Photo Tristan Jeanne-ValĂšs
Au Théùtre de la TempĂȘte, lâautrice et metteuse en scĂšne dissĂšque le malaise existentiel d’une quadragĂ©naire en proie au doute contemporain. GrĂące Ă la performance toute en finesse d’HĂ©lĂšne ViviĂšs, c’est un ensemble, puissamment rĂ©flexif, qu’elle rĂ©ussit Ă dĂ©ployer.
Professeure dans un collĂšge normand, mĂšre de deux enfants, Valentine est une femme bien sous tous rapports, comme il en existe tant. A lâoccasion dâune sortie scolaire parisienne avec ses Ă©lĂšves, elle dĂ©barque Ă lâimproviste chez son frĂšre, Paul, avec qui elle est notoirement en mauvais termes. Dans son atelier truffĂ© de polochons, ce plasticien Ă la gloire passĂ©e semble, Ă lâapproche de ses quarante ans, vivre une crise dâinspiration et entasse ses Ćuvres dans sa cave, faute dâavoir trouvĂ© un musĂ©e pour les exposer. Surpris par cette visite impromptue, Paul sent rapidement que quelque chose cloche chez sa sĆur, que la sortie scolaire quâelle avait organisĂ©e ne sâest peut-ĂȘtre pas tout Ă fait dĂ©roulĂ©e comme prĂ©vuâŠ
Dans cette garçonniĂšre devenue refuge, vont apparaĂźtre deux autres personnages : Sven, le mari de Valentine, scientifique de son Ă©tat qui, avec son esprit un peu trop cartĂ©sien, se borne, selon son Ă©pouse, à « manger des saucisses de Francfort la semaine et de lâandouille le week-end », mĂ©taphore cruelle de cette femme et de cette famille quâil dĂ©laisse pour son travail et ne considĂšre plus ; et Manhattan, jeune effrontĂ©e, femme de mĂ©nage de Paul et, surtout, ancienne Ă©lĂšve de Valentine. En elle, la professeure quarantenaire avait fondĂ© beaucoup dâespoirs, aujourdâhui déçus Ă lâimage de lâensemble de sa vie. Alors que, Ă sa modeste Ă©chelle, elle avait essayĂ© de tout bien faire, la voilĂ confrontĂ©e Ă ses multiples Ă©checs â famille qui se dĂ©lite, enfants qui lui Ă©chappent, Ă©lĂšves Ă lâavenir incertain⊠â qui lui Ă©clatent au visage et la prennent aux tripes.
Loin dâĂȘtre la simple description dâune crise de la quarantaine un peu trop forte, « Jâai bien fait ? » agglomĂšre plusieurs voix sociales dissonantes dont les quatre personnages se font les relais. Plus quâun Ă©chec individuel, le texte de Pauline Sales dĂ©crit un Ă©chec collectif â de lâart, de la science, de lâĂ©cole⊠â fondĂ© sur la fausse idĂ©e que l’accumulation de bonnes volontĂ©s individuelles pourrait, seule, changer durablement la sociĂ©tĂ©. Surtout, Ă travers le personnage de Valentine qui appartient Ă la mĂȘme tranche dâĂąge quâelle, lâautrice et metteuse en scĂšne sâinterroge sur lâ(in)action profonde de sa gĂ©nĂ©ration, celle de quadragĂ©naires qui nâont, peut-ĂȘtre, pas assez fait, Ă cause d’un manque d’ambition collective claire.
De prime abord anecdotique, la piĂšce se nourrit Ă mesure quâelle se construit, sâĂ©toffe grĂące aux diffĂ©rentes voix qui se confrontent, sâinvectivent, se complĂštent et forment, au bout du compte, un tout cohĂ©rent. Parfois un brin trop foisonnant dans la pluralitĂ© de thĂ©matiques quâil aborde, ou effleure, le texte fonctionne constamment sur deux jambes, Ă mi-chemin entre le propos socio-politique, ancrĂ© dans le rĂ©el, et le mode de discours, matricĂ© par des bouffĂ©es dĂ©lirantes qui peuvent parfois dĂ©contenancer.
Heureusement, par leur jeu sur le fil, les comĂ©diens assurent la cohĂ©sion de lâensemble. Remarquable de justesse en femme-professeure-citoyenne au bord de la crise de nerfs, HĂ©lĂšne ViviĂšs sâimpose comme un solide pilier scĂ©nique autour duquel peuvent graviter, avec une fine Ă©nergie, Olivia Chatain, Gauthier Baillot et Anthony Poupard. Dans la scĂ©nographie toute en subtilitĂ© de Marc LainĂ©, qui confĂšre Ă lâespace une ambiance Ă©thĂ©rĂ©e, on en viendrait presque Ă douter de la rĂ©alitĂ© de cette histoire aux rebonds dramaturgiques inattendus. Valentine aurait-elle fantasmĂ© cette rĂ©volte du « mieux vivre ensemble » ou, fatiguĂ©e d’avoir voulu trop bien faire, serait-elle en plein dĂ©rapage incontrĂŽlĂ©, en plein burn out salutaire ? Pauline Sales a l’intelligence de laisser la question grande ouverte…
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Jâai bien fait ?
Texte et mise en scĂšne Pauline Sales
Avec Gauthier Baillot, Olivia Chatain, Anthony Poupard, HélÚne ViviÚs
Scénographie Marc Lainé, Stéphan Zimmerli
Costumes Malika Maçon
Son Fred BĂŒhl
LumiÚres Mickaël Pruneau
CrĂ©ation 2016 Le PrĂ©au Centre Dramatique de Normandie â Vire
Production Le PrĂ©au Centre Dramatique de Normandie â Vire | Coproduction Théùtre du Champ au Roy â Guingamp | visuel Jeanne RoualetDurĂ©e : 1h45
La TempĂȘte
Du 16/11/18 au 16/12/18
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