Partis favoris, Courgette et Le Cercle des poètes disparus n’auront pas écrasé la 35e Nuit des Molières. Au terme d’une cérémonie lisse et sous contrôle, 4211 km, 40° sous zéro, Neige, C’est pas facile d’être heureux quand on va mal et le spectacle d’Olivier Solivérès repartent chacun avec deux récompenses.
On aurait dû se méfier de cette entrée en matière qui, sous ses airs de ne pas y toucher, à, en réalité, donner le ton de cette 35e Nuit des Molières. Après un curieux générique en forme de medley interprété par la Musique des Sapeurs-Pompiers de Paris, la maîtresse de cérémonie, Caroline Vigneaux, entame une liste, caricaturalement longue, de remerciements. Exception faite de la ministre de la Culture, Rachida Dati, à qui elle demande de « récupérer les 204 millions » d’euros de coupes budgétaires récemment imposées par le gouvernement, l’humoriste gratifie tout le monde pour « éviter aux lauréats d’avoir à le faire ». Peine perdue. Excédant souvent la minute qui leur était en théorie impartie, tous les vainqueurs adresseront logiquement, tout au long de la soirée, des petits mots à leurs proches, donnant à la cérémonie, qui n’en avait nul besoin, l’allure d’une litanie.
Car, du petit sketch de deux élèves courageux de spécialité théâtre aux jumeaux prestidigitateurs des French Twins, du mentaliste Victor Vincent au tour de chant imposé au public, la 35e Nuit des Molières aura exploré tous les sentiers attendus, et visiblement très bien balisés, jusqu’à donner une impression de contrôle, voire de verrouillage, qui sied toujours particulièrement mal au spectacle vivant. À de très rares exceptions près, et malgré le fond du discours féministe servi par Caroline Vigneaux, ce tour de piste 2024 est apparu dramatiquement lisse, terne, fade, et même gênant lorsque les vannes grossières ou les petits numéros ne provoquaient pas les réactions attendues du public. Dans un contexte où le monde du théâtre se prépare à vivre, dès la rentrée prochaine, des heures sombres, en raison des menaces de restrictions budgétaires, la cérémonie semblait déconnectée de cette réalité économique, y compris lors du discours convenu de l’acteur et militant de la CGT-Spectacle Régis Vlachos, auquel Rachida Dati, présente dans la salle, n’a même pas pris la peine de répondre.
Côté palmarès, alors que le sacre de Courgette et du Cercles des poètes disparus, avec leurs sept et six nominations respectives, était attendu, c’est, en réalité, une distribution de statuettes parfaitement panachée qui s’est progressivement dessinée. Au-delà du Molière d’honneur remis à Francis Huster, qui a profité de cette tribune pour rendre un hommage passionné au plus célèbre des dramaturges français, 4211 km repart avec le Molière du théâtre privé et celui de la révélation féminine pour Olivia Pavlou-Graham ; 40° sous zéro obtient le Molière du théâtre public et son créateur, Louis Arene, celui de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public ; Neige de Pauline Bureau se voit décerner le Molière du jeune public et celui de la création visuelle et sonore ; C’est pas facile d’être heureux quand on va mal est récompensé du Molière de la Comédie et son dramaturge, Rudy Milstein, de celui de l’auteur francophone vivant ; quand Le Cercle des poètes disparus doit se contenter du Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé décerné à Olivier Solivérès et de celui de la révélation masculine reçu par Ethan Oliel. Passage en revue de l’ensemble des lauréates et lauréats.
Molière du spectacle de théâtre privé : 4211 km
Le très convoité Molière du spectacle de théâtre privé échoie à 4211 km de Aïla Navidi. Né au Théâtre de Belleville, puis repris au Studio Marigny, cette belle traversée de l’espace et du temps s’impose devant Le Cercle des poètes disparus, Un Chapeau de paille d’Italie et Denali.
