L’auteur et metteur en scène François Hien crée des pièces sur les sujets qui déchirent la société. Laïcité, consentement, droit de mourir… Comment éclairer nos grands débats par le théâtre ? Tout en réactivant l’ambition ancestrale de l’agora, François Hien impose un style résolument nouveau. Un « théâtre de la réparation » qu’il veut romanesque et incarné.
« Quand je suis avec des gens qui se sont socialisés par le théâtre, je me rends compte à quel point je ne sais pas de quoi ils parlent ». C’est peut-être parce qu’il n’est pas du milieu du théâtre que François Hien a su y imposer un nouveau langage. Formé à l’INSAS en Belgique, il se consacre pendant une dizaine d’années au cinéma documentaire. « Enfant de la classe moyenne du péri urbain », sa famille avait suivi le père, cadre dans les usines Philips en Hollande, à Chartres, Dijon et enfin à Rillieux-la-Pape au gré de ses changements d’affectation. Paysages de banlieues de petites villes de province, de « maisons Bouygues qui se ressemblent toutes » pour une enfance qui ne côtoie pas le théâtre. « On allait plutôt voir les comédies de Christian Clavier ». Sa mère pourtant tient un journal, a le désir d’écrire et, instit devenue mère au foyer pour élever trois enfants, lit beaucoup. A 13 ans, un stage dans un centre social de la banlieue de Chartres, le conduit à fabriquer un court métrage. C’est de là que naîtrait sa vocation estime sa génitrice. Lui pense que ça vient de plus loin, de plus profond. Petit, il bricolait des films. Ado, il est tout le temps fourré dans les salles. Si bien que sa « culture narrative », c’est le cinéma. Et que sa formation de monteur reste « fondatrice en termes de construction de récits ».
Comment alors prend-il le virage ? Petit à petit, il a le sentiment de « plafonner », notamment en raison d’une visibilité réduite du cinéma documentaire. Son amitié avec Nicolas Ligeon, avec qui il fondera sa compagnie, L’harmonie communale, lui fait côtoyer des théâtreux. « Je les voyais faire des labos, se réunir pendant des jours sans même être payé, et j’en éprouvais d’autant plus une forme d’isolement dans mon travail ». Et en 2016, il découvre Ça ira de Joël Pommerat, retournera le voir cinq fois. Comme un enfant, il se dit : « c’est ça que je veux faire dans ma vie ». Et c’est avec la compagnie stéphanoise du collectif X que l’affaire commence. Une première version de La Crèche, spectacle recréé en 2023, trouve un écho favorable chez les professionnels de la profession. Retraçant l’histoire de la crèche Baby-Loup qui avait défrayé la chronique au tournant des années 2010, autour de la question du port du voile par l’une de ses employées, la pièce lui permet de construire un premier pont entre le genre du documentaire et celui du théâtre.
Documentaire et romanesque
« Quand on parle d’Anatomie d’une chute, est-ce qu’on parle d’un théâtre documentaire ? » réplique toutefois François Hien. « Je suis confronté à ce qu’on dit de mon théâtre, mais je ne m’y reconnais pas » ajoute-t-il aussitôt. « C’est vrai que j’écris souvent autour de débats de société, mais le moteur de mon récit est bien plus du côté du romanesque. Ce sont les histoires individuelles qui priment. Et même si La Crèche traverse les questions de la laïcité, c’est avant tout l’histoire de deux femmes qui se sont aimées, soutenues, puis qui se sont défiées ». Une directrice et une employée qui s’affrontent dans La Crèche, les violences sexuelles d’un prof de fac dans La Honte, l’acharnement thérapeutique voulu par une mère dans Olivier Masson doit-il mourir ?. C’est vrai que François Hien part toujours des individus. Mais il a aussi ce talent unique de travailler des problématiques contemporaines, de les tourner dans tous les sens, d’en explorer toutes les facettes. Art de la complexité dans une société du clash, il s’en faut de peu pour qu’on ne l’accuse alors de pratiquer le « en même temps » ou de s’en tenir à la neutralité. Là encore, François Hien s’insurge (et on ne peut que le suivre sur cette voie). « Dans Olivier Masson, c’est vrai. Mais La Peur (NDLR : qui aborde la question des crimes sexuels dans l’Eglise) et La Honte par exemple sont limpides sur le parti pris normatif. Dans La Crèche, on perçoit facilement la toxicité, pour le dire vite, du Printemps Républicain à venir ».
