Rare maison lyrique à avoir pu mener à son terme la création d’une nouvelle production lyrique en pleine période de pandémie et de confinement, l’Opéra Comique régale ses spectateurs d’une représentation unique et fabuleusement interprétée d’Hippolyte et Aricie de Rameau, donnée en direct depuis la salle Favart sur Arte Concert et France musique.
La deuxième vague de coronavirus qui malheureusement oblige une nouvelle fermeture des théâtres au public n’aura pas eu raison de l’engagement total et de l’admirable pugnacité de l’équipe artistique associée à la nouvelle production d’Hippolyte et Aricie qui devait actuellement voir le jour à l’Opéra Comique. Répété semaine après semaine depuis le mois d’octobre dans le strict respect d’un drastique protocole sanitaire, le spectacle a donc été joué, ce samedi 14 au soir, en direct de l’Opéra-Comique où aucune performance n’a pu être donnée depuis le début de saison, et a finalement trouvé son public grâce au streaming. Rien que pour cela, cet Hippolyte et Aricie fait figure d’évènement.
Autre raison de se réjouir : la somptuosité de son plateau vocal et sa magistrale exécution musicale. De la distribution, on retient bien sûr Reinoud van Mechelen et une Elsa Benoit, bellement coiffée à la façon de la Béatrice de Rossetti ; ils confèrent aux rôles-titres toute la grâce élégiaque, la fraîcheur et la flamme juvéniles attendues. Lea Desandre allie douceur et facétie dans ses différents rôles et ponctue délicatement la représentation en randonneuse chic à bicyclette suspendue au chant bucolique d’un rossignol amoureux. Enfin et surtout Stéphane Degout et Sylvie Brunet-Grupposo font merveille en restituant toute la grandeur et la douleur dans leurs rôles plus dramatiques. Phèdre et Thésée paraissent comme des héros campés d’une manière aussi puissante que poignante.
Sur le plan scénique, on n’est moins à la fête devant la mise en scène contestable car exagérément composite et prosaïque de Jeanne Candel. Son approche un peu trop brut du plateau fait combiner horreur visuelle et lecture absconse. Jeanne Candel est pourtant aux enfers comme en terrain connu depuis qu’elle a cosigné avec son complice Samuel Achache du collectif La Vie brève spécialement amateur de musiques anciennes, une adaptation d’Orphée d’après Monteverdi qui fourmillait déjà d’idées foutraques et d’anachronismes propres à démythifier le mythe.
Un décor étagé et bétonné figure la catabase par le mouvement d’un ascenseur placé en son centre. Chapska à glands, tunique unisexe, perles et fraises…, les costumes tranchent par leur inspiration rococo-orientales. Dépourvues de noblesse, les divertissements dansées deviennent des tableaux où s’animent un minotaure en slip rouge et gambettes nues, des techniciennes de surface et des plagistes carnavalesques au centre desquels figure Yves-Noel Genod en étonnant cerf traqué.
Il y a bien de l’élévation dans la belle direction de Raphaël Pichon à la tête de son ensemble Pygmalion et, grâce à eux, la musique respire et s’irise divinement, sans aucune baisse de régime, et c’est une gageure pour une composition sublime mais aussi copieuse. Le spectacle s’appuie certes sur une version de l’œuvre modifiée et allégée par Rameau lui-même qui en 1757 décidait de faire l’économie de son prologue inventé vingt ans plus tôt. Le chef et son orchestre font culminer avec intelligence, raffinement et intensité, mettant en valeur la force expressive de la partition, ses reliefs, ses couleurs, ses contrastes de tonalités parfois légères et populaires ou beaucoup plus ténébreuses et furieuses, allant même jusqu’au déchaînement sonore, mais sans écarter l’émotion. Le rénovateur de la tragédie lyrique se voit ainsi magnifiquement servi.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau
Direction musicale, Raphaël Pichon
Mise en scène, Jeanne CandelAvec Reinoud van Mechelen, Elsa Benoit, Sylvie Brunet-Grupposo, Stéphane Degout, Séraphine Cotrez, Nahuel di Pierro, Eugénie Lefebvre, Lea Desandre, Edwin Fardini, Constantin Goubet, Olivier Coiffet, Virgile Ancely
Choeur et orchestre, Pygmalion
Opéra Comique
Les représentations d’Hippolyte et Aricie prévues au mois de novembre ne peuvent pas avoir lieu en présence du public. Le spectacle a été diffusé en livestream sur ARTE Concert samedi 14 novembre 2020 à 20h.
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