Ludmilla Dabo retrouve cette semaine le metteur en scène David Lescot dans Une femme se déplace au Théâtre des Abbesses à Paris, pièce créée cet été au Printemps des Comédiens à Montpellier. Celle qui a été dans le peau de Nina Simone se confie. Voici son interview Soir de Première.
Avez-vous le trac lors des soirs de première ?
Oui, définitivement. Cela fait naître une angoisse/Un trac qui me paraît nouveau à chaque fois.
Cela tient à ce rapport très singulier qu’on entretient avec un nouveau plateau avec un nouveau théâtre dans lequel on pose ses valises pour une, deux, trois ou quatre représentations. Parfois plus.
C’est également le rapport à une nouvelle ville, avec un public dont le personnel du théâtre nous donne parfois quelques clés pour le sentir : tantôt accueillant tantôt froid, tantôt « très particulier le public de notre ville »… Et cela interpelle, singularise, rend la création qu’ils verront nouvellement vertigineuse dans les sensations d’avant la 1ère représentation.
Comment passez-vous votre journée avant un soir de première ?
La plupart du temps, j’arrive au minimum 4h à l’avance au théâtre et je traîne à l’intérieur, près des Loges, sur le plateau je papote avec les gens de la maison, les régisseurs, habilleuses, puis les copains de scène lorsqu’ils arrivent. J’ai envie de partager des fous rire et de la convivialité avant de m’accorder un moment de silence durant ma préparation personnelle. Je me promène, je me plonge dans l’énergie de la maison et de la scène.
Mais il faut avouer qu’aujourd’hui nous vivons une période où les économies de budget des lieux associées aux compagnies transforment le rapport à ce moment si particulier que représente La Première : la majeure partie des spectacles terminent leurs derniers raccords et répétitions le jour de la première.
Si bien que parfois, on est au plateau depuis le milieu de matinée ou le début de l’après-midi et qu’il nous reste 2h avant la représentation pour se concentrer et se détendre à la fois, s’échauffer, se rassembler…
En conséquence le rythme et la forme de ce rituel changent.
Avez-vous des habitudes avant d’entrer en scène ? Des superstitions ?
Je prépare ma voix, je prends le temps de préparer mon corps et mon visage aussi (j’adore ce moment). Je bois ma préparation maison au gingembre frais et je mange un fruit une demie heure avant le début de la représentation. Je m’accorde aussi un temps de respiration profonde qui est un temps de méditation, de prière et de reconnaissance, et vaille que vaille !
Première fois où je me suis dit « je veux faire ce métier ?
C’était juste après le 24 décembre 2006. Je présentais ma candidature au concours du Conservatoire pour la deuxième fois.
Une amie chère comédienne, metteur en scène et pédagogue, Catherine Hirsch (qui accompagne des jeunes en formation qui désirent intégrer de grandes écoles) m’a demandé pourquoi je voulais rentrer dans cette école et uniquement dans celle-là.
Je ne répondais jamais totalement.
Le lendemain de Noël (ou le surlendemain) j’ai décidé de faire une promenade seule et de marcher dans le coin de Paris de mon enfance. Je me suis arrêtée sur un banc dans le parc de Belleville, et je regardais Paris, la nuit allait arriver.
Et cette conviction que mon avenir ne pouvait se jouer que sur un plateau de théâtre, au service de cet art, m’est apparue comme une évidence.
J’ai toujours aimé la scène, j’ai toujours aimé que le théâtre ne quitte pas ma vie et mon monde professionnel à venir, quelque que soit ce que mon avenir pourrait être.
Et ce jour-là, j’ai compris que le monde théâtral s’inscrivait dans mon projet professionnel et de vie.
En regardant Paris, ville lumière, ville de spectacles, ville où les divertissements populaires et avertis se rencontrent, se confrontent, se mêlent… je me suis dit : Je veux être comédienne, je veux être créatrice, être traversée par l’Histoire du théâtre et contribuer à la faire évoluer.
À ce moment-là, le Conservatoire National d’Art Dramatique m’apparaissait comme un des lieux où l’Histoire du théâtre était incontournable et considérable. D’autres arts s’inscrivaient également dans cette maison.
Je désirais profondément appartenir à ce mouvement de l’Histoire, me sentir portée et accompagnée par les fantômes de cette maison, par ses gardiens, ses passeurs, ses intervenants, ses chercheurs, ses costumiers, ses responsables administratifs, ses menuisiers, ses machinots, ses artistes.
Premier bide ?
C’est toujours gênant de raconter les bide alors… je vais parler de mon bide personnel : oublier de rentrer sur scène sur une représentation du Système Ribadier parce que je suis allée faire pipi au même moment , cela m’a traumatisé j’ai eu tellement honte d’avoir mis mes camarades dans la merde. Et le metteur en scène, Jean-Philippe Vidal, a cru que je m’étais évanouie, qu’en tout cas, il s’était passé quelque chose de grave et a accouru dans les coulisses.
Première ovation ?