Il faut dire que dans ses spectacles, tous les personnages expriment leur pensée « comme leurs modèles pourraient les signer ». Une manière de ne pas caricaturer ceux avec qui l’on est pas d’accord comme le ferait « un théâtre de mauvaise foi ». « Mon théâtre n’est pas exagérément démonstratif, mais il n’est pas tiède pour autant. Dans mes pièces il peut y avoir des discours à la fois très douteux et très convaincants. J’essaye de filer le contre-poison avec le poison. C’est ça le théâtre de la réparation ». C’est ça, et aussi d’être attentif à ceux que le théâtre représente. « J’ai vu des spectacles sur monde ouvrier en me disant « j’espère qu’il n’y a aucun ouvrier dans la salle ». Certains croient bien faire, faire œuvre sociale, mais leur destinataire ce sont des gens comme eux. J’essaye d’être toujours attentif à l’effet que mon spectacle pourra avoir dans le débat public, continue-t-il, mais aussi à ceux de qui parle mon récit». Ainsi, pour le spectacle qui sera créé en janvier au TNP, Éducation Nationale, à la manière d’un romancier naturaliste, François Hien a comme d’habitude arpenté le terrain pour découvrir à travers les lycées qu’il visite « un paysage sinistré ». Éducation Nationale en rendra compte mais « on sait que la pièce sera massivement vue par des profs. Il ne faut pas édulcorer, mais pas non plus leur mettre le moral dans les chaussettes ». La pièce tiendra donc en deux parties, dont une deuxième sous forme d’AG en temps réel, à laquelle participeront des classes de lycée régulièrement différentes qui auront donc eu peu de temps de répétition. Un dispositif délicat, casse-gueule qui mettra les acteurs dans une fragilité comparable « à celle d’un prof avant son cours ».
D’un côté, Éducation Nationale s’avance comme une performance immersive grand format qui n’est pas sans rappeler Ça ira, et de l’autre comme « un spectacle qui continue de ressembler à des spectacles de MJC de fin d’année » tels que ce fervent défenseur de l’Éducation populaire souhaite que les siens demeurent. Il y a en effet chez François Hien un attachement à l’artisanat, une réticence au grand spectacle, presque naturellement liée, si l’on y réfléchit bien, à sa volonté de traiter de destins individuels, ordinaires et éloquents à la fois. Une manière ainsi de rendre au peuple sa place dans le politique, de lui redonner voix, comme le faisait magistralement Ca ira. En dépouillant cette voix toutefois de l’apparat théâtral. «Avec La Crèche, au début, beaucoup de spectateurs me demandaient si les comédiennes étaient pros. Je pensais qu’ils ne les trouvaient pas bonnes. Mais au contraire, les gens étaient emballés par leur jeu. Ils les trouvaient tellement justes et incarnées. » Quelque chose d’un effacement du théâtre, de son caractère intimidant et spectaculaire, mais aussi une manière de se rapprocher du réel. Également, sans doute, de renouer avec ce totem du théâtre populaire. Car s’il n’est pas du sérail, François Hien en a instinctivement repris les plus profondes ambitions.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Le Palmarès 2023 d’Eric Demey
Quand j’y pense et puisqu’on me le demande, voici les pièces qui m’auront le plus enthousiasmé cette année. Pour des raisons et d’autres que vous pouvez découvrir dans les critiques en lien , et aussi certainement pour d’autres, plus fugaces ou plus inconscientes, qui m’échappent.
Courez-voir ces spectacles si vous en avez l’occasion, certains tournent encore.
En tout cas, ceci n’est en aucun cas une énonciation de ce qui se serait fait de mieux en France cette année. Le théâtre est un art qui propose une variété de formes d’une richesse inouïe. Régulièrement, encore et toujours, il m’étonne.
La Crèche de François Hien, mise en scène collective
Live de Stéphanie Aflalo
Quartiers de femmes texte de Zazon Castro, mise en scène de Mohamed Bourouissa
We just wanted you to love us texte de Magali Mougel, mise en scène Philippe Baronnet.
Othello de Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier
Et si c’étaient eux, texte et mise en scène de Christophe Montenez et Jules Sagot
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