Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Yves Beaunesne donne un sérieux coup de jeune à la tragi-comédie de Corneille et montre l’atemporalité de son célèbre dilemme.
A l’image de la façade typique de l’art mudéjar qui lui sert de décor, Le Cid mis en scène par Yves Beaunesne est le résultat d’un savant alliage, entre tradition du texte et modernité du jeu, flamboyance des rôles et complexité de la langue, costumes d’époque et dilemme atemporel. Pour reprendre à son compte le chef d’œuvre de Corneille, le directeur de La Comédie Poitou-Charentes n’est prêt à aucune concession textuelle. Il donne à entendre la toute première version de la pièce, celle de 1637, plus bigarrée et moins sage que les réécritures postérieures. Elle est bâtie, comme le metteur en scène le souligne, sur « un alexandrin cornélien de la jeunesse, fougueux, archaïque parfois. » A cet archaïsme versifié, l’oreille du spectateur – qui n’y est plus franchement habituée – doit nécessairement s’accoutumer. Tel est le prix à payer pour laisser le charme opérer.
Au-delà de sa kyrielle de tirades devenues célèbres – « Va, je ne te hais point », « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années » ou encore la magnifique « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? » – Le Cid conte une histoire d’amour et d’honneur que des générations d’écoliers connaissent sur le bout des doigts. A une époque où les unions amoureuses sont rares, Chimène et Rodrigue sont épris l’un de l’autre. Mais une querelle entre leurs deux pères pousse le jeune homme à tuer celui de sa belle pour restaurer l’honneur du sien. Un affront létal que, malgré la puissance de ses sentiments, Chimène n’arrive pas à lui pardonner. Prise dans le fameux dilemme cornélien entre son amant bien vivant et son défunt père, elle va tout faire pour obtenir sa tête auprès du roi.
A cette intrigue très dix-septièmiste, dont les enjeux pourraient sembler à première vue un brin dépassés, Yves Beaunesne confère la vitalité d’une jeunesse en proie, tout à la fois, à son héritage familial, aux conventions sociales et à ses feux intimes. Le metteur en scène parvient alors à révéler le côté intemporel de cette tragi-comédie. Sous leurs beaux costumes classiques signés Jean-Daniel Vuillermoz et derrière leurs mots compassés, Zoé Schellenberg en Chimène tiraillée et Thomas Condemine en Rodrigue héroïque n’ont rien de personnages poussiéreux. Ils incarnent des jeunes gens faits du même bois que ceux de notre époque. Les maux ont, certes et heureusement, évolué, mais les mécanismes sous-jacents restent fondamentalement les mêmes.
Mue par une belle énergie qui la pousse parfois sur les rivages d’une diction hasardeuse, la troupe déploie un jeu aussi vivace que convaincant. Portés par la simplicité élégante des lumières de Marie-Christine Soma et de la scénographie de Damien Caille-Perret, tous les comédiens s’appuient sur l’humour subtil de Corneille pour donner du piquant à leur partition. A ce titre, Julien Roy en Don Fernand impotent et Antoine Laudet en Don Sanche naïvement amoureux de Chimène sont particulièrement savoureux, et prouvent la fine lecture d’un Yves Beaunesne qui pourra se targuer d’avoir redonné un sérieux coup de jeune à l’un des plus célèbres dramaturges français.
Le Cid
Texte Pierre Corneille
Mise en scène Yves Beaunesne
Avec Eric Challier, Thomas Condemine, Jean-Claude Drouot, Eva Hernandez, Fabienne Lucchetti, Maximin Marchand, Julien Roy, Zoé Schellenberg, Marine Sylf et Antoine Laudet
Dramaturgie Marion Bernède
Assistanat à la mise en scène Marie Clavaguera-Pratx et Pauline Buffet
Scénographie Damien Caille-Perret
Lumières Marie-Christine Soma
Création musicale Camille Rocailleux
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillages Catherine Saint-Sever
Production La Comédie Poitou- Charentes – Centre Dramatique National, avec le soutien de la Drac Poitou-Charentes, de la Région Aquitaine/Limousin/Poitou-Charentes et de la Ville de Poitiers
Coproduction Le Théâtre d’Angoulême, Le Théâtre de Liège, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, DRAC et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Théâtre 71, Scène Nationale de Malakoff
Remerciements à Elie Triffault, au TNP pour son aide à la construction du décor, au Théâtre Paris-Villette, à la Compagnie Nicolas Liautard et à Enguerrand Boonen.
Durée : 2h15
Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre dramatique national du Val-de-Marne
Du 4 au 14 avril
Théâtre La Colonne, Miramas
Le 19 avrilThéâtre du Jorat, Mézières (Suisse)
Les 26 et 27 avrilThéâtre du Blanc-Mesnil
Le 16 maiThéâtre de Chartres
Le 25 mai
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !