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« Je suis perdu » : Guillermo Pisani met l’étranger en suite

Coup de coeur, Les critiques, Paris, Théâtre

photo Pauline Le Goff

Pour aborder notre rapport à l’étranger, Guillermo Pisani adopte dans Je suis perdu une forme fragmentaire bienvenue afin d’éviter les clichés. Revisitant successivement trois genres théâtraux ou littéraires, le metteur en scène place avec finesse la question de la représentation au cœur de son geste, quitte à le faire un peu trop trembler.

Guillermo Pisani n’est pas l’homme de récits uniques. Dès Le système pour devenir invisible (2015), la première de ses pièces qu’il met lui-même en scène, et qui donne son nom à sa compagnie qu’il fonde à cette occasion et codirige avec Marion Boudier, l’artiste fait du plateau de théâtre le lieu de cohabitation de plusieurs histoires de natures à première vue très différentes. Elles ont alors pour héroïne une seule protagoniste, que l’on voit évoluer à la fois dans sa vie amoureuse et au sein du groupe d’activistes dont elle fait partie. Dans ses créations suivantes, l’auteur et metteur en scène continue d’explorer des rapports singuliers entre intrigue et personnages, qui interrogent les notions de vérité et de liberté. Dans J’ai un nouveau projet (2019) par exemple, une trentaine de protagonistes interprétés par seulement cinq acteurs se croisaient dans le cadre d’un bar parisien, mus davantage par les algorithmes des plateformes de rencontres et des réseaux sociaux que par le bon vieux hasard. Je suis perdu, créé en 2021 et repris en cette fin de saison au Théâtre de la Tempête, s’inscrit dans la droite ligne de cette recherche par le théâtre de ce qui dans nos sociétés nous contraint et des marges d’invention qu’il nous reste. C’est là le sens que l’on peut donner au mot « suite » qui nous est projeté entre parenthèses après le titre du spectacle en ouverture de celui-ci. Mais ce terme désigne aussi la forme adoptée par Guillermo Pisani : Je suis perdu est une pièce trois en un, qui interroge notre rapport à l’étranger.

Loin d’être un simple effet de style, la polysémie évoquée plus tôt est le principe central de recherche employé dans cette pièce par Guillermo Pisani et sa petite équipe, composée de Clara Pannet aux lumières (sur une conception de Bruno Marsol), de Céline Perrignon au conseil à la scénographie et aux costumes ainsi que de trois comédiens : Caroline Arrouas, Arthur Igual Elsa Guedj, remplacée au Théâtre de la Tempête par Boutaïna El Fekkak. Le travail du groupe sur la pluralité des significations possibles commence par le « je » de Je suis perdu. L’un des mécanismes qui travaillent la pièce en profondeur consiste à placer le spectateur face à certains de ses automatismes de pensée. Si l’on peut d’abord être porté à assimiler le pronom à la figure de l’étranger à laquelle on sait que s’attache le spectacle, cette attente est déjouée dès la première des trois courtes pièces qui le constituent. Sans guère plus de nom que les deux suivantes, simplement désignée par la place qu’elle occupe par rapport aux autres, cette fiction numéro un met en scène une situation domestique nourrie par une référence que donne l’auteur et que l’on reconnaît sans peine : le théâtre de la menace d’Harold Pinter. Dans une série de courtes scènes, on voit une femme (Caroline Arrouas) hébergeant un demandeur d’asile iranien (Arthur Igual) dans différentes situations de la vie quotidienne, où intervient parfois la sœur ou l’amie de la première (Boutaïna El Fekkak).

