A travers la figure de la femme-artiste, la dramaturge et metteuse en scène ausculte l’évolution du féminisme et du « vécu féminin » au cours des soixante-dix dernières années.
Quelques mois après la mort de Gisèle Halimi, quelques semaines après la « polémique » autour du livre d’Alice Coffin, Le Génie lesbien, Les Femmes de la maison pouvait difficilement mieux tomber. Ni manifeste, ni documentaire, la pièce écrite et mise en scène par Pauline Sales se situe à la lisière, à l’endroit où la fiction devient le berceau de la nuance, des variations et, chemin faisant, de la remise en perspective socio-historique du féminisme. Qu’elles soient sorties des années 1950, 1970 ou 2020, plasticiennes, performeuses ou autrices, les femmes-artistes imaginées par la dramaturge sont, à chaque fois, les témoins de leur époque, d’une tranche de « vécu féminin », d’un mouvement féministe en gestation, en expansion ou en question, sous l’immuable regard de Joris, leur mécène, de plus en plus effacé et dépassé.
Vestiges d’un amour perdu, c’est à lui qu’appartiennent les quatre murs, où, pendant quelques semaines ou quelques mois, ces artistes néophytes ou confirmées sont invitées à créer, en toute liberté. La première, Simone, en est à ses débuts, et tente, dans l’immédiate après-guerre, de trouver son identité artistique et la voie de son émancipation ; les secondes, inspirées par les figures de Judy Chicago et Miriam Shapiro qui, en 1972, avaient organisé l’exposition Womanhouse en Californie, s’érigent aux avant-postes d’un art de combat qui entend faire sauter les digues et dynamiter le patriarcat ; quand les dernières, sorties de notre époque, se débattent avec les lignes de force et de faille qui traversent le féminisme d’aujourd’hui, entre conflit de générations, intersectionnalité et radicalité. Individuellement ou collectivement, liguées ou fracturées, elles se trouvent toujours confrontées aux regards et aux discours des autres « femmes de la maison », celles qui, au fil des années, assurent la propreté des lieux.
D’une période à l’autre, toutes sont incarnées par un même trio de comédiennes, dont Hélène Viviès est l’impeccable cheffe de file. En même temps que la maison qui s’adapte aux trois époques – enceinte fermée dans les années 1950, ouverte aux quatre vents vingt ans plus tard, déstructurée de nos jours –, elles se métamorphosent, dans leurs costumes comme dans leurs attitudes, pour suivre l’évolution de ces femmes qui, alors qu’elles n’ont aucun lien de parenté, semblent descendre les unes des autres. L’évolution, ou plutôt les évolutions, tant Pauline Sales se plait, et c’est osé, à multiplier les points d’entrée. Loin de se contenter d’examiner le cheminement sociétal des femmes-artistes, elle analyse aussi les relations qu’elles ont entre elles, sororales ou conflictuelles, avec la masculinité ambivalente de Joris, à la fois bienveillante et paternaliste, mais aussi avec des femmes d’un milieu socio-culturel différent. Une ambition qui peut, parfois, avoir le revers de sa richesse et laisser un goût d’inachevé dans l’approfondissement de chaque sujet, comme dans leur approche globale, un brin trop neutre.
La mécanique dramaturgique de Pauline Sales tient bon. Elle profite de sa finesse d’esprit, mais aussi de son goût pour les décalages facétieux qui redonnent une bouffée d’énergie à l’ensemble, que ce soit par l’irruption finale de Vincent Garanger en femme de ménage, les coussins en forme de vulve créés par Miriam ou l’auto-dérision de la metteuse en scène. Car, derrière le personnage de Florence, autrice de théâtre déstabilisée par ses cadettes, Paula et Val, on croit deviner Pauline Sales, à peine déguisée. Façon pour la femme-artiste qu’elle est de confronter son état d’esprit, toujours empli de mesure, à la radicalité de ces jeunes femmes, bien décidées à renverser la table.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Femmes de la maison
Écriture et mise en scène Pauline Sales
Avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès
Scénographie Damien Caille Perret
Création lumière Laurent Schneegans
Création sonore Fred Bühl
Costumes Nathalie Matriciani
Coiffure, maquillage Cécile Kretschmar
Régie son Jean-François Renet ou Fred Buhl
Régie générale et lumière François Maillot
Habilleuse et entretien perruques Nathy PolakProduction À L’Envi, La Comédie — CDN de Reims, Les Quinconces L’espal — Scène nationale du Mans, Le Théâtre de l’Ephémère — Scène conventionnée pour les écritures théâtrales contemporaines, La Comédie de Saint-Étienne — Centre Dramatique National
Le texte a paru aux Solitaires Intempestifs.
La compagnie À L’Envi est conventionnée par le ministère de la Culture.
Durée : 2h05
Avignon Off 2023
11 • Avignon
7 au 26 juillet 2023 à 13h
relâches les 13 et 20
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