Un professeur d’université quinquagénaire a une brève relation avec une élève doctorante, deux fois plus jeune que lui. Elle l’accuse d’agression sexuelle. Lui pense qu’elle était d’accord. Bienvenue dans la zone grise du consentement. A partir de cette simple trame et de ce sujet brûlant d’actualité, François Hien construit un texte remarquable et passionnant que la mise en scène de Jean-Christophe Blondel sert avec une sobriété inventive et efficace.
Il y a deux ans, l’Université était rattrapée par la lame de fond qui traverse actuellement notre société. Déjà, un an auparavant, François Hien avait imaginé l’histoire de ce professeur Worms et de sa doctorante Géraldine Ruben. Elle vient chez lui, un soir, pour poser des questions sur la thèse qu’il dirige. Ils boivent un verre, sympathisent. Il l’embrasse, la pénètre, jouit. Elle ne dit rien. Et deux semaines plus tard, elle adresse une demande au comité d’éthique de l’université pour qu’il soit radié en raison de ce viol. Une histoire simple, qu’on pourrait malheureusement presque qualifier d’ordinaire, qui permet à l’auteur d’explorer dans ce spectacle bien des enjeux que soulève la libération de la parole féminine et la nécessité de repenser les rapports homme-femme qu’elle véhicule avec elle.
François Hien a été formé aux écoles du cinéma documentaire et de la philosophie. On aurait vite fait de penser qu’il a ainsi acquis le talent de rendre compte du réel dans la multiplicité de ses dimensions. Cette Honte confirme qu’il faut compter avec cet auteur (découvert avec Olivier Masson doit-il mourir ? et confirmé avec La Faute) qui décrypte comme nul autre les mécanismes en jeu dans les conflits qui traversent notre société et sait les rendre dans une théâtralité simple et percutante.
Ainsi, de La Honte, qui peut ne pas sortir profondément remué, ébranlé dans ses représentations sur ce sujet ô combien complexe du consentement féminin et de ce qu’il exprime de la place des femmes dans la société ? Le spectacle commence par donner à voir cette soirée entre le professeur et la doctorante. Lui est plutôt humble, maladroit, intimidé, impressionné par cette jeune femme qui s’ouvre à lui. Elle est aussi humble, maladroite, intimidée, impressionnée par ce professeur un peu mentor qui lui ouvre sa porte. Trente ans les séparent. Des corps et des personnalités à des stades différenciés. Dans ces conditions, qu’est-ce qui, au fond, le pousse à croire qu’elle puisse le désirer ? Et elle, pourquoi ne refuse-t-elle pas la relation qu’il lui impose ? François Hien rebondit sur ces deux questions centrales et tente de démonter les mécanismes de ce qui se passe ce soir-là à travers des personnages nuancés.
Même si la justice n’est pas saisie, l’Université traite en interne les affaires d’agression sexuelle. La deuxième partie du spectacle prend ainsi la forme d’audiences publiques menées par deux collègues du professeur chargés de mener l’enquête pour se prononcer sur son éventuelle exclusion de l’université. Yannick Landrein incarne un confrère éloquent, mâle un peu féministe mais pas vraiment déconstruit pourrait-on dire, qui prend la défense de son collègue. Pauline Sales une femme plus effacée mais néanmoins tenace qui soutient la démarche de la jeune femme. On ne retracera pas ici le détail des argumentations qui s’affrontent et avec quelle habileté François Hien les scénarise et les met en spectacle. On se contentera de souligner à quel point la pièce est capable de retourner les consciences, de renverser les jugements mais aussi d’explorer jusqu’au cœur tout ce qui se joue ici. Pour ce faire, Jean-Christophe Blondel a dirigé ses acteurs vers un jeu sobre, qui dessine nettement des personnages aux reflets pourtant changeants. La scénographie esquisse, elle, en toute simplicité des espaces que complète l’imaginaire des spectateurs et la guitare et les chants de Rita Pradinas offrent une belle profondeur de champ, une chambre d’écho, comme celle d’un chœur tragique, à ce qui se déroule sur scène.
Au final, on sort en ayant l’impression d’avoir significativement progressé dans l’appréhension de cette question de la zone grise du consentement mais aussi certainement davantage éclairé sur sa manière de l’approcher. Avec l’envie d’en discuter encore et surtout que, sans jeu de mots, La Honte soit la plus largement partagée possible. En effet, sa manière d’explorer le sujet via une réflexion qui s’approfondit sans cesse à travers une langue simple et percutante, des situations vivantes et une pensée dialectique qui porte un regard coupant sur notre société a tout intérêt à nourrir cette question de société.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
LA HONTE
de François HIEN – publié aux éditions Théâtrales
Avec
John ARNOLD, Yannik LANDREIN, Noémie PASTEGER, Malou RIVOALLAN, Pauline SALESMise en scène Jean-Christophe BLONDEL, Dramaturgie Christèle BARBIER
Scénographie Cerise GUYON et Laaiqa OMARJEE
Création lumières Solange DINAND, création sonore Christophe SECHET
Attachée aux questions du féminisme Roxane DRIAYCoproduction Comédie Poitou Charentes, Le Théâtre de Rungis, Comédie de Saint-Etienne (dispositif Dièze)
Accueil en résidence Théâtre de Lisieux Normandie, TGP-CDN de Saint Denis.Durée: 1h50
Théâtre Dunois
du 15 au 19 novembre 2022Théâtre Municipal Raymond Devos
Tourcoing
8 et 9 décembreSalle Jean Pierre Bacri
Conches en Ouche
10 février 2023Centre Culturel Houdremont
La Courneuve
17 févrierLe Carré Amelot
La Rochelle
13 et 14 marsThéâtre Bernard Marie Koltès
Metz
16 et 17 marsThéâtre Romain Rolland
Villejuif
21 avril
Bonjour, à nouveau merci pour cette belle critique qui rend compte de ce beau spectacle vu hier pour ma part.
Je vais encore faire mon éditeur pénible, mais je me permets de signaler que, comme La Peur et comme Olivier Masson doit-il mourir ?, La Honte de François Hien est publié aux éditions Théâtrales. C’est d’autant plus nécessaire que la très bonne mise en scène de Jean-Christophe Blondel a été contrainte d’opérer des coupes pour que le spectacle tienne en deux heures. Mais nous venons de publier la version intégrale de l’auteur, avec même des variantes possibles, écrites par F. Hien suite à des retours nombreux tant le sujet de son texte est délicat à traiter. Est publié également dans ce recueil un témoignage très éclairant de Pauline Sales, interprète bluffante de l’universitaire Clémence Grisou.
Merci.