Arturo Ui entre au répertoire de la Comédie-Française dans une mise en scène de Katharina Thalbach, dans la plus pure tradition du théâtre expressionniste allemand. Laurent Stocker est impressionnant. Et si la mise en scène est sans grandes surprises, elle demande à la troupe une condition physique de sportif de haut niveau !
Brecht a écrit en 1941 cette histoire de gangsters dans le Chicago des années 30 en s’inspirant des faits qui ont propulsé Hitler au pouvoir. Bakary Sangaré en maitre de cérémonie présente les personnages historiques qui ont l’inspiré. Les comédiens portent des masques très ressemblants de Hitler, de Goebbels, de Göring et de von Hindenburg et les arrachent pour apparaître sous les traits des personnages de la fiction. Arturo Ui (Laurent Stocker), Gobbola (Jérémy Lopez), Gori (Serge Bagdassarian) et Hinsborough (Bruno Raffaelli). Katharina Thalbach a choisi une méthode didactique pour raconter la Résistible ascension d’Arturo Ui. Plusieurs fois pendant le spectacle, les faits d’actualité sont écrits dans le décor pour resituer l’action. Une riche idée pour ne pas se perdre dans les méandres de cette histoire parfois abracadabrantesque.
Katharina Thalbach et Arturo Ui c’est une vieille histoire d’amour. La metteuse en scène a grandi avec ce texte. Petit fille, elle accompagnait sa mère l’actrice Sabine Thalbach dans les coulisses du Berliner Ensemble (elle y jouait en alternance le rôle de Dockdaisy avec Barbara Schall, la fille de Brecht). Et c’est dans l’Opéra de quat’sous qu’elle est révélée à l’âge de 15 ans à la Vollsbûhne de Berlin dans le rôle de Polly. Autant d’évidences pour Eric Ruf, l’Administrateur de la Comédie-Française de lui confier la mise en scène pour cette entrée au répertoire.
L’âme du Berliner Ensemble est présente sur le plateau. Les maquillages expressionnistes, les perruques et la musique arrangée par Vincent Leterme donnent à cette production une touche brechtienne revendiquée. Tout l’inverse de l’autre spectacle actuellement en tournée avec Philippe Torreton, plus contemporain et plus engagé.
Arturo Ui, gangster racketteur fait la pluie et le beau temps à Chicago. Laurent Stocker est invraisemblable dans le rôle de cette marionnette agitée et dangereuse. Quel travail ! Il se déplace sur le plateau tel un automate qui s’agite – bourré de tics. On pense bien sûr à Chaplin dans Le Dictateur qui l’a beaucoup inspiré. Il est ébouriffant comme le reste de la troupe.
Certaines scènes sont de purs moments burlesques comme celle avec Michel Vuillermoz en comédien qui apprend à Arturo Ui à marcher. On se tord de rire. Si la mise en scène est parfois un peu datée et systématique – avec cette immense toile d’araignée (pas très belle) qui monte et descend, Katharina Thalbach insuffle du rythme, c’est la grande force de ce spectacle. La troupe court partout et joue en permanence sur un plateau incliné à 40% (représentant un détail d’un plan des rues de Chicago). Les comédiens sortent lessivés comme lors une grande compétition sportive. C’est du théâtre populaire, comme on en faisait autrefois, ce n’est pas déplaisant, mais on a connu ces derniers temps un peu plus d’audace dans les productions de la Comédie-Française pour oser faire un peu la fine bouche cette fois-ci.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
La Résistible Ascension d’Arturo Ui
de Bertolt Brecht
Mise en scène Katharina Thalbach
Thierry Hancisse : Ernesto Roma
Éric Génovèse : Flake et Greenwool
Bruno Raffaelli : le vieil Hindsborough
Florence Viala : Dockdaisy et Betty Dollfoot
Jérôme Pouly : Clark et le Médecin
Laurent Stocker : Arturo Ui
Michel Vuillermoz : le Comédien et le Juge
Serge Bagdassarian : Manuele Gori
Bakary Sangaré : le Bonimenteur et Hook
Nicolas Lormeau : le jeune Hindsborough et Ignace Dullfoot
Jérémy Lopez : Giuseppe Gobbola
Nâzim Boudjenah : Sheet, O’Casey, le Procureur et le Pasteur
Elliot Jenicot : Butcher et Bowl
Julien Frison : le jeune Inna et l’accusé Fish
Comédiens de l’Académie :
: Marina Cappe
l’Avocat de la défense : Tristan Cottin
: Ji Su Jeong
: Amaranta Kun
Ted Ragg : Pierre Ostoya Magnin
: Axel Mandron
Traduction : Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène : Katharina Thalbach
Scénographie et costumes : Ezio Toffolutti
Lumières : François Thouret
Travail chorégraphique : Glysleïn Lefever
Son : Jean-Luc Ristord
Arrangements musicaux : Vincent Leterme
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis
Assistanat à la mise en scène : Ruth Orthmann
Durée: 2hComédie-Française
Du 1er avril 2017 au 30 juin 2017
Excellent article ! La Comédie Française a mon respect : produire encore et toujours des talents incroyables…