Aux Célestins, Valérie Lesort et Christian Hecq retracent l’histoire de ces deux sœurs siamoises devenues des stars du music-hall, mais échouent à donner du relief tant dramaturgique que scénique à leur existence.
Valérie Lesort et Christian Hecq forment aujourd’hui l’un des couples les plus bankables de la scène théâtrale. Depuis 20 000 lieues sous les mers, créé en 2016 au Théâtre du Vieux-Colombier, le tandem n’a eu de cesse de réjouir le public – et la critique – grâce à un langage scénique nourri par des trouvailles en tous genres. De La Mouche au Voyage de Gulliver, en passant par Le Bourgeois gentilhomme et plusieurs formes opératiques (Le Domino Noir, Ercole Amante, La Petite Boutique des horreurs), ils sont peu à peu devenus des générateurs de tubes, souvent auréolés de très longues tournées, et rien ne semblait, jusqu’ici, pouvoir résister au charme artistique qu’ils étaient capables de déployer. En toute logique, la création de leur dernier-né, Les Sœurs Hilton, aux Célestins, constituait l’un des moments-phares de cette rentrée. Pour le tricoter, Valérie Lesort, qui signe en solo le texte de cette pièce, n’avait, pour la première fois dans le parcours du duo, aucune oeuvre préalable sur laquelle s’appuyer. Elle ne pouvait compter ni sur Jules Verne, ni sur George Langelaan, ni sur Jonathan Swift, ni sur Molière, mais seulement sur une histoire, pour le moins unique en son genre, celle de Daisy et Violet Hilton.
Nées en 1908 au Royaume-Uni, les deux fillettes sont des sœurs siamoises, rattachées par le bas de leur colonne vertébrale. Jugeant leur dissociation possible, mais trop risquée, les médecins décident de ne pas les séparer, mais leur mère assimile ce handicap à un châtiment divin et les rejette. Daisy et Violet sont alors adoptées par la sage-femme qui les a fait venir au monde, Mary Hilton. Sans vergogne, la marâtre ne tarde pas à les transformer en bêtes de foire, à faire payer trois sous aux badauds qui voudraient les observer, d’abord au Royaume-Uni, puis en tournée, en Allemagne, en Australie et aux États-Unis. Formées, en parallèle, au chant et à la danse, isolées du reste du monde, elles deviennent, au fil des années, des stars du music-hall. À la mort de leur mère adoptive, Daisy et Violet sont prises en charge par le producteur Meyer Meyers qui leur permet de jouer dans de nombreux cirques itinérants américains, et même à Broadway. Las, à partir du début des années 1930, et malgré leur participation au film Freaks et leur rencontre avec le célèbre magicien Houdini, leur étoile commence à pâlir. Tant personnellement que professionnellement, les deux sœurs entament alors une lente dégringolade, jusqu’à leur mort en 1969, à Charlotte, en Caroline du Nord, où, pour survivre, elles tenaient la caisse d’une épicerie.
Pour retracer cette histoire, Valérie Lesort ne s’est embarrassée d’aucune spécificité dramaturgique. Comme dans bon nombre de mauvais biopics, l’artiste s’est contentée de dérouler leur existence, de leur naissance à leur décès, de la salle d’accouchement où elles ont vu le jour jusqu’au lit où elles passent leurs derniers instants, en illustrant en chemin plusieurs périodes charnières de leur vie. Rapidement, cette linéarité scolaire a la saveur d’une fiche Wikipédia, et manque cruellement d’une lecture particulière, d’un regard pertinent, qui permettrait de mettre en relief la trajectoire de Daisy et Violet. Des coeurs et des esprits de ces deux femmes, rien n’est sondé, et Valérie Lesort passe parfois même à côté de certains événements naturellement dramatiques en les traitant sous un angle purement anecdotique. Il en va ainsi du moment où les sœurs Hilton se retrouvent, à soixante ans passés, en train de confectionner des burgers dans un vulgaire fast-food sous la férule d’un manager autoritaire. De cette situation triste et miséreuse, l’autrice n’a qu’une chose à retirer : l’une aurait des flatulences à cause des oignons que l’autre aurait mangés – ce qui, au-delà de la vacuité du propos, est totalement faux puisque Daisy et Violet n’avaient aucun organe en commun. Loin d’être isolé, ce cas est symptomatique d’une tendance du duo Lesort-Hecq : sans doute conscients des limites de leur texte, de ses difficultés à provoquer le rire, ils jouent à intervalles réguliers la carte du vulgaire, jusqu’à oser l’allusion aux relents scatologiques, plus facile que drôle.