Les acteurs excellent dans ce premier registre. Ils l’investissent avec autant d’humour que de tension, et déploient entre leur étranger et les deux Françaises des relations tout sauf attendues, où la domination ne cesse de changer de camp. La maîtrise de la langue française, que l’on voit le prénommé Asmat acquérir au fil de ses apparitions, n’y est pas pour rien. En adoptant les codes du pays d’accueil, tout en continuant par sa seule présence de pousser ses hôtes aux frontières de leurs propres normes, cette figure inaugurale d’étranger permet à Guillermo Pisani d’expliciter sa décision d’aborder un sujet qui s’invite aujourd’hui très abondamment sur les scènes théâtrales aussi bien que cinématographiques ou littéraires. Il s’agit non pas pour lui d’ajouter une représentation de l’étranger à toutes celles qui existent déjà, mais plutôt de questionner cette prolifération d’œuvres. Cela en faisant de cette prolifération même le cœur de sa pièce, avec la polysémie qui lui est intimement liée. Car dans chacune des trois volets de Je suis perdu, la figure de l’étranger se voit attribuer un sens et une fonction différents, de même que les comédiens et les spectateurs, entièrement embarqués dans la perte de repères vécue par les personnages. En plongeant le public autant que la scène dans l’obscurité dans les intervalles qui séparent ses trois parties, Pisani ne laisse aucun doute quant au partage total de ce bousculement. Son « je » perdu est aussi celui qui regarde.

On peut également imaginer que les passages de noir total qui délimitent les parties du spectacle sont la place de l’artiste face à son sujet trop vaste pour l’aborder une bonne fois pour toutes. Ne serait-ce pas en effet Pisani lui-même l’égaré, qui après le théâtre de la menace se lance dans une mise en abîme comique, une farce pirandellienne pour comédiens, revisitée par la présence d’un autre étranger ? Certainement. En choisissant de placer au centre de sa pièce cette partie où un auteur syrien (Arthur Igual) nous est montré aux prises avec une directrice de festival d’écrivains en exil (Caroline Arrouas) et une metteure en scène plus riches en préjugées qu’en idées théâtrales (Boutaïna El Fekkak), l’auteur de Je suis perdu affirme la part importante d’autocritique de sa démarche. Excellent, ce fragment vaudevillesque en dit long, l’air de rien, des injonctions à faire théâtre politique qui travaillent les acteurs du paysage théâtral et expliquent en partie l’explosion des œuvres consacrées à l’exil. Mais il ne s’agit pas pour le trio de faire la leçon, ni de prétendre réussir où d’autres peut-être sont victimes de leurs bonnes intentions et/ou de celles des institutions. La preuve par la pièce n°3 de cette « suite », dont l’existence dit sinon l’échec de la seconde, du moins son insuffisance. Nous voilà pour finir plongés dans un polar en milieu scientifique, là encore construit autour d’un personnage d’étranger incarné cette fois par Boutaïna El Fekkak.

Étranger, exilé, chacun l’est à son tour dans Je suis perdu, ce qui est pour beaucoup dans le trouble qu’elle suscite. Davantage en tous cas que sa partie finale qui – c’était du moins le cas le jour de la première à La Tempête – est portée par un jeu moins ciselé que les deux autres. L’absence de modèle théâtral existant pour cette fiction-ci – nous pourrions davantage aller cherche des références du côté de la littérature ou du cinéma – explique peut-être le flottement ressenti dans les machinations de laboratoire induites par l’arrivée d’une jeune chercheuse marocaine. Probablement aussi le constant renversement de tout début de certitude ou de croyance finit-il par atteindre l’assise des acteurs elle-même. Si le tremblement final aurait pu être plus maîtrisé, on ne peut que saluer sa persistance, qui enjoint à prendre le relai d’une « suite » vraisemblablement sans fin.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Je suis perdu

Avec : Caroline Arrouas, Boutaïna El Fekkak, Arthur Igual

Lumières : Clara Pannet sur une conception de Bruno Marsol

Conseil scénographie, costumes : Céline Perrigon

Production : Compagnie LSDI

En coproduction avec Théâtre Ouvert – Centre national des dramaturgies contemporaines avec le soutien de la DRAC Ile-de-France, de La Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon – Centre national des écritures du spectacle, de Lilas en scène

Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages

En coréalisation avec le Théâtre de la Tempête

Production/diffusion Le Petit Bureau – Virginie Hammel

Presse ZEF – Isabelle Muraour

Durée : 1h45

Théâtre de la Tempête
Du 7 au 23 juin 2024

10 juin 2024/par Anaïs Heluin
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