Dans le cadre d’un programme d’éducation artistique et culturelle initié par La Colline, et mené en partenariat avec Le Grand T, la Comédie de Reims et le TNS, la metteuse en scène et l’auteur se sont associés pour donner naissance à une pièce toute en subtilité, qui parle au coeur et à la conscience des élèves-spectateurs.
Aussi étonnant que cela puisse paraître au vu du contexte, il subsiste des endroits où le théâtre existe et résiste. Epargné par la fermeture imposée aux salles de spectacle, le milieu scolaire s’est transformé en refuge artistique, où des oeuvres peuvent voir le jour et rencontrer un « vrai » public. Assis dans les fauteuils rouges de la salle de projection du lycée professionnel Léonard-de-Vinci de Nantes, une vingtaine d’élèves en classe de seconde « gestion-administrative » font partie de ces privilégiés et assistent, en cet après-midi de décembre, à la toute première représentation de Dear Prudence. Ecrite par Christophe Honoré et mise en scène par Chloé Dabert, cette pièce n’est pas tout à fait comme les autres. Elle a été conçue spécialement pour eux, et pour les élèves des sept autres classes de lycée, général ou professionnel, qui participent au programme d’éducation artistique et culturelle « Lycéens citoyens », initié par La Colline et mené en partenariat avec Le Grand T, la Comédie de Reims et le TNS.
Moment-clé de ce projet, ce spectacle est loin d’en être l’unique manifestation. Il s’inscrit dans un parcours plus large, fondé sur une logique de double rencontre : entre les jeunes, les artistes et le théâtre, mais aussi des lycéens entre eux. Comme leurs homologues parisiens, rémois et strasbourgeois, les élèves nantais du lycée professionnel Léonard-de-Vinci forment un binôme avec ceux de seconde générale du lycée général et technologique de Livet. Façon d’associer deux univers scolaires qui ont, souvent, peu d’occasions de se croiser. En septembre dernier, tous ont déjà pu échanger à l’issue d’une représentation donnée au Grand T de Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge, conçu par Arthur H et Wajdi Mouawad ; dans quelques semaines, ils seront à nouveau réunis pour une semaine de résidence où ils participeront à un atelier de jeu et d’écriture et en apprendront plus, au gré de multiples rencontres, sur les coulisses techniques et administratives de ce monde du théâtre que, pour beaucoup, ils découvrent.
A l’attention de ce public particulier, Christophe Honoré a écrit une pièce cousue main, pleinement ancrée, comme le prouve son titre inspiré d’une chanson des Beatles, dans son univers. Huilée comme un thriller, elle confronte deux hommes qui n’ont, apparemment, rien en commun, si ce n’est un certain Jean, dont on apprend rapidement qu’il est le fils de l’un et l’ancien élève de l’autre. Ancien élève, mais également ancien amant, et c’est là que le noeud dramaturgique se noue. Sur lui, rien ne filtre – si ce n’est, l’auteur ayant pris toutes ses précautions, qu’il est majeur –, pas même s’il est mort ou vivant. Contre toute attente, le père de Jean n’est pas venu instruire le procès du professeur de Français de son fils. Source d’un flou haletant, il cherche simplement à comprendre. Comprendre les raisons du mal amoureux dont souffre, ou souffrait, son enfant, l’étendue de cette relation consentie, mais peu commune, et les raisons qui ont poussé le prof à y mettre un terme. Face à lui, il découvre un homme torturé, sans être contrit, visiblement toujours amoureux, mais conscient que cette histoire n’était pas « raisonnable ».
Sur la scène forcément réduite, Chloé Dabert saisit pleinement l’ambiguïté de ce texte qui relève de la dentelle, et qui, à mesure qu’il avance, ouvre davantage de perspectives qu’il n’en ferme. Aux commandes d’un dispositif scénographique limité, mais dont elle fait joliment son affaire, elle donne corps à une atmosphère duale, où le réel et le théâtre se jaugent et se confondent, à l’image de ce bureau de maître d’école, classique, mais pailleté. Se dessine alors un spectacle qui échappe au manichéisme et au jugement moral, façonné avec juste ce qu’il faut de tension par Olivier Dupuy et Sébastien Eveno. Dans les pas de l’écriture de Christophe Honoré, les deux comédiens n’abordent jamais leur rôles frontalement. Ils préfèrent en passer par la bande et tirer profit de ce mystère qui fait tout le sel, subtil, de la pièce et captive les lycéens, particulièrement bien préparés. Au lendemain de la représentation, malgré la force des thématiques abordées – l’homosexualité, la relation professeur-élève, la possibilité d’un suicide amoureux –, aucun d’ailleurs n’apparaissait froissé, selon un compte-rendu que sceneweb s’est procuré. Tout juste s’étonnaient-ils, lors de leurs échanges avec l’équipe artistique, de « voir seulement un père et un prof », de « ne pas avoir vu Jean », d’être « dans l’incompréhension de ne pas savoir s’il est mort ou vivant ». A la question de savoir si cette relation entre un prof et un élève les avait choqués, tous ont répondu : « Si l’élève est majeur et consentant, il n’y a pas de problème ». Et d’apporter ainsi la preuve de leur grande maturité.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Dear Prudence
Texte Christophe Honoré
Mise en scène Chloé Dabert
Avec Olivier Dupuy et Sébastien Eveno
Assistant à la mise en scène Matthieu Heydon
Collaboratrice artistique Marie La Rocca
Création lumière Didier Saint-Omer
Création son Julien MatthieuPièce créée dans le cadre de Lycéens citoyens, programme d’éducation artistique et culturelle initié par La Colline, Théâtre National, mené en partenariat avec le Grand T Théâtre de Loire-Atlantique, la Comédie – Centre dramatique national de Reims et le Théâtre National de Strasbourg, soutenu par Total Foundation, le Fonds de dotation de Choeur à l’ouvrage et le Rectorat de Paris.
Durée : 50 minutes
En tournée dans plusieurs lycées de Nantes, Paris, Reims et Strasbourg, puis à la Comédie de Reims durant la saison 2021-2022
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