Surtout, le tandem se laisse prendre au piège du système qu’il a lui-même instauré. En s’inspirant de Freaks, ce film culte de Tod Browning où un cirque exhibe des monstres – dont certains, tels les « pinheads », font une apparition furtive au cours de la pièce –, Valérie Lesort et Christian Hecq en reprennent les codes circassiens : la piste, bien sûr, mais également la logique de petits numéros qui, au théâtre, renforce l’impression de scènes vaguement, et un peu trop perceptiblement, enfilées les unes à la suite des autres. Dès lors, Les Sœurs Hilton peine à trouver son rythme de croisière. Au soir de la première, en dépit de l’engagement des comédiennes et comédiens, le plateau semblait manquer d’énergie, d’intensité, d’électricité, comme si le duo avait conscience que son habituelle magie peinait cette fois à opérer. Car, aux lacunes textuelles, se surajoute un manque, aussi cruel que curieux, d’idées scénographiques. Alors que l’exécution des tours reste un peu trop souvent à parfaire, Valérie Lesort et Christian Hecq recyclent volontiers des inventions déjà utilisées par le passé, et n’accouchent d’aucun tableau, ou presque, qui se révèlerait étonnant ou magique – à l’exception notable de ce succulent prologue avec leur fidèle chien en guest-star. À l’image de Yann Frisch, mobilisé pour des numéros très en deçà de son niveau habituel, les deux artistes, malgré leur imperturbable souci du détail, apparaissent alors au bord de la panne sèche.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Sœurs Hilton
Texte Valérie Lesort
Mise en scène Christian Hecq, Valérie Lesort
Avec Yann Frisch, Christian Hecq, Valérie Lesort, Céline Milliat-Baumgartner, Renaud Crols (musicien) et la participation de Monika Schwarzl en alternance avec Claire Jouët-Pastré
Scénographie et costumes Vanessa Sannino
Lumière Pascal Laajili
Musique et conception sonore Dominique Bataille, Mich Ochowiak
Magie Yann Frisch
Conception et fabrication des entresorts Père Alex
Perruques, maquillages et prothèses Cécile Kretschmar
Chorégraphie Yohann Têté
Assistanat à la mise en scène Florimond Plantier
Assistanat à la scénographie et création des accessoires Julie Camus
Assistanat et régie lumière Jérôme Simonet
Assistanat et régie Chloé Barbe assistanat à la lumière Jérôme Simonet
Assistanat au son Chloé Barbe
Assistanat costumes Natacha Costechareire, Laura Lemmetti
Direction technique Pierre-Yves Chouin
Régie plateau Benjamin Vigier, Eléonore Larue
Cintrier machiniste Damien Felten
Habillage Florian Emma, Claire Jouët-Pastré, Monika Schwarzl et les équipes techniques permanentes et intermittentes des CélestinsProduction Compagnie Point Fixe
Coproduction Les Célestins – Théâtre de Lyon, Espace Jean Legendre – Théâtres de Compiègne, Le Volcan – Scène nationale du Havre, Théâtre des Bouffes du Nord, Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, Théâtre de Namur, Théâtre national de Nice – CDN Nice Côte d’Azur, Les Salins – Scène nationale de Martigues, EMC – Saint-Michel-sur-Orge, TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers – Scène nationale, Malraux – Scène nationale Chambéry Savoie, Le Tangram – Scène nationale d’Évreux, L’Azimut – Antony/Châtenay‑Malabry, Pôle National Cirque en Île‑de‑France, Théâtres en Dracénie – Scène conventionnée Draguignan, Théâtre Edwige Feuillère – Vesoul, Compagnie l’AbsenteFabrication des décors par les ateliers du Théâtre National Populaire – CDN Villeurbanne, et confection des costumes par les ateliers des Célestins – Théâtre de Lyon. Christian Hecq et Valérie Lesort sont artistes associés aux Célestins – Théâtre de Lyon, à l’Espace Jean Legendre – Théâtres de Compiègne et au Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque. La compagnie Point Fixe est conventionnée par la DRAC Île-de-France.
Durée : 1h40
Les Célestins, Théâtre de Lyon
du 19 au 29 septembre 2024Espace Jean Legendre – Théâtres de Compiègne
les 3 et 4 octobreThéâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 10 octobre au 3 novembreThéâtre de Namur
du 6 au 8 novembreThéâtre Edwige Feuillère – Scène conventionnée Vesoul
les 19 et 20 novembreEMC – Saint-Michel-sur-Orge
les 23 et 24 novembreLe Bateau Feu – Scène nationale Dunkerque
les 28 et 29 novembreCentre national de Création Orléans-Loiret
du 6 au 14 décembreLe Volcan – Scène nationale du Havre
du 8 au 10 janvier 2025Le Grand R – Scène nationale de La Roche-sur-Yon
les 13 et 14 janvierTAP – Théâtre Auditorium de Poitiers – Scène nationale
les 17 et 18 janvierLes Salins – Scène nationale de Martigues
les 31 janvier et 1er févrierMalraux – Scène nationale Chambéry-Savoie
les 11 et 12 février
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