Au collège, pour le spectacle La Cantatrice Chauve dans lequel je jouais Monsieur Martin. Les camarades du collège et nos parents avaient adoré et du coup, nous avons joué le spectacle 5 fois, toute la semaine durant, après les cours, mis en scène par notre prof de français. Un vrai succès d’école qui me reste gravé. C’est d’ailleurs à cette époque que j’ai découvert le théâtre de La Huchette.
Premier fou rire ?
Lorsque je préparais pour le concours du conservatoire un extrait de « Jacket ou la main secrète » d’Edward Bond.
La scène d’une femme qui s’en va reconnaître son enfant à la morgue accompagnée de sa voisine. Elle finit par réaliser que c’est le fils de sa voisine qui se trouve sous le drap et qu’elle ne l’avait pas reconnu. Elle est prise d’un fou rire monstrueux en s’apercevant qu’elle avait oublié son visage et son identité.
Premières larmes en tant que spectateur ?
Très jeune, je pleurais beaucoup au théâtre. Dans un premier temps parce que quand j’étais petite et que mes parents m’emmenaient au théâtre (ou alors que j’y allais avec l’école), c’était tellement fort d’être confrontée à toute l’énergie concentrée par des artistes aux costumes – lumières – avec une scénographie – avec un langage particulier… que je trouvais ça merveilleux et je pleurais parce que quand la représentation finissait, je n’avais pas envie que ça s’arrête. Je voulais continuer à voir Ça indépendamment du fait de le comprendre, ce Ça.
Et puis, j’ai vu aux ateliers Berthier le » Phèdre » de Patrice Chéreau avec Dominique Blanc, ça m’a bouleversée.
La dernière scène de la mort de Phèdre notamment reste gravée dans mon esprit.
Je ne peux pas non plus ignorer que » Le dernier caravansérail » d’Ariane Mnouchkine a été un moment très intense pour moi. C’est aussi une communion de spectateurs en proie aux mêmes émotions pour ce spectacle que je garde en mémoire, avec des larmes torrentielles qui me sont sorties.
Première mise à nue ?
J’ai du mal à choisir…
Chaque étape de mon 2ème passage du concours du Conservatoire était une mise a nue pour moi. Chaque scène que j’avais choisi avait été construite avec un sens intime et profond qui me concernait.
Puis il y a eu la création avec ma camarade – collaboratrice – et amie Malgorzata Kaspzrycka pour son spectacle » Sinon l’Hiver » d’après Les odes et fragments de la poétesse Sapphô.
Et encore, « Détails » mis en scène par Léna Paugam.
En encore, « La Mégère Apprivoisée » mis en scène par Mélanie Leray.
Et encore, « Jaz » mis en scène par Alexandre Zeff.
Et encore, « Portrait de Ludmilla en Nina Simone » mis en scène par David Lescot…
Et encore sur mes propres expériences de mise en scène sur Nina Simone, sur le « Jugement Dernier d’Horvath« , sur « Misterioso 119 » de Koffi Kwahulé.
En réalité, je ne crois pas qu’il y ait un seul des spectacles auxquelles j’ai eu la chance de contribuer qui ne me soit pas apparu comme une première mise à nu. Votre question me pousse à réfléchir à ma première expérience avec Bernard Sobel mais aussi avec Irène Bonnaud et encore d’autres… et sincèrement, quelle que soit l’expérience collective, quelque chose de moi s’est dévoilée à laquelle je ne m’attendais intimement pas et qui me transforme moralement, physiquement, socialement, copinement, familialement.
Et encore maintenant avec « Une femme se déplace » cette notion de première mise à nu m’accompagne là aussi.
Première fois sur scène avec une idole ?
Fictive ou réelle ?
Je ne sais comment répondre…
Je ne sais pas trop ce que c’est qu’une idole pour moi.
Travailler sur la figure de Nina Simone est pour moi une chance immense car je crois que c’est une de mes sources d’inspiration dans la vie : Traverser des épreuves. Accepter que la vie ne soit jamais comme on l’attendait. Ne pas tirer un trait sur ses rêves non accomplis. Mais les incorporer dans sa vie. Dans sa manière de prendre la scène. Dans sa manière de chanter. Dans sa manière de jouer du piano. Dans sa manière d’être avec ses collaborateurs.
Ne pas se dévoiler totalement. Garder du mystère. Mener des combats plus grands que soi. Pas de la manière dont les gens s’y attendent. Aimer. Accepter. Assumer. Le beau. Triste. Le sale. Le fou. Parce que la vie est une folie, une lutte, une joie, une peine, un tout insensé. Nina Simone m’inspire ça.
Sinon j’ai travaillé sur la figure de Médée et je crois qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’idole chez elle. Cette figure féminine qui transcende la question de la vengeance, la construit, en fait à la fois un art et instrument. Sordide et immoral mais puissant et beau.
Première interview ?
L’entretien avec la fabrique du spectacle pour « La Mégère Apprivoisée » de Mélanie Leray.
Et ensuite, je garde un souvenir très fort des deux échanges récents que j’ai eu avec Fabienne Darge et Yves Poey.
Premier coup de cœur ?
« Hamlet » par Peter Brook.
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