Après avoir été Le Prince de Hombourg dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon en 2014, puis récemment Oblomov sous la direction de Robin Renucci, Xavier Gallais endosse cette semaine le rôle-titre dans Tartuffe créé par Macha Makeïeff au CDN La Criée de Marseille. Voici son interview Soir de Première.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Les soirs de première, c’est un saut dans le vide pour toute l’équipe. Le travail collectif va t il rencontrer son public ? Je n’en fais pas vraiment un enjeu personnel.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
Il arrive que les jours de première nous répétions encore. Et les jours suivants aussi. Si je peux prendre un peu de temps pour flâner à l’extérieur du théâtre ( voir une expo par exemple), ou dans les loges , sur la scène vide, c’est très agréable pour à la fois vider l’esprit des pensées parasites et détendre le corps. Mais cela c’est comme tous les jours avant de jouer.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
Fut une période où j’avais mis au point tout un rituel préparatif, de plus en plus complexe d’années en années, avant d’entrer en scène. Pour n’être prisonnier de rien j’ai réussi à m’en libérer. Depuis, inviter la vie du dehors à dialoguer avec le spectacle m’intéresse davantage. Cela changera sûrement d’ici quelques années…
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ? »
J’allais avoir 5 ans. Pendant deux semaines, mes parents ont peint des décors sur des draps et fabriqué des marionnettes avec des chaussettes. Ils ont monté un spectacle pour mon anniversaire. Pendant la représentation, au milieu de mes camarades assis sur la moquette du salon, je me suis dit : ‘ »moi aussi je veux fabriquer des histoires pour réunir les gens et les faire rêver. »
Premier bide ?
Je ne me souviens pas d’avoir jamais fait un bide. Haha!! En fait, j’essaie de ne pas présumer de la réaction des spectateurs que je peux tenter d’orienter mais surtout pas de contrôler et fixer. J’essaie de tout mettre en œuvre pour qu’une rencontre – quelle qu’elle soit- se fasse entre le texte, le public et nous les acteurs-mise en scène. En fonction des soirs, cette rencontre est de plus ou moins de bonne qualité, mais au fond nous portons tous notre part de responsabilité…
Première ovation ?
Je jouais Cyrano dans la mise en scène de Jacques Weber. J’avais 24 ans. Les jeunes gens aimaient beaucoup le spectacle et les saluts étaient toujours chaleureux. Un soir, la salle fut réservée par la Chambre du Commerce. Les spectateurs n’attendaient que les petits fours et mondanités d’après-spectacle. Or une grande comédienne, mon idole depuis l’enfance, avait obtenu un siège. Quand je me suis approché pour saluer, les applaudissements étaient polis. Déçu, je regrettais qu’elle ait choisi ce soir là pour venir quand soudain, elle se lève et crie ‘bravo, bravo’. Je suis tombé en larmes les deux genoux à terre. J’étais redevenu un enfant.
Premier fou rire ?
J’adorais jouer avec Geneviève Casile. C’est avec elle que j’ai découvert que j’étais rieur car elle est tellement malicieuse. J’ai alors compris que je ne devais pas exclure les émotions qui me traversaient pendant les représentations. Que la vie pouvait être la bienvenue en art.
Premières larmes en tant que spectateur ?
Dans le Florilège de poèmes que Laurent Terzieff avait choisi de retraverser avec les spectateurs du Lucernaire, il était au plus près des images intimes, il murmurait les mots révélateurs. L’acteur était à l’os, dépouiller de toute volonté. Il se laissait jouer comme peut-être jamais auparavant. Il laissait aussi une telle place à l’imaginaire de chaque spectateur. Il n’était que vibrations. Je pense qu’au bout de la première minute j’étais déjà en larmes, sentant bien à cet instant que je voyais là l’acteur que je rêverais être toute ma vie…
Première mise à nue ?
Des mises à nue il y en a de toute sorte. On les espère, c’est aussi pour cela qu’on accepte de faire ce métier. Quand Arthur Nauzyciel m’a proposé de jouer en anglais avec des acteurs américains dans le Splendid’s de Jean Genet, j’ai sauté dans le vide de manière assez singulière car je ne comprenais pas bien cette langue. Au début , je comptais les répliques de mes partenaires pour savoir quand je devais parler. La scénographie faisait qu’on ne se voyait pas. Arthur nous contraignait à une concentration ultime sur chaque mot, Damien Jalet à une conscience permanente du corps et des mouvements. Aucune action réaliste sur laquelle se reposer: voyage intérieur dans un monde d’abstraction totale. Tout était fait pour décupler l’attention des acteurs. J’ai vraiment le souvenir – à la fois dangereux et délicieux – d’un plongeon dans un brouillard de sensations, une expérience de transe en pleine conscience.
Première fois sur scène avec une idole ?
Je n’ai jamais senti un acteur influencer autant les autres que Gérard Depardieu. J’étais encore élève au Conservatoire quand j’ai tourné Ruy Blas pour la télévision. J’ai fait de nombreux cauchemars à l’idée de me retrouver sur le plateau avec lui, sachant ne pas pouvoir être aussi libre, inventif, disponible que mon partenaire admiré pour toutes ces qualités. Deux jours avant son arrivée sur le plateau, j’ai senti un frémissement, une nervosité, une excitation s’emparer de tous ( producteurs, réalisateur, maquilleuses, techniciens, acteurs,…). Pourtant, pour lui, aucune différence apparente entre la vie et le travail : une continuité, comme si tout se transformait autour de lui, pour lui. J’étais porté par son énergie , qui envahissait tout le décor – pas celle qu’il met dans le travail, celle qui s’échappe de lui naturellement. Quand il joue à 10 centimètres de vous, je vous assure qu’il n’y aurait qu’à répondre aux vibrations qui se dégagent de lui. Il était tellement vivant et généreux . Pendant les prises il continuait à me donner des conseils dans l’oreille. J’ai appris que les grands acteurs ne jouent pas contre nous, si nous ne résistons pas, ce sont des cyclones qui nous engagent à découvrir notre propre liberté.
Première interview ?
Je pense que ma 1ere interview était pour La Voix du Nord à Lille dans le cadre de la création de Cyrano. Jusqu’ici les journalistes s’intéressaient beaucoup à la mise en scène. Jacques Weber était connu et il avait une riche histoire avec la pièce. Mais ce journaliste voulait comprendre le processus de travail de ces jeunes comédiens ( j’étais encore au Conservatoire et mes partenaires principaux en sortaient à peine) , leur approche sauvage d’un tel monument. Nos doutes, nos errances, nos choix, notre joie, nos responsabilités: tout cela l’ intéressait. Décrypter comment le travail révélait les acteurs qui étaient en train de naitre. Je n’y avais évidemment pas réfléchi et cela a déclenché en moi un dialogue entre le faire et le penser.
Premier coup de cœur ?
En tant que spectateur, je me souviendrai toujours de l’euphorie dans laquelle j’étais à la sortie du Boris Godounov de Declan Donnellan avec une troupe russe. Ce spectacle m’a ouvert tellement de nouvelles voies (sur l’espace, le temps, le rapport scène-salle, le personnage, la dramaturgie,…). J’étais au cœur de la Russie et en même temps dans un gymnase en banlieue d’Avignon: les deux espaces se superposaient sans cesse ; moujik en Sibérie et spectateur tout autant , au même moment. Et ma joie venait de cette double conscience. Sur l’autoroute, je klaxonnais à tout vent comme après une victoire sportive afin de partager mes révélations avec le monde entier.
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