Retour au jeune public pour Laurent Brethome qui, après Riquet en 2015, s’appuie sur le conte des Frères Grimm L’Ondine de l’étang, et propose une fable connectée aux enjeux de notre siècle où l’eau est d’or. D’où ce nouveau nom donné à l’adaptation qu’en fait Antoine Herniotte : La Fille de l’eau. Il signe une mise en scène classique pour ne pas entraver le propos écologique et l’importance de son décor touffu et naturaliste.
Abandonnés dans leur maison, encerclée de marais aux eaux noires et aux relents pestilentiels, Pa et Ma sont en train de s’enfoncer dans la solitude avec pour seuls compagnons leurs chats « qui ont perdu la raison », jusqu’à l’arrivée d’un coffre plein de promesses au vu de son contenu : un WC générateur d’une eau pure, vecteur de fortune. Le deal ? En échange de cette manne, ils doivent livrer à mère Nature – en l’occurrence, la « Tristesse des Marais » au pied de qui ils habitent – un être vivant. Pa croit pouvoir donner un chat, mais sa femme accouche au même moment d’une Léa. Dans 7 ans, elle sera la monnaie d’échange. En 1h10 chrono, le texte d’Antoine Herniotte va faire apparaître le malaise de cette famille engluée dans cette injonction impossible et faire émerger des eaux le surnaturel : une lignée de chimères. Les rebonds entre tous ces éléments s’enchaînent rapidement, rappelant à quel point l’énergie est l’un des moteurs fondateurs du travail de Laurent Brethome – on n’est pas loin de ce qu’il avait fait au début de sa carrière avec On purge bébé, quand il faisait claquer les portes avec un personnage qui allait toujours plus loin dans l’exultation. Cette trame de Feydeau, il la tient toujours vingt ans après.
Dans son premier – et jusque-là seul – spectacle jeune public, Riquet, déjà adapté par Antoine Herniotte et créé lors du Festival d’Avignon 2015, Laurent Brethome avait opté pour un espace nu. Il utilisait alors des sacs de papier et jouait avec de très beaux aplats de marionnettes en ombres chinoises au profit de cette enfant qui rêvait de tout, sauf d’être la princesse qu’elle était appelée à devenir. Ici, la gent féminine occupe encore toute la place – Léa remplace notamment le garçonnet du conte –, mais le parti-pris du décor est radicalement différent de celui de Riquet : sur-saturé de nature. La maisonnette est là, sur pilotis, à l’arrière de pontons de bois, au-dessous duquel se trouve un lac laissant deviner ces marais très habilement rendus palpables par une vapeur d’eau continue. De gros tuyaux d’évacuation disent les eaux usées et souillées déversées ici. Tout est noir, des animaux – empaillés par un taxidermiste qui récupère des animaux morts – parsèment ce tableau, mais ils seront plus visibles sur les grands plateaux à venir que sur celui, trop étroit, du théâtre de Vienne où a eu lieu la création.
Avec le scénographe Rudy Sabounghi – collaborateur de Grüber pour des opéras ou encore d’Arnaud Desplechin à la Comédie-Française –, Laurent Brethome a imaginé un paysage à la fois cauchemardesque et refuge avec une forme de classicisme assumé. L’objet de ce travail n’est pas d’inventer des formes nouvelles ou d’enrichir un dictionnaire des esthétiques, mais d’offrir une « illustration » au sens le plus pur, tel qu’on le dit avec une grande considération au sujet des livres pour enfants. Au fur et à mesure du récit, des strates se dévoilent, à la manière de ces rabats en carton que l’on soulève dans les albums jeunesse pour découvrir un autre dessin.
Au-delà de la fable onirique avec ses créatures sorties de l’eau, ce spectacle pointe, à bon escient, l’absurdité et la cupidité de ces industriels qui font fortune en embouteillant ce bien commun qu’est l’eau grâce à des « banquiers [qui veulent] ce à quoi il ne faut pas toucher ». Puisque Laurent Brethome, avec sa collaboratrice Clémence Labatut, semble vouloir offrir à son jeune public toute l’étendue des possibilités de faire théâtre, le son n’est pas minoré. Il a fait de nouveau appel à son fidèle collaborateur en la matière, Jean-Baptiste Cognet – accompagné de Isia Deleme –, pour composer une nappe ambiante et enveloppante, truffée de bruits de nature et rythmée par un chant régulier, porté haut, murmuré ou même fredonné sans paroles, calqué sur le Tu verras de Claude Nougaro. La Fille de l’eau grandit et s’émancipe ainsi dans une boîte à jeu taille réelle.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
La Fille de l’eau
de Antoine Herniotte
Texte librement inspiré de plusieurs contes des frères Grimm à partir de L’Ondine de l’étang
Mise en scène Laurent Brethome
Avec Marie Champion, Lise Chevalier en alternance avec Elsa Verdon, Fabien Grenon
Collaboration artistique Clémence Labatut
Dramaturgie Catherine Ailloud-Nicolas
Direction d’acteur.ices Laurent Brethome, Clémence Labatut
Collaboration chorégraphique Yan Raballand
Scénographie Rudy Sabounghi
Costumes Nathalie Nomary
Accessoires et créations plastiques Sylvain Wavrant
Musique Jean-Baptiste Cognet et Isia Delemer
Créations lumières Nicolas Galand
Régisseur général plateau Gabriel BurnodProduction Le menteur volontaire – Laurent Brethome
Coproduction Scènes de Pays, scène conventionnée Art en territoire, Beaupreau ; Le Trident, scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; Théâtre de Gascogne, scène conventionnée Art en territoire, Mont-de-Marsan ; THV, scène conventionnée Art enfance et jeunesse, Saint-Barthélemy d’AnjouLe menteur volontaire – Laurent Brethome est en convention avec le ministère de la Culture – DRAC Pays de la Loire, la Ville de la Roche-sur-Yon, le Conseil Régional des Pays de la Loire et le Conseil Départemental de Vendée
Durée : 1h10
À partir de 8 ansThéâtre François Ponsard, Vienne
les 10, 11 et 12 octobre 2024Le Carré, Scène nationale de Château-Gontier
les 17 et 18 octobreTHV, Saint-Barthélemy d’Anjou
le 4 novembreLe Trident, Scène nationale de Cherbourg
les 7 et 8 novembreLe Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
les 13, 14 et 15 novembreScènes de Pays, Beaupréau
les 22 et 23 novembreL’Odyssée, Périgueux
le 26 novembreThéâtre de Gascogne, Mont-de-Marsan
les 1er 2 décembreLe Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées
du 4 au 6 décembreComédie de Picardie, Amiens
du 10 au 12 décembreThéâtre de Thalie, Montaigu
le 17 décembreLes Scènes du Jura, Scène nationale, Lons-le-Saunier / Dole
les 13 et 14 janvier 2025Théâtre de Villefranche, Villefranche-sur-Saône
du 16 au 18 janvierACB Scène nationale, Bar-le-Duc
les 21 et 22 janvierThéâtre de Fontainebleau
les 26 et 27 janvierThéâtre de Laval
les 7 et 8 févrierEspace culturel René Cassin-La Gare, Fontenay-le-Comte
le 15 févrierThéâtre Quartier Libre, Ancenis
le 25 févrierThéâtre de Verre, Châteaubriant
le 27 févrierLes Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans
les 14 et 15 mai
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