Avec Anatomie du désir, Boris Gibé cherche une nouvelle fois à faire du cirque le cœur d’une expérience totale. Dans un chapiteau pas comme les autres, il met en scène une cérémonie anatomique dont il est aussi le seul acteur humain. En Vénus sujette à bien des métamorphoses, il incarne avec force sa recherche passionnante, mais déploie peut-être trop d’effets pour créer autant de trouble et de pensée que promis par son dispositif.
Depuis la terrasse du Théâtre de la Cité Internationale qui l’accueille pour la création, le chapiteau d‘Anatomie du désir semble presque classique. À peine sa toile bleu nuit et le cercle métallique accroché à sa cime telle une auréole de sainteté le distinguent-elles des structures du cirque traditionnel. Boris Gibé n’a pourtant pas habitué ses spectateurs à une telle sobriété. Conçu pour Le Phare (2006), son chapiteau-phare est surmonté d’une vigie qui place la rue ou la nature alentour sous contrôle. Son Silo créé pour L’Absolu (2017) passe encore moins inaperçu. Avec ses neuf mètres de diamètre et ses douze mètres de tôle, cet espace mobile ne charrie derrière lui plus rien de l’imaginaire encore associé au cirque malgré ses profondes transformations des dernières décennies. Avec son esthétique industrielle, son allure de grand bâtiment désaffecté, il contraste au contraire avec ce qui l’entoure par son caractère à la fois futuriste et surnaturel. Anatomie du désir marquerait-il pour Boris Gibé un retour aux fondamentaux du cirque, qu’il pratique depuis plus de 25 ans ?
Les 108 spectateurs que peut accueillir le chapiteau – ce faible nombre est aussi un indice de ce qui se cache à l’intérieur – n’ont guère besoin d’attendre l’ouverture de celui-ci pour être fixés. Afin d’éviter tout incident, les consignes de sécurité qui nous sont données révèlent quelques particularités du dispositif. On apprend que nous serons installés derrière des tablettes, sur des sièges rétractables. On nous avertit de l’obscurité qui règnera. On nous explique qu’au signal donné par des clochettes, il faudra manger ce qui se trouve sur les assiettes disposées devant nous. C’est donc clair : le chapiteau d‘Anatomie du désir cache bien son jeu, et celui-ci promet de ne pas être des plus conventionnels. Bienvenue dans le « Grand Panopticum » de Boris Gibé, dont on découvre la configuration que plus tard, après une introduction où seuls l’ouïe et le goût sont sollicités. Lorsqu’elle nous apparaît, la singularité du dispositif n’en est que plus évidente.
Grâce à une faible lumière, qui permet à Boris Gibé et à son équipe nombreuse bien qu’invisible de garder bien des secrets, on échappe à la solitude où nous étions plongés pour se retrouver parmi une assemblée de têtes tournées vers une petite piste centrale où vont se passer bien des choses, bien des métamorphoses. Avant toute chose, Anatomie du désir s’occupe donc subtilement de faire adopter au spectateur un regard, un rôle particulier. Par son dispositif et quelques premiers éléments de rituel, Boris Gibé rapproche sans le lui dire son hôte d’un type de voyeur appartenant au passé. Soit l’étudiant de médecine qui, à l’époque moderne, apprenait une partie de son métier dans des panopticum, architectures circulaires au centre desquelles étaient exposées des Vénus anatomiques faites pour remplacer les macchabées. La Vénus qui ne tarde pas à apparaître au centre de la petite piste ressemble à première vue à celle qu’utilisaient jadis les étudiants, avant qu’elles soient revendues à des forains se déguisant en médecins pour des spectacles finalement interdits pour pornographie.
Pour maintenir éveillés la surprise et le trouble créés par son introduction obscure, Boris Gibé convoque comme à son habitude un maximum de moyens, qui donnent à son spectacle une forte dimension cinématographique. Lumières, dispositifs mettant en jeu magnétisme et électro-statisme ou encore musique se concentrent autour d’un même objet : la Vénus, dont l’apparence initiale plutôt engageante – en dépit d’un visage étrange, comme déplacé de son contexte d’origine – ne cesse de changer. Car, on ne tarde pas à s’en apercevoir, la belle morte est incarnée par Boris Gibé lui-même, dont le corps masculin et vivant prend peu à peu la place de la fille de cire au cœur du Grand Panopticum. Jusqu’à ce que, libéré de tous les artifices féminins qui lui permettaient de plus ou moins passer pour une Vénus, il s’envole. Anatomie du désir est donc une histoire de libération, d’élévation. D’objet – du désir –, Vénus devient un sujet qui échappe aux frontières de genre comme d’ailleurs à toute définition.
