparation des amants que, de manière aussi abrupte qu’inattendue, Bérénice se jette sur le corps de Titus, l’attire au sol, pour une furtive, mais sauvage étreinte, vécue comme un détonnant adieu.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Bérénice
de Jean Racine
Mise en scène Jean-René Lemoine
Avec Marine Gramond, Jean-Christophe Folly, Alexandre Gonin, Nicole Dogué, Jan Hammenecker, Marc Barbé, Jean-René Lemoine
Dramaturgie Laure Bachelier-Mazon
Scénographie Christophe Ouvrard
Lumières François Menou
Son Xavier Jacquot
Costumes Clément Desoutter
Assistanat aux costumes Lisa Renaud
Assistanat mise en scène David Duverseau

Production déléguée Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production
Coproduction Théâtre National de Bretagne – Centre européen théâtral et chorégraphique ; Théâtre du Nord, Centre Dramatique National Lille / Tourcoing ; TANDEM Douai-Arras, Scène nationale ; Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; Comédie de Béthune, Théâtre et Centre Dramatique National
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Avec le soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT

Durée : 2h

Maison de la Culture d’Amiens
du 14 au 16 janvier 2025

TANDEM Douai-Arras, Scène nationale
du 21 au 24 janvier

Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes
les 30 et 31 janvier

Comédie de Béthune
du 4 au 6 février

Théâtre National de Bretagne, Rennes
du 4 au 8 mars

Le Quai, Centre dramatique national d’Angers
les 2 et 3 avril

Le Dôme Théâtre, Albertville
le 15 avril

Théâtre du Nord, CDN de Lille
du 22 au 25 avril

Le Foirail, Pau
les 13 et 14 mai

17 janvier 2025/par Christophe Candoni
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