Molière du spectacle de théâtre public : 40° sous zéro
Spectacle symbolique de la décentralisation théâtrale, 40° sous zéro, porté par le Munstrum Théâtre et créé à La Filature de Mulhouse, a reçu le Molière du spectacle de théâtre public devant Allosaurus [même rue, même cabine], Courgette et même Welfare de Julie Deliquet, qui, l’an passé, au Festival d’Avignon, avait eu les honneurs de la Cour du Palais des Papes.
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé : Vincent Dedienne
Et de trois pour… Vincent Dedienne. Déjà lauréat du Molière de l’humour en 2017 pour S’il se passe quelque chose, puis en 2022 pour Un soir de gala, l’acteur au premier plan d’Un Chapeau de paille d’Italie, mis en scène par Alain Françon, remporte le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé. Ils grillent la priorité à Maxime d’Aboville (Pauvre Bitos – Le dîner de têtes), Stéphane Freiss (Le Cercle des poètes disparus) et Thierry Frémont (Le Repas des fauves).
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé : Cristiana Reali
Seule nommée dans la catégorie du Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé à être absente lors de la cérémonie – pour cause de tournage –, Cristiana Reali remporte la précieuse statuette grâce à son rôle dans Un tramway nommé désir, mis en scène par Pauline Susini. Nommée pour la septième fois, elle faisait face à Pascale Arbillot (Interruption), Ariane Ascaride (Gisèle Halimi, une farouche liberté) et Noémie Lvovsky (Vidéo club).
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public : Micha Lescot
En majesté dans Richard II, mis en scène par Christophe Rauck lors du Festival d’Avignon 2022, Micha Lescot rafle (logiquement) le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public. Il était en compétition avec Charles Berling (Après la répétition/Persona), Laurent Lafitte (Cyrano de Bergerac) et Roschdy Zem (Une journée particulière).
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public : Vanessa Cailhol
Opposée au beau trio, Emmanuelle Bercot, Laetitia Casta et Marina Hands, Vanessa Cailhol a créé la surprise en obtenant le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public pour son joli rôle dans Courgette de Pamela Ravassard. Elle y incarne le personnage de Camille, une fillette de neuf ans, placée dans un foyer de l’Aide sociale à l’enfance.
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé : Olivier Solivérès
Au terme d’un sketch anti-réseaux sociaux, mais pro-spectacle vivant, commis par Anne Roumanoff, Olivier Solivérès s’est vu attribuer le Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé pour Le Cercle des poètes disparus, qu’il a mis, à l’en croire, « onze ans à créer ». Il passe devant Aïla Navidi (4211 km), Alain Françon (Un Chapeau de paille d’Italie) et Nicolas Le Bricquir (Denali).
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public : Louis Arene
Dans la très disputée catégorie du Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public, c’est Louis Arene (absent lors de la cérémonie) qui est couronné pour 40° sous zéro, au nez et à la barbe de Christophe Rauck (Richard II), Pamela Ravassard (Courgette) et Ivo van Hove (Après la répétition/Persona).
Molière de la révélation féminine : Olivia Pavlou-Graham
Opposée à Justine Bachelet (Après la répétition/Persona), Nassima Benchicou (Freud et la femme de chambre), Lucie Brunet (Denali), Lila Houel (Daddy) et Cléo Sénia (Music-Hall Colette), c’est Olivia Pavlou-Graham qui, pour sa belle prestation dans 4211 km de Aïla Navidi, se voit décerner le Molière de la révélation féminine.
Molière de la révélation masculine : Ethan Oliel
Ethan Oliel remporte le Molière de la révélation masculine pour son rôle dans Le Cercle des poètes disparus, mis en scène par Olivier Solivérès, au grand dam de ses concurrents Martin Karmann (Je m’appelle Asher Lev), Garlan Le Martelot (Courgette), Audran Cattin (Le Cercle des poètes disparus), Louis Peres (Daddy) et Yuming Hey (Les Bonnes).
