Seule en scène enthousiasmant, drôle, limite, toujours surprenant et touchant, Quartiers de femmes donne une voix aux femmes des prisons. Une première mise en scène du plasticien Mohamed Bourouissa qui confirme tout l’intérêt des noces du stand-up et du théâtre et raconte la vie derrière les barreaux avec culot et beauté.
De plus en plus, le stand up s’invite au théâtre et on aime ça. On avait vu le Güven de la Commune, et tout récemment le Zoé de Théo Askolovitch, et c’est maintenant Lou-Adriana Bouziouane, dans la mise en scène de Mohamed Bourouissa et sous la plume de Zazon Castro, qui prouve combien le théâtre gagne à s’hybrider avec ce genre longtemps déconsidéré. Par le langage qu’il fait monter sur les planches, par le rapport au public qu’il renouvelle, Quartier de femmes fait donc à son tour s’engouffrer un bon bol d’air frais sur scène, à sa manière, drôle et touchante, donnant une existence pleine de vitalité aux prisonnières de l’Hexagone.
Revenons un peu en arrière. Mohamed Bourouissa est plasticien, voisin du T2G, habitant de Gennevilliers. Daniel Jeanneteau, directeur du lieu, a décidé de lui confier une carte blanche de 3 ans intitulée Voisinage. Dans ce cadre, l’artiste propose ici une première réalisation à l’occasion de laquelle il s’essaie pour la première fois à la mise en scène. A partir d’ateliers menés en centre pénitentiaire pour femmes, Zazon Castro a écrit un texte qui allie drôlerie et sensibilité. Bien que né des témoignages recueillis lors de ces ateliers, il ne revêt pas une forme documentaire. C’est en fait Hemda qui nous parle, en mode stand-up, interprétée par l’excellente Lou-Adriana Bouziouane. Elle est sortie de prison et trouve ça chelou tant de personnes qui la regardent. Raconte à rebours, sa recherche d’emploi depuis qu’elle est sortie du trou, et encore plus avant, ce qui l’a menée en prison.
En fait, on ne le saura pas. Premier des moments théâtralisés, sortant du face à face public en mode humoriste, la musique de verrous et de portes, électro industrielle, couvre les vociférations d’Hemda dont on comprend seulement qu’elle voulait venger son frère Hakim. Avant que la voix off de sa conscience malicieuse, via une enceinte, ne lui reproche d’avoir fait ça en ne pensant qu’à elle. A plusieurs reprises, le spectacle joue avec la curiosité, pourquoi ces femmes ont elles atterri en prison ? Entre Karin qui se venge de son Brian qui lui est tatoué sur le cou et une pédophile qui démarre son récit scabreux, c’est une des occasions de s’amuser des attentes du spectateur et de tester quelques frontières de l’humour.
Car la plus grande des qualités de ces Quartiers de femmes est sans doute de sans cesse déjouer les attendus du sujet, de multiplier les ruptures surprenantes, de flirter avec les limites du rôle et de l’acceptable, de varier les théâtralités et à travers tout cela, de tisser une histoire de détenues qui donne à découvrir ces quartiers dont le spectacle porte le nom. Entre étages pour « les cachetonneuses » et « Module respect », entre sacs de linge à laver – ceux des hommes aussi – et ateliers théâtre qu’on fréquente pour la remise de peine, se noue une histoire d’amour entre Hemda et Aïa, dans laquelle la première aimerait bien sortir de la friend zone pour pécho sa camarade de cellule. Et parmi les « pranks », « schlags » et autre « bails » du langage d’aujourd’hui, ce sont de multiples éléments de la vie derrière les murs des prisons de femmes qui se glissent à l’intérieur d’un récit drôle, qui ne se la joue ni misérabiliste ni politiquement correct.
La mise en scène de Mohamed Bourouissa fait le reste. Ponctue le spectacle de quelques images, belles et sobres, de quelques ruptures éloquentes –- ah ce long silence et ce superbe moment de danse qui en disent plus long et plus fort que bien des mots par exemple. Et dirige l’épatante Lou-Adriana Bouziouane dans une large palette de registres, du stand up au performatif en passant par l’interprétation dans leur monstrueuse force intérieure de nombreux personnages. Tout cela dans une brièveté du format qui n’empêche pas de prendre son temps et favorise l’extraordinaire densité du spectacle. Bref. C’est tranchant et drôlissime. Allez-y.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Quartier de femmes
Mise en scène, conception musicale et scénographie, Mohamed Bourouissa
Avec Lou-Adriana Bouziouane
Texte et collaboration artistique, Zazon Castro
Son, Mohamed Bourouissa, Christophe Jacques, Sylvain Jacques
Lumière, Vincent Chrétien
Coordination, Marine Dury
Photographie, Mohamed Bourouissa
Production T2G Théâtre de Gennevilliers, Centre Dramatique National Œuvre produite dans le cadre du programme de soutien à la création artistique Mondes nouveaux
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du 5 au 17 novembre 2024
du mardi au vendredi, 20h – samedi, 19h – dimanche, 16h
Relâche : lundi 11 novembre
Invité par Christelle Dufour (ARDA) j’ai assisté à une prestation de classe. Lou-Adriana joue intensément avec le public autant qu’avec les différents personnages de sa prison.