Entre son apparition en beauté inerte et son envol dans un corps d’homme bien vivant, la Vénus de Boris Gibé fait passer le spectateur par des registres spectaculaires très variés. Peut-être trop pour permettre à l’état de suspension créé au début de se maintenir et d’évoluer. Chaque tableau est pourtant une réussite esthétique. Lorsque les organes de la Vénus prennent leur autonomie par exemple, faisant basculer l’ambiance peep show du début dans une atmosphère plus glauque mais aussi plus comique, on est sidéré par le réalisme de ces automates. Les passages de boules métalliques flottantes nous mènent davantage vers la science-fiction, tandis que les moments plus circassiens, où Boris Gibé joue l’explosion de sa gangue et de son masque de Vénus, nous offrent une performance physique remarquable, à la lisière souvent du mime. La grande richesse des formes que prend successivement Anatomie du désir est autant une force qu’un frein pour l’imaginaire du spectateur et sa capacité à s’approprier la métamorphose, à en interroger le sens et la portée. L’expérience est toutefois déjà bien singulière dans le champ du spectacle vivant. Elle peut certainement le devenir encore plus avec davantage de lenteur, de silence. La longue tournée prévue le laisse espérer.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Anatomie du désir
Conception, scénographie, mise en piste Boris Gibé
Regard extérieur Elsa Dourdet
Regard chorégraphique Aragorn Boulanger
Conseil dramaturgique Taïcyr Fadel
Réalisation sonore Olivier Pfeiffer
Réalisation lumière Victor Egéa
Réalisation accessoires anatomiques Audrey Veyrac
Effets spatiaux Arnaud Paquotte
Conception technique et construction machinerie Florian Wenger
Conception technique du gradin anatomique Quentin Alart, Armand Barbet, Charles Bédin et Clara Gay-Bellile
Construction gradin anatomique Quentin Alart, Adrien Alessandrini, Armand Barbet, Eric Capuano, Thomas Chassagny, Clément Delage, Daniel Ferreira, Baptiste Lachuga et Laurent Mulowsky
Stagiaires – Ilona Dinis, Lena Bedel et Martina Monnichi et en tournée, manipulation Marion Boire
Cuisine Julien Lechevin
Régie son, lumière et technique Olivier Pfeiffer
soutiens Ministère de la Culture : conventionnement DRAC Hauts-de-France ; Aide au développement – DICREAM ; Aide à la création cirque – DGCA • Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings coproductions Tandem, scène nationale – Arras/Douai ; Les Deux scènes, scène nationale – Besançon ; Le Quartz, scène nationale – Brest ; Le Volcan, scène nationale – Le Havre ; Les Halles de Schaerbeek – Bruxelles ; Les Théâtres de Compiègne ; La Batoude – centre des arts du cirque de Beauvais ; Le Printemps des Comédiens – Montpellier
soutiens et accueils en résidence La Fabrique des possibles – Noailles (60) ; Plateforme 2 pôles cirque en Normandie ; L’académie Fratellini – Saint Denis (93) ; Le Château de Monthelon – atelier international de création – Montréal (89) ; Festival Tempo – Kaunas (Lituanie) dans le cadre de Kaunas 2022 capitale européenne de la culture” ; La Brèche, Pôle national Cirque de Cherbourg-en-Cotentin ; Nebia – Bienne (Suisse), Théâtre de la Cité internationale – Paris, Cirque Jules Verne Pôle national cirque et art de la rue – Amiens.
Durée : 1h15
Théâtre de la Cité Internationale – Paris
Du 17 au 22 avril 2023Les Halles de Schaerbeek – Bruxelles (BE)
Du 9 au 19 mai 2023Le Printemps des Comédiens – Montpellier
Du 1er au 10 juin 2023Villeneuve en scène – Villeneuve lès Avignon
Du 10 au 22 juillet 2023Cirque théâtre d’Elbeuf
Du 24 novembre au 2 décembre 2023Tandem, scène nationale d’Arras Douai
Du 12 au 16 janvier 2024Théâtre de Compiègne
Du 9 au 13 avril 2024Les 2 scènes, scène nationale de Besançon
Du 4 au 15 juin 2024
Bonjour
J’aurais voulu savoir si Anatomie du désir va repasser en Belgique ?
Merci !!
Bien à vous
Anne
Bonjour, comme vous pouvez le lire sous le papier, c’est déjà fait, c’était à Bruxelles début mai.