Molière du comédien dans un second rôle : Guillaume Bouchède
Aux commandes de nombreux personnages dans Je m’appelle Asher Lev, mis en scène par la très jeune Hannah-Jazz Mertens, Guillaume Bouchède remporte le Molière du comédien dans un second rôle et coiffe au poteau Lionel Abelanski (Un tramway nommé désir), Florian Choquart (Courgette), Kevin Razy (Passeport), Laurent Stocker (Cyrano de Bergerac) et Vincent Viotti (Courgette).
Molière de la comédienne dans un second rôle : Jeanne Arènes
Extrêmement émue, Jeanne Arènes est montée sur scène pour recevoir le Molière de la comédienne dans un second rôle pour son interprétation dans L’effet miroir de Léonore Confino, mis en scène par Julien Boisselier. Elle était opposée à Cécile Garcia Fogel (Richard II), Charlotte Matzneff (Le Huitième ciel), Alysson Paradis (Un tramway nommé désir), Lola Roskis (Courgette) et Josiane Stoléru (James Brown mettait des bigoudis).
Molière de la comédie : C’est pas facile d’être heureux quand on va mal
Remis après un discours très politique de Sophia Aram au sujet de la guerre en cours au sein de la bande de Gaza, le Molière de la Comédie a été décerné à toute l’équipe de C’est pas facile d’être heureux quand on va mal, créé par Rudy Milstein au Théâtre Lepic. Il faisait face à Ferme bien ta gueule, Mondial Placard et Vidéo club.
Molière de la création visuelle et sonore : Neige
L’équipe de Neige (presque) au complet – Emmanuelle Roy à la scénographie et aux accessoires, Alice Touvet aux costumes, Jean-Luc Chanonat aux lumières, Vincent Hulot à la composition musicale et sonore, Clément Debailleul à la vidéo et Julie Poulain aux perruques – a reçu le Molière de la création visuelle et sonore pour son magnifique travail autour du « récit métaphysique » écrit et mis en scène par Pauline Bureau. Elle fait ainsi de l’ombre aux autres nommés : 40° sous zéro, Le Cercle des poètes disparus et Denali.
Molière du spectacle musical : Spamalot
Nommé aux côtés de Mamma Mia, Molière, le spectacle musical et L’Opéra de quat’sous, c’est l’inattendu Spamalot qui se voit attribuer le Molière du spectacle musical.
Molière de l’humour : Sophia Aram
La maîtresse de cérémonie s’est elle-même prêtée au jeu de la remise des prix pour le Molière de l’humour, et c’est à Sophia Aram qu’a été décernée la précieuse statuette pour son spectacle sur « tous les teubés de l’époque », selon ses propres mots. Elle concourrait aux côtés d’Élodie Poux, Fabrice Éboué et Pablo Mira.
Molière du jeune public : Neige
Déjà lauréate, en 2022, du Molière de l’auteur.trice francophone vivant.e pour Féminines, Pauline Bureau, après un discours en prise directe avec les difficultés actuelles que traversent le monde du théâtre, rafle une nouvelle statuette, celle du Jeune public, pour Neige, sa belle variation autour du personnage de Blanche-Neige. Ce spectacle faisait face à Denver, le dernier dinosaure, Les aventures de Pinocchio et Icare.
Molière du seul.e en scène : Va aimer !, avec Eva Rami
C’est l’outsider Eva Rami, sincèrement bouleversée, qui remporte le Molière du seul.e en scène pour son spectacle Va aimer !. Face à elle, régnait une concurrence féroce : Le Consentement avec Ludivine Sagnier, La Douleur avec Dominique Blanc et Kessel, la liberté à tout prix avec Franck Desmedt.
Molière de l’auteur.trice francophone vivant.e : Rudy Milstein
C’est pas facile d’être heureux quand on va mal reçoit sa deuxième récompense de la soirée à travers la figure de son dramaturge, Rudy Milstein, qui se voit décerner le Molière de l’auteur.trice francophone vivant.e contre ses concurrentes et concurrents : Léonore Confino (L’effet miroir), Julie Deliquet (Welfare), Jean-Christophe Dollé (Allosaurus), Aïla Navidi (4211 km) et Yasmina Reza (James Brown mettait des bigoudis).
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !