Portée à la scène pour la première fois en France, Amsterdam, la pièce multi-primée de l’autrice israélienne Maya Arad Yasur, est montée par Laurent Brethome qui met en évidence la force de son récit haletant et captivant.
Au cœur de l’intrigue, un personnage désigné par le simple pronom « Elle », et surtout un lieu, un bel appartement ancien bordant et surplombant le canal de l’Empereur (Keizersgracht) qui traverse la ville d’Amsterdam. Dans le superbe et spacieux décor hyperréaliste planté sur la scène des Gémeaux à Sceaux, la capitale des Pays-Bas donnant son titre à la pièce s’aperçoit aux différents moments de la journée derrière de larges ouvertures vitrées. L’intérieur du logement se laisse d’abord deviner par petites touches, s’éclaire par fragments, avant de dévoiler toute son ampleur dans un mélange de vastitude et de vétusté non dénué de beauté. Ce lieu est le personnage principal de la pièce. Il est imposant. Il est vivant. Il parle à travers ses vieux murs usés qui craquent et grincent, entre autres bruits bizarres comme les borborygmes de ses radiateurs. Il suinte dans ses moindres recoins d’un mystère, d’une histoire douloureuse et singulière bien enfouie dans l’épaisseur de ses cloisons. A l’étage supérieur, se contemple par intermittence l’antique mansarde d’un vieil homme mutique dont l’allure et les mouvements semblent bien fatigués. En bas, des cartons pas encore déballés laissent imaginer l’existence Bohême d’une locataire tout nouvellement installée. La jeune femme, une musicienne jouissant d’une belle notoriété, a quitté Israël où elle est née pour s’sxpatrier à Amsterdam où elle travaille et attend un enfant.
Un matin, la protagoniste reçoit par la poste une facture de gaz dont le montant énorme est resté impayé depuis 1944. Cette lettre, l’héroïne l’emporte partout avec elle, de la file d’attente à la caisse du supermarché, au bar où elle rejoint une amie artiste et féministe, en passant par les bureaux du label de musique où elle voit son agent. Cette lettre embarque plus loin encore, dans la période sombre de l’occupation nazie et de la Shoah. Elle place ainsi personnages et spectateurs face à des questions d’hier toujours brûlantes d’actualité, notamment celle du rapport à l’Autre, de la discrimination des étrangers, du poids des préjugés et de la violence d’un racisme latent.
Pour rendre compte des destins parallèles d’une courageuse résistante déportée dans le camp d’extermination d’Auschwitz, et d’une jeune femme d’aujourd’hui au faite de sa gloire et pourtant injustement stigmatisée, trois excellents solistes se présentent comme un trio de narrateurs prestes et dissertes. Ils prennent en charge un texte dense et compact, écrit en bloc et sans distribution prédéfinie, et s’en saisissent comme d’une partition qu’ils restituent avec une fluidité et une tonicité auxquelles s’ajoute une précision métronomique. Découpé et réparti de façon à ce que les différentes voix se répondent, se complètent ou se corrigent, le texte traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz regorge d’un humour parfois dérisoire, d’une ironie grinçante et d’une trivialité qui contrastent fortement avec sa profonde gravité. Les mots abondent avec une urgence nettement inscrites dans les corps des comédiens qui ont à charge de reconstituer, et même d’élucider, les différentes strates d’une intrigue riche en rebondissements et en révélations.
Dirigés au cordeau, Anne Cressent, Hadar Gabay, Denis Lejeune, Fabien Albanese et Francis Lebrun sont aussi soutenus par les atmosphères subtilement dramatiques et changeantes d’une mise en scène dont l’ample forme est justement emprunte de dimensions romanesques et cinématographiques au service de la narration et de l’émotion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Amsterdam
Texte Maya Arad Yasur
Mise en scène Laurent Brethome
Texte français Laurence Sendrowicz, texte publié aux éditions Théâtrales, éditeur et agent de l’autrice
Dramaturgie Catherine Ailloud-Nicolas
Collaboratrice artistique Clémence Labatut
Avec Fabien Albanese, Anne Cressent, Hadar Gabay, Francis Lebrun, Denis Lejeune
Scénographie Rudy Sabounghi
Vidéo Adrien Selbert. Costumes Nathalie Nomary
Lumières David Debrinay
Musique, régie son et vidéo Jean-Baptiste Cognet
Chorégraphie Yan Raballand
Régie générale, plateau Gabriel Burnod
Régie plateau Mathilde Monier
Régie Lumière Jean-Philippe Geindreau
Construction du décor Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique.
Production LMV – Le menteur volontaire, Le Quai CDN Angers Pays de la Loire. Production déléguée Le Quai CDN Angers Pays de la Loire. Coproduction Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon, Les Quinconces-L’Espal Scène nationale du Mans, Le Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire, Le Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique, les Gémeaux – Scène Nationale de Sceaux. Le menteur volontaire est en convention avec le Ministère de la Culture – DRAC Pays de la Loire, la Ville de La Roche-sur-Yon, le Conseil régional des Pays de la Loire, et le Conseil départemental de Vendée.
Le menteur volontaire bénéficie d’une réservation de droits de AMSTERDAM pour une durée de 2 ans.Création au Quai CDN à Angers
du 4 au 10 octobre 2022Les Gémeaux – Sceaux
du 1er au 10 décembre 2023LE THÉÂTRE, SCÈNE NATIONALE DE SAINT-NAZAIRE
8 décembre 2022
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !