Un Feydeau excité comme une Puce
Dans un univers digne des sixties, Lilo Baur pousse les feux du rocambolesque La Puce à l’oreille. Grâce à leur jeu bourré d’énergie, les comédiens-français électrisent le plateau de la salle Richelieu.
Raymonde Chandebise est catastrophée. En ouvrant « par mégarde » un colis destiné à son mari, elle découvre une paire de bretelles, égarée à l’hôtel du Minet-Galant, un établissement de petite vertu où « les couples mariés ne viennent pas ensemble ». Persuadée que Victor-Emmanuel la trompe, elle imagine un plan machiavélique pour le confondre. Son amie Lucienne Homénidès de Histangua prend alors la plume pour lui écrire une lettre d’amour enflammée et lui donner rendez-vous au Minet-Galant. Raymonde croit tenir un stratagème sans faille : si son mari se présente au rencard, elle aura la preuve formelle de son infidélité. Sauf que les choses ne se déroulent pas franchement comme prévu, et plongent la cohorte bourgeoise dans un capharnaüm absurde où chacun est éclaboussé par les faits et gestes de son voisin, sur fond de grande misère sexuelle.
Comme souvent chez Feydeau, la mécanique comique est savamment huilée. Toujours à la relance, n’offrant aucun temps mort, le dramaturge se plaît à emmêler les fils de l’intrigue pour faire de sa pièce un panier de crabes où les personnages, comme pris dans des sables mouvants, s’enfoncent à mesure qu’ils se débattent. Sur eux, le sort semble s’abattre et les couches d’incompréhension s’empiler. Face à ce maelstrom, les spectateurs puisent le rire dans leur extra-lucidité. Constamment dotés d’un coup d’avance – l’une des ficelles les plus habituelles et efficaces de la comédie – ils sont capables d’identifier tous les quiproquos et voient les personnages, bêtes à manger du foin, tombés dans les pièges patiemment tendus, avec la délectation de ceux qui savent.
A cette dynamique d’une précision d’orfèvre, Lilo Baur impose un train d’enfer et aiguise encore un peu plus les bons mots et traits d’esprit déjà acérés de Feydeau. Elle prend le parti assumé du divertissement et pousse, avec un plaisir visible, les feux de la comédie pour la faire glisser du côté de la parodie. Dans un décor de chalet montagnard digne des sixties – faux feu de cheminée et peau de bête à l’appui –, tout fleure bon le toc, et le calme apparent de l’extérieur, où ne passent que quelques skieurs, contraste avec le désordre intérieur. L’appartement des Chandebise et le Minet-Galant se transforment en hôtel des courants d’air. Les portes claquent, les répliques fusent, les fanfares surgissent, les comédiens, brushing et costumes de rigueur, courent, sautent, vont et viennent pour alimenter à plein la grande lessiveuse comique. Tout va vite, très vite, jusqu’à l’étourdissement, et l’hilarité générale.
Une performance rendue possible grâce à l’incroyable énergie des comédiens-français. Une nouvelle fois, la troupe démontre qu’elle est capable de tout jouer, qu’elle est aussi soluble dans la rigueur d’un Ivo van Hove, que dans l’univers déjanté d’une Lilo Baur. En duo de vraies-fausses potiches, Anna Cervinka et Pauline Clément sont exquises, quand Serge Bagdassarian et Jérémy Lopez font montre de leur talent habituel. Le premier dans les rôles jumeaux du notable impuissant (Victor-Emmanuel Chandebise) et du valet alcoolique (Poche), le second dans celui du mari hispanique et jaloux (Carlos Homénides de Histangua), un peu trop tenté par la gâchette. Outre le tour de piste d’Alexandre Pavloff, étonnant en médecin libidineux, il faut souligner la prouesse de Jean Chevalier. Victime d’un défaut d’élocution, son personnage, Camille Chandebise, ne sait prononcer que… les voyelles. Ce qui aurait pu être un handicap se transforme, à la force de son jeu, en irrésistible ressort comique et ajoute une pierre supplémentaire à l’édifice de ce vaudeville haut de gamme.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Puce à l’oreille
de Georges Feydeau
Mise en scène Lilo Baur
Avec Thierry Hancisse, Cécile Brune, Alexandre Pavloff, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Pauline Clément, Jean Chevalier, Élise Lhomeau, Birane Ba, et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Camille Seitz, Askel Carrez, Mickaël Pelissier, Nicolas Verdier
Scénographie Andrew D Edwards
Costumes Agnès Falque
Lumières Fabrice Kebour
Musique originale et concept sonore Mich Ochowiak
Réglage des mouvements Joan Bellviure
Maquillages Carole Anquetil
Collaboration artistique Katia Flouest-SellDurée : 2h15
Comédie-Française – Salle Richelieu, Paris
Du 5 JUIN au 4 JUILLET 2021
Un classique du vaudeville, une oeuvre rare qu’il sera intéressant de redécouvrir.
Mise en scène qui insiste sur les aspects graveleux du texte sans lui donner davantage d’effet comique. La déco inspirée de OSS117 ne donne pas de sens à la mise en scène.
Heureusement que les comédiens donnent toute leur énergie pour sauver